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Note

Refonder l’approche politique du co-développement

La notion de « co-développement », apparue dans les années 60 pour décrire des initiatives de migrants en faveur de leur famille ou de leur communauté d’origine restées au pays, est devenue dans le discours politique un outil associé à la maîtrise des flux migratoires. Selon l’auteur, membre d’une OING en charge de projets relatifs aux migrations internationales, il faut réhabiliter le co-développement en refusant les discours simplistes pour faire des migrations une grande opportunité de la mondialisation.
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En 10 ans, le terme co-développement a envahi l’ensemble du champ politique: il s’agit de profiter du dynamisme des populations immigrées et de favoriser leur participation au développement de leurs pays d’origine. Initialement pensé comme un outil au service de la solidarité internationale, il est finalement devenu un volet des politiques d’immigration destiné à résorber ou du moins à contrôler et faire diminuer (à terme) les flux migratoires. 30 ans après l’émergence du concept [1] , force est de constater que le co-développement n’atteint pas ses objectifs et est devenue une notion « fourre-tout » aux contours et aux enjeux mal définis.

Le co-développement est ensuite devenu le « développement solidaire », et il relève désormais des attributions d’un « Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire » (MIIINDS), ce qui renforce la suspicion d’instrumentalisation de l’aide au développement en faveur d’une politique migratoire restrictive. Cette approche utilitariste est non seulement irréaliste (et ne peut atteindre les buts désignés) mais elle est également préjudiciable aux migrants et aux pays concernés. Faute d’introspection et d’analyse critique sur les politiques de co-développement, on pourrait finalement en « finir avec elles [2]  ». Comme si l’utilisation de cette notion, qui s’appuie en apparence sur une bonne volonté, n’était devenue qu’un paravent pour des politiques migratoires dures mais aussi une diversion pour masquer le manque de perspective pour un vrai changement dans les relations avec les pays du « Sud ».

Pourtant le co-développement peut permettre d’accompagner les migrants porteurs de projets, de renforcer les liens existants entre les territoires concernés par les migrations et d’appuyer l’aide publique au développement. Il est donc nécessaire de repenser les politiques et les mécanismes existants et, de manière générale, d’entamer une réflexion sur les politiques migratoires et l’aide au développement.

Le co-développement sera sans aucun doute convié à la table des débats de la prochaine campagne présidentielle. Il faudra alors opposer aux visions simplistes et binaires un réel projet politique. Pour cela, on ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion globale ; de fait, la seule rupture qui doit avoir lieu est celle qui permettra au co-développement de sortir de l’ornière dans laquelle la politique du Président Sarkozy l’a mise.

1 – Des origines solidaires difficilement mises en œuvre par l’Etat

1.1 – Un concept qui prend racine dans une vision de la solidarité internationale

Les premières expériences de co-développement remontent aux années 1960. Il s’agit alors de décrire des initiatives prises par les migrants généralement en faveur de leurs familles ou leurs communautés restées au pays; initiatives qui passent souvent par les canaux socioculturels traditionnels (réseaux communautaires, religieux, etc.) et qui consistent en premier lieu à l’envoi d’argent. Dans les années 1970, le co-développement a vocation à renforcer les dynamiques de la solidarité internationale (principalement avec les anciennes colonies) et ne fait pas encore référence aux migrations [3] . Dans le contexte « tiers-mondiste », la notion offre des perspectives pour un dépassement de la relation bilatérale autour du développement et pour une redéfinition de l’ordre économique mondial [4] . Dans les années 1980, le concept se diffuse plus largement [5] . La loi du 9 octobre 1981, qui abroge les discriminations à l’encontre des étrangers (introduites par un décret-loi datant de 1939) rétablit entièrement la liberté d’association et permet notamment la création de ce que l’on nomme les organisations de solidarité internationale issues de l’immigration (OSIM). Il devenait alors envisageable pour des associations d’immigrés d’entreprendre des actions pour le développement (infrastructures publiques, écoles, dispensaires) voir de développer des synergies avec d’autres acteurs. L’articulation entre sphères publiques et acteurs non étatiques permettait la mise en place de nouvelles dynamiques de solidarité internationale, de tisser et de mobiliser des liens transnationaux, de prendre langue avec des interlocuteurs qui maîtrisent parfaitement l’espace global de la migration (l’Etat est finalement l’acteur de la question qui maitrise le moins bien ce champ transnational).

1.2 – Une architecture institutionnelle mouvante et peu efficace

Les initiatives pour ériger le co-développement en politiques publiques remontent à la fin des années 1990 tandis que le concept initial a fait l’objet de reformulations successives, glissant de la démarche de solidarité avec le tiers-monde à l’approche utilitariste qui place de faux « espoirs » dans le co-développement : contrôler, gérer et finalement limiter la mobilité humaine [6] .

Dans son rapport d’orientation remis en 1997 au Premier Ministre Lionel Jospin, l’universitaire Sami Nair le définit comme « toute action de coopération en rapport avec les populations immigrées et le développement des pays d’origine ». Une « Délégation interministérielle au co-développement et aux migrations internationales » (MICOMI) est mise en place en 1998 et, placée sous l’autorité du Ministre des Affaires sociales, doit mutualiser les différentes compétences des ministères prenant part à la gestion de l’immigration (affaires étrangères, coopération, etc.). Cette structure agît selon deux axes : accompagner et favoriser la réinsertion des migrants dans leur pays d’origine et soutenir les initiatives de solidarité en faveur du développement.

Bien que le rapport initial de Sami Nair souligne que « la politique de co-développement liée aux flux migratoires n’a pas pour but le « retour » des immigrés chez eux s’ils n’en ont pas la volonté », le concept est de plus en plus ancré dans la volonté de limitation des flux migratoires vers les pays du Nord. L’approche utilitariste prend définitivement corps durant le deuxième mandat du Président Chirac. Pour exemple, en 2007, le co-développement est désigné comme « outil de développement mais aussi comme instrument de gestion des flux migratoires » par le Comité Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement (CICID, crée en 1998) et par le Comité Interministériel de Contrôle de l’Immigration (CICI, crée par décret en 2005) [7] .

Notons que les missions du co-développement sont géographiquement restreintes et ne concernent principalement que quelques pays d’Afrique (Maroc, Sénégal, Mali, Burkina Faso) qui pourtant ne représentent qu’une part minoritaire des flux migratoires internationaux (environ 10 % des 200 millions de migrants à travers le monde) et moins de 15 % des flux migratoires vers la France; on ne parle pas (ou peu) de co-développement avec la Chine, le Pakistan ou la Russie.

Finalement, en 30 ans, et sans avoir su faire vivre concrètement le concept originel, on est passé d’une réflexion éthique à une réflexion « utilitariste » qui scelle une révolution du paradigme.

2 – Le co-développement dans l’ornière de la rupture sarkozyste

2.1 – Une erreur fondamentale : lier immigration et co-développement

La vraie rupture survient avec la création du « Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Co-développement » (le terme « co-développement » devenant « développement solidaire » par la suite). L’agrégation déterminée de ces termes et la création d’un « super ministère » incarne ce que l’on nomme (en France et généralement en Europe) l’approche globale de la question migratoire.

Le nouveau ministère s’est imposé brutalement dans le paysage administratif en arrachant des directions et des prérogatives à plusieurs ministères (Affaires sociales, Intérieur, Affaires étrangères). Le Ministère des Affaires étrangères, notamment, a été le grand perdant, se voyant dépossédé des moyens du co-développement tandis que ces derniers se sont trouvés brusquement augmentés: il s’agissait d’asseoir le pouvoir du nouveau ministère par des succès lors d’arbitrages budgétaires et de donner corps à « l’approche globale » en dotant le co-développement d’un budget qui se voulait ambitieux. Les crédits budgétaires « généreusement » alloués à Brice Hortefeux puis à Eric Besson au titre du « développement solidaire » (programme 301 de la Loi de finances doté 35 millions d’euros en 2010 ; soit une augmentation de 44 % par rapport à 2009) sont finalement des « carottes » dans les négociations des accords de gestion de flux migratoires avec les pays d’émigration. Or, rien ne prouve, ou même laisse croire, que cette démarche du « donnant-donnant » qui mélange contrôle de l’immigration et subsides pour le développement local, enregistre des résultats. Par contre, il provoque souvent une attitude défiante dans les sociétés civiles des pays concernés.

2.2 – Le co-développement dans l’ Europe [8] de Tampere

L’Union Européenne semble devenir le nouvel horizon du co-développement… encore une fois en lien avec les politiques migratoires [9] . Partiellement communautarisée depuis le traité d’Amsterdam de 1999, la démarche européenne en la matière s’inscrit dans une approche globale telle que l’a définie le Conseil, notamment par le Pacte européen sur l’immigration et l’asile » (octobre 2008). Cette approche propose une démarche qui vise à l’organisation de l’immigration légale en tenant compte des besoins, des priorités et des capacités d’accueil déterminés par chaque Etat membre. Les objectifs spécifiques de cette approche communautaire sont : la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment en assurant le retour dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit des étrangers en situation irrégulière; le renforcement des contrôles aux frontières; la construction d’une « Europe de l’asile » et enfin la création d’un partenariat global avec les pays d’origine et de transit favorisant les synergies entre les migrations et le développement.

La part « co-développement » est intégralement contenue dans le dernier point où les européens affirment leur intention de favoriser les synergies entre les migrations et le développement, notamment par le biais d’un « partenariat global » entre l’UE et les pays d’émigration et de transit. Ce lien établi entre restriction d’accès et compensation financière devant être utilisée pour le développement, et coopération des pays tiers dans la lutte contre l’immigration clandestine se retrouve ainsi tant au niveau national qu’au niveau communautaire. Le Pacte jette dans le même sac le contrôle des frontières externes de l’Europe et la solidarité avec les pays du sud : le flou que l’on constate au niveau national s’applique sans conteste à la politique européenne. Le co-développement est transformé en un maillon de la stratégie « d’empire romain » que l’Europe met en place. Ainsi le projet de développement local doit se substituer au désir d’émigration des populations, les migrants et migrantes sont contenus aux limites du continent, les immigrés se voit réserver un espace restreint et lointain (celui de leur région d’origine) et une ambition limitée (aider là-bas alors que l’intégration est difficile ici), la solidarité internationale et l’aide au développement sont remplacées par une charité chétive et intéressée qui masque mal le rejet de l’autre.

2.3 – Le co-développement vu du Sud : des conceptions très différentes

La fortune récente de la notion de co-développement a entrainé une uniformisation de son approche dans les pays du Nord. Au contraire, au Sud sa perception est très différente selon les pays. Si certains le prennent comme une sorte de partenariat macro-économique entre les deux rives de la Méditerranée (partenariat qui valoriserait les avantages concurrentiels de la rive sud dans le contexte de la mondialisation économique [10] ), le co-développement a souvent une lecture plus classique : celle de la réalisation de micro-projets dans les villages et les régions d’origine des émigrés (c’est le cas au Sénégal et au Mali par exemple). Cette approche de terrain, très liée aux attaches communautaires, a le mérite de satisfaire (sur le papier) des besoins directs des populations. Certains pays, qui attendent beaucoup de leurs diasporas ou de leurs communautés émigrées ont d’ailleurs mis en place des instances politiques spécifiques (par exemple il existe un Ministre des Maliens de l’extérieur depuis 1998 [11] ).

Les différences entre les lectures du co-développement (dont nous avons succinctement présenté deux approches) sont réelles et la « tension » entre approche macro et micro doit donc être prise en compte : les deux devant s’articuler, se compléter et se renforcer mutuellement.

3 – Les erreurs actuelles fondamentales du co-développement

3.1 – Méconnaissance des mobilités contemporaines

L’approche politique actuelle du co-développement repose sur une analyse et une compréhension erronées des phénomènes migratoires qui ne prennent pas en compte les réalités des mobilités contemporaines. Ainsi, en cherchant à ériger des modèles « cadres » déclinables à volonté, on occulte les réalités des migrations internationales : les profils de plus en plus variés des migrants, l’insécurité réelle des individus, la précarisation renforcée de ces populations dans les pays d’accueil, etc. En criminalisant la migration et en instrumentalisant politiquement la question, le gouvernement ne répond pas aux enjeux de sécurité des individus, de respect des droits fondamentaux des migrants, de prise en charge et finalement d’intégration sociale. Enfin, le co-développement, en étant attaché à l’immigration et à l’identité nationale, devient un objet inefficace et politiquement dangereux.

3.2 – Dépasser la question de la relation migration – développement

« La prise de conscience de la grande carence des modèles est le préliminaire de tout progrès politique et social dans l’idée de développement »

Edgar Morin

Il est absolument nécessaire de dépasser la question de la relation « migration-développement ». Malgré une littérature scientifique abondante, les rapports des experts, de nombreux exemples locaux et la multiplication des approches théoriques, la question ne peut pas être définitivement tranchée. Une politique pragmatique de co-développement ne peut pas prétendre s’ériger en modèle parfait et transposable à volonté.

L’approche politique du co-développement est influencée par une triple erreur :

- L’idée que le développement des pays d’origine limitera puis induira « mécaniquement » une diminution des flux migratoires.

- L’idée que la capacité financière des migrants (et notamment leurs transferts) se transformera nécessairement en investissements productifs une fois mises en place les politiques d’incitation, sans prendre en compte le contexte parfois très difficile du pays de départ, ou les utilisations réelles des récipiendaires.

- La nécessité de parvenir rapidement à des résultats pour justifier la pertinence des politiques engagées, soit auprès des électeurs, soit pour les bailleurs. Or, le rapport au temps du politique et du développement n’est pas le même : le premier est un temps court et régulier (dicté par l’agenda du scrutin), le second un temps long et fluctuant (le développement ne se décrète pas, c’est un processus long et surtout aléatoire, tout le monde en conviendra).

Ces trois « erreurs » sont au coeur de la politique de co-développement actuellement menée et empêchent la mise en place de processus réellement efficaces.

Le développement des pays émetteurs de flux ne met pas fin aux migrations

Le développement des pays émetteurs de flux n’entraîne pas une diminution immédiate des mouvements migratoires; de nombreux exemples tendent à prouver le contraire : dans un premier temps, ils ont tendance à augmenter et à s’inscrire dans la durée. Tant que les pays concernés n’ont pas développé un marché de l’emploi formel suffisamment ample et ne proposent pas des salaires suffisamment élevés, les flux migratoires restent élevés. Les migrations internationales constituent souvent des « soupapes » qui permettent « d’alléger » la pression sociale provoquée notamment par un chômage massif. Or, dans le contexte de mondialisation économique, la mobilité des individus est un moyen pour réussir économiquement. De plus, si l’on considère les profils de migrants actuels, on remarque que la migration concerne souvent des individus (et de plus en plus) formés qui vont manquer au pays émetteur. Ce que l’on nomme la « fuite des cerveaux » (brain drain) est une réalité pour les pays du Sud et n’entraine pas forcément un gain (brain gain).

De l’appréciation de l’apport des émigrés aux pays d’origines

La capacité financière des migrants (trop souvent réduite aux seuls envois de fonds) est à la fois une réalité et une chimère selon que l’on privilégie une approche macro ou une approche micro. D’un point de vue macro, les transferts de devises des émigrés vers leurs pays représentent une somme considérable. Estimés à plus de 300 milliards de dollars en 2008 [12] , ils sont trois fois plus importants que l’aide publique au développement (jusqu’à 750 % de plus dans certains pays africains). Les transferts peuvent constituer une part considérable des revenus nationaux mais la somme reste en fait une addition d’épargnes particulières (et par là même difficilement mobilisables), fluctuantes selon les individus et « ventilée » géographiquement. Dilués dans des pays sans réels plans de développement socio-économique ou aux économies non–viables, les transferts concernent donc de manière inégale les espaces et les individus. L’argent des émigrés, à défaut d’être un levier du développement, permet plus souvent aux récipiendaires de ne pas sombrer dans la misère et de subvenir aux besoins élémentaires (alimentation, santé, etc.). Ils peuvent ensuite éventuellement permettre l’accès à une meilleure scolarisation, à la propriété foncière voire à la création d’une activité économique formelle. Ils peuvent également être « contreproductifs » quand ils participent au développement de l’habitat et de l’entreprenariat informel, à une consommation de biens quasi exclusivement d’importation, à la concurrence économique avec des secteurs d’activités traditionnels, au développement d’attitudes de « rentiers », etc.

Pour résumer, selon l’angle d’observation, les transferts n’ont pas le même impact : ils ne concernent pas toute la population et toutes les communautés de la même manière et leur allocation diffère beaucoup. Même si l’on peut se féliciter de la mise en place d’outils comme un site Internet [13] permettant de comparer les coûts et les modalités des envois d’argent à l’étranger (bien que les migrants n’ignorent rien des tarifs et des voies pratiqués), ce type d’approche est trop restrictive car elle ne prend en compte qu’un seul aspect de la problématique et ignore la richesse des échanges immatériels entre « l’ici » et le « là-bas ». Les migrants sont de faits des vecteurs de valeurs, d’idées, de modes, créateurs de réseaux sociaux qui constituent autant de richesses non matérielles qui contribuent au développement humain des pays d’origines. Sur cet aspect pourtant essentiel le co-développement actuel ne dit presque rien.

4 – Définir les contours d’une politique progressiste

Une politique de co-développement efficiente doit d’abord être une politique publique qui s’appuie sur la concertation des acteurs impliqués, qui développe une vision à long terme et qui ne prétend pas résoudre des problèmes complexes par des réponses simplistes. Au-delà, un projet politique pragmatique doit reformuler les fondements de la démarche de co-développement, redéfinir une architecture politique efficiente en mettant par exemple en place une autorité de tutelle indépendante du pouvoir politique, développer un espace de dialogue sur les questions migratoires, donner aux acteurs les moyens financiers et techniques d’agir. Il semble également impératif de replacer la notion de bien commun au centre du co-développement afin qu’il devienne réellement un outil de partage équitable du bénéfice migratoire entre les espaces concernés.

4.1 – Engager un nouveau dialogue sur les migrations

La plus grave atteinte à l’idée de co-développement tient au rapprochement forcé avec la volonté de contrôle des flux migratoires. Si une politique de co-développement ambitieuse appelle obligatoirement à réfléchir aux pratiques en matière d’immigration il est indispensable de dissocier les deux éléments. Dans un premier temps, il faut adopter un discours pragmatique: il n’y a pas de péril migratoire et encore moins de méthode « miracle » pour réduire l’immigration par le développement des pays d’origine. De plus, une politique de régularisation claire, définie en concertation avec tous les acteurs de la question et porteuse d’une vision réellement humaniste de la citoyenneté semble être un préalable incontournable.

L’ensemble des entraves que l’on met au séjour régulier des immigrés (et à leur intégration socio-économique) empêche ou limite leurs capacités à devenir à terme des partenaires du développement de leurs pays d’origine. L’idée de l’immigration choisie doit être battue en brèche et, en allant au delà des listes de métiers « sous-tension » restrictives (qui ignorent les milliers de travailleurs sans-papiers déjà présents), il faut favoriser la mobilité des immigrés n’ayant pas de famille en France, résidants depuis moins de trois ans et sans présence établie, et les candidats à l’immigration (pour des raisons strictement économiques, non familiales ou politiques).

Il faut donc réfléchir à des dispositifs adaptés pour les travailleurs, les étudiants du Sud venant se former, les entrepreneurs transnationaux. Il s’agit par exemple d’accompagner les mobilités par une législation souple et prévoir (dans le cadre de mobilités de courtes durées) une fiscalité adaptée qui permette aux migrants d’épargner pour eux-mêmes et de voir une partie de leurs prélèvements alimenter des fonds publics d’aide au développement (fonds qui pourraient servir à des projets dans les pays d’origine en compensation de la « perte sèche » que constitue la migration d’une partie de leur population [14] ).

Dans un second temps, il faut favoriser la stabilisation des situations des immigrés et délivrer des visas de long séjour. Pour ce faire, les acteurs de la société civile peuvent à la fois être une force de proposition et des observateurs rigoureux des politiques publiques… ce que l’actuel gouvernement supporte apparemment mal de la part de la CIMADE, du GISTI ou de RESF.

4.2 – Refonder l’architecture politique du co-développement

Il est nécessaire de repenser l’organisation institutionnelle du co-développement et en premier lieu de mettre fin à la tutelle du MIIINDS. Une délégation interministérielle en charge des questions de co-développement qui regrouperait les acteurs publics liés à la question et placée sous la tutelle du Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération se révèlerait un outil plus efficace pour la mise en place de politiques par nature complexes. En terme de dialogue, le co-développement ne doit pas être l’horizon de l’échange Nord-Sud sur l’aide au développement et ne peut se limiter à la parole des associations d’immigrés (qui représentent peu ou pas leur pays dont les membres sont originaires). Il est nécessaire de construire un débat permanent et élargi sur la solidarité entre pouvoirs publics du Nord, associations de migrants, sociétés civiles du nord, pouvoirs publics du Sud et sociétés civiles du Sud [15] . En outre, les plate-formes [16] qui ont vu le jour dans les années 1990 et 2000 (et qui permettent aux associations de solidarités issues de la migration d’être des acteurs visibles, reconnus et au fort potentiel) constituent des interlocuteurs pour les pouvoirs publics.

4.3 – Définir les espaces et les priorités d’action

Quels espaces d’action pour le co-développement ?

Un problème posé par le co-développement tel qu’on le connaît aujourd’hui tient dans la multiplicité des acteurs et des volumes engagés (de la petite commune à la Banque mondiale, en passant par la région française) qui limite les possibilités d’actions concertées, rend le paysage de l’aide confus et la planification un exercice difficile bien qu’indispensable. En outre une évaluation permanente des projets, des acteurs et des politiques publiques doit permettre de transformer des initiatives isolées et sporadiques en des actions de terrain planifiées et coordonnées entre elles. Il est donc absolument indispensable de définir des axes d’action forts en faveur du développement local dans le cadre d’un dialogue multi partenarial respectueux de la souveraineté des pays du Sud. En France, les régions, actrices engagées de la coopération décentralisée, semblent être un échelon d’action pertinent en matière de co-développement car elles peuvent à la fois prendre langue avec les acteurs étatiques, avec leurs homologues du sud et avec la société civile. Promotrices de la solidarité territoriale, elles peuvent s’affranchir des rigidités des fonctionnements des états et innover par la mise en place de dynamiques collectives qui s’inscrivent dans les réalités des mobilités contemporaines.

Afin de professionnaliser et d’améliorer les potentiels des acteurs du co-développement (dont de nombreuses petites associations), il est indispensable de les accompagner techniquement, de les fédérer, de canaliser institutionnellement leurs démarches et d’analyser leurs pratiques : la bonne volonté (même réelle) n’est pas en soi un levier de développement.

Joindre co-développement et Aide Publique au Développement ?

Au-delà de la crise politique du co-développement se pose une question beaucoup plus vaste : comment intégrer le co-développement dans la coopération internationale et la politique d’Aide Publique au Développement (APD) ? En promouvant et en coordonnant des programmes intégrés et concertés, l’APD peut être le « macro-espace » du co-développement qui peut en « retour » appuyer des lignes de travail existantes. Les moyens d’une telle politique ne doivent pas être la seule épargne des migrants et il faut développer un financement multi partenarial des politiques de solidarité par une participation plus importante des acteurs privés [17] . Concerné en premier lieu, le monde économique doit prendre ses responsabilités, notamment, dans le financement des politiques publiques en faveur du co-développement.

Une réflexion sur le co-développement menée en concertation avec les acteurs publics de la solidarité et de la coopération doit permettre d’articuler efficacement les approches macro et micro, de financer, d’orienter, d’accompagner et finalement d’optimiser les politiques de co-développement.

En conclusion : Voir plus loin, repenser le développement

Finalement, une politique progressiste doit graver dans le marbre le fait que le co-développement n’est pas un outil des politiques d’immigration, qu’il ne peut être instrumentalisé et qu’il doit bénéficier d’efforts soutenus quelle que soit l’administration en charge du dossier afin de ne pas freiner un élan fragile et déjà fragilisé par une utilisation politicienne du concept. Le discours simpliste du « donnant-donnant, gagnant-gagnant » [18] doit céder la place à une vision élargie du co-développement . Au-delà, plus de 50 ans après les indépendances et au vu de la crise profonde que connaissent les pays du Sud, il est de la responsabilité des hommes politiques et des sociétés civiles de poursuivre la réflexion (notamment initiée lors du Cycle de Doha pour le Développement ) sur la nature du développement soutenu au Sud (et désigné comme en partie responsable de la croissance des flux migratoires).

Enfin, il est absolument nécessaire de promouvoir l’idée d’une gouvernance mondiale sur les migrations qui sera chargée de s’emparer de ces problématiques, d’observer les phénomènes, de porter assistance dans les situations les plus graves et de contraindre les Etats à mettre en place des politiques adaptées aux réalités, efficientes et bénéfiques pour les pays émetteurs de flux.

Si la France initie ce changement (séparation politique entre immigration et co-développement, mise en place d’une autorité de tutelle indépendante, développement d’actions et de financements innovants, promotion de la collégialité et d’une gouvernance mondiale sur les migrations, revitalisation de la solidarité internationale et réorientation du développement, etc.) on peut espérer que le co-développement retrouve son destin original : servir les sociétés et les territoires et faire des migrations internationales une grande opportunité de la mondialisation.

  1. 12 ans après le rapport d’étape du Pr Sami Nair qui constitue un document de référence en terme de recommandations et de prospective en la matière. Rapport disponible sur le site de la Documentation Française www.ladocumentationfrancaise.fr.

  2. Voir Jean-François Bayart En finir avec le co-développement. Alternatives Economiques – n°257 – Avril 2007

  3. La « paternité » politique de l’utilisation de ce concept revient au PSU qui, dans les années 1970, souhaite aborder les relations entre le Nord et le Sud, et plus spécifiquement l’aide publique au développement (APD), dans le cadre d’une analyse des besoins des États concernés.

  4. L’Université Catholique de Louvain organise en 1985, un débat sur le thème où l’on appelle à « dépasser le cadre de l’action bilatérale ». Les domaines d’action clefs alors identifiés sont la lutte contre la sous-alimentation (développement de l’agriculture vivrière, recherche pour l’environnement, développement technologique, etc.), le développement conjoint (par le développement du tissu industriel en joint-venture, le développement d’infrastructures, la mise en valeur des ressources naturelles, etc.) et la promotion et l’équilibrage des échanges (notamment par la stabilisation des cours des matières premières, l’apurement de la dette, la stabilisation monétaire, etc.). A ce propos, on peut lire l’ouvrage de Fweley Diangitukwa « Migrations internationales, codéveloppement et coopération décentralisée », Harmattan, collection « Etudes Africaines ».

  5. Jean-Pierre Cot, Ministre délégué chargé de la coopération et du développement de 1981 à 1982, est le premier à utiliser l’expression en 1981.

  6. Cela coïncide avec l’irruption de la question migratoire dans le débat politique française (inscription durable du discours du Front National dans le champ politique, montée de « nouveaux périls » suite à la chute du Mur, etc.).

  7. Réunion du 5 décembre 2006 citée dans le « Rapport d’information de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le co-développement et les relations entre politique de développement et politique de gestion des flux migratoires », Sénat, par Mme Tasca, M Pelletier et M Barraux. 25 juillet 2007.

  8. A ce propos lire la note de Michel Feher, 05 juin 2009. Terra Nova.

  9. C’est le cas par exemple de la Conférence ministérielle Euro-africaine sur les migrations et le développement organisée en juillet 2006 à Rabat (Maroc).

  10. Le « co-développement à la Marocaine » prend une dimension de « partenariat privilégié » tel que définie dans le projet d’Union de la Méditerranée et vise à la structuration d’un espace d’échange entre l’Europe et le Maroc et finalement entre le Maroc et le reste de l’Afrique.

  11. La France a signé plusieurs conventions avec le Mali (2000, 2006) qui vise à soutenir le développement des zones d’origine et les investissements productifs, favoriser la réinsertion économique, promouvoir la solidarité chez les jeunes français issus de l’émigration malienne, encourager l’investissement à distance. Les initiatives récentes sont sensées s’intégrer dans les plans de développement locaux (financés par les migrants et les acteurs publics dont les collectivités locales et les associations opératrices de projet) et insister sur le volet développement de l’appareil productif (avec un sous-volet réinsertion économique et un autre investissement à distance).

  12. Source : Banque Mondiale. Recueil de statistiques 2008 sur les migrations et les envois de fonds. Ne sont pris en compte que les transferts formels qui passent par des canaux légaux. En sont exclus les opérations effectuées par des canaux officieux type Hundi ou lors de retour en vacances.

  13. A ce propos, on peut consulter le site internet de l’Agence Française de Développement www.afd.fr

  14. Ainsi, on pourrait imaginer qu’une partie de ces fonds pourrait être réinvestie dans les Etats d’origine dans le cadre d’accords spécifiques afin qu’ils servent à la mise en place de politiques publiques indispensables notamment dans le domaines éducatifs, économiques ou sanitaires et sociaux.

  15. 16. A ce propos on peut lire l’article de Christophe Courtin « Le co-développement : un alibi pour des politiques migratoires restrictives ». Revue internationale stratégique n°68. 2007–4. ISSN 1287–1672 | ISBN 9782247077861 | pages 43 à 47

  16. Le FORIM (Forum des organisations de solidarité internationales issues des migrations), fondé en plateforme nationale en 2002, regroupe plus de 700 structures comme des association de migrants, des ONG de Développement, des acteurs de la solidarité. D’autres initiatives : le réseau EUNOMAD qui, depuis 2007, fédère des associations au niveau européen (dont plusieurs françaises) ou le Forum Mondial sur la Migration et le Développement (depuis 2007).

  17. Notamment les opérateurs de transferts de fonds, les banques commerciales et les entreprises des secteurs employeurs de main – d’œuvre immigrée. Les sociétés européennes opérant dans les pays émetteurs de flux migratoires et les sociétés transnationales, les acteurs économiques bénéficiaires de la main – d’œuvre immigrée ne peuvent se tenir hors du débat.

  18. Ainsi, les mots d’Alain Joyandet, Ministre de la Coopération et de la Francophonie (Libération, Juin 2008), qui estimait que si l’on veut bien aider l’Afrique « il faut que ça nous rapporte », traduisent encore une fois une vision utilitariste de la coopération.

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