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Série « Européennes 2024 »

Le Pacte vert européen – Un bilan

Avec le Pacte vert européen, la Commission européenne a fait des enjeux climat et de protection de la nature le cœur de son projet politique, en se dotant d’une stratégie politique de transformation de son économie, ambitieuse à la fois dans ses objectifs de long terme mais aussi dans sa vision et son application transversale.

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Introduction

Annoncé en décembre 2019, le Pacte vert européen (European Green deal) est l’acte politique et stratégique prioritaire de la Commission européenne nommée après les élections de mai 2019. Par ce moyen, elle s’engage résolument à faire de l’Union européenne (UE) le premier continent au rendez-vous de la neutralité climatique[1] en 2050, apportant ainsi une réponse politique complète aux constats scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et aux engagements pris en 2015 dans le cadre de l’Accord de Paris.

Le 11 décembre 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, présente le Pacte vert comme un défi aussi grand que celui lancé par les Américains en 1961 pour aller marcher sur la Lune (« man on the moon moment ») : il doit conduire à une modification profonde des politiques énergétiques, industrielles et économiques de l’UE mais aussi à un changement des modes de vie des citoyens européens. En matière d’action climatique, l’UE ne part pas d’une page vierge : elle construit au contraire sur l’expérience acquise au cours des 15 dernières années avec la mise en place d’outils communautaires comme le système d’échange de quotas d’émissions de CO2 (SEQE ou système ETS) ou encore des politiques sectorielles dédiées. C’est ce qui lui a permis de respecter ses objectifs 2020 et ses engagements internationaux jusqu’à présent.

Cette nouvelle feuille de route vise à dépasser l’action climatique en silo, souvent réduite au secteur de l’énergie, en portant une vision systémique permettant d’aligner les politiques de quasiment tous les secteurs économiques : énergie, transport, industrie, alimentation et agriculture, financement et redistribution, protection de la biodiversité et de la nature… Le Pacte vert est également assorti d’un plan d’investissement ambitieux, devant mobiliser plus de 1000 Mds d’euros de financements sur 10 ans, en dédiant environ 30% du budget septennal 2021–2030 et des financements de relance suite à la crise COVID à des investissements verts. Coordonnée à grande échelle, multisectorielle, programmée sur plusieurs années, l’entreprise politique est monumentale et sans exemple ailleurs dans le monde.

En 2023, quatre ans et plusieurs crises plus tard (pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, retour de l’inflation…), le bilan est considérable : un peu plus de 150 propositions[2] législatives, stratégies et plans d’actions ont été annoncés pour concrétiser le Pacte vert. Une soixantaine de ces textes ont été présentés, dont environ deux tiers ont été adoptés par le Conseil européen et le Parlement européen. Adoption d’un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 (-55% net par rapport à 1990), fin de la vente des véhicules neufs émetteurs de CO2 en 2035, mise en place d’une taxe carbone aux frontières font partie des mesures phares du Pacte vert. Mais beaucoup d’autres, souvent moins visibles, s’y ajoutent.

Alors que la mandature du Parlement européen approche de son terme, la concrétisation du Pacte vert suscite pourtant de nombreux débats. Certains le jugent insuffisamment ambitieux en ce qui concerne la transition agricole ou la rénovation des logements ou l’ambition de l’Accord de Paris. D’autres, insuffisamment financé. D’autres encore, irréaliste dans le contexte de crise énergétique et inflationniste. Beaucoup de dirigeants européens appellent désormais à une « pause » dans l’élaboration de nouvelles législations, invoquant le risque de perte de compétitivité, l’absence d’impact mondial de mesures environnementales prises uniquement au niveau européen ou encore le cadeau fait aux producteurs asiatiques de technologies vertes qui sont parfois les mieux à même de servir la demande européenne. Le Parlement européen, favorable au Pacte vert en début de mandature, s’est opposé à plusieurs textes législatifs liés à en 2023 : le PPE, avec l’aide de l’extrême droite, mais aussi de certains élus socialistes du sud et de l’est de l’Europe voire de libéraux de pays du nord, a remporté plusieurs victoires.

Sans prétendre à l’exhaustivité, cette note propose une traversée des nombreux textes, paquets et stratégies du Green Deal afin d’en dresser un bilan. L’objectif est d’abord de prendre la mesure de son ambition et de ses réalisations. Il est aussi d’y voir plus clair dans son architecture et ses sous-ensembles. Il est, enfin et surtout, de nourrir un débat informé et lucide dans le cadre de la campagne des élections européennes à venir (9 juin 2024) sur ce qui aura été un axe prioritaire de la Commission européenne tout au long de cette mandature et donc un pilier central de l’action de l’exécutif européen sortant. Cet exercice vaut la peine car le Green Deal est, à ce jour, la démarche politique la plus accomplie de mise en œuvre des engagements climatiques et de transition écologique à l’échelle d’un continent. Avec le Net-Zero Industry Act (législation pour une industrie zéro émissions nette), le Green Deal est aussi une réponse européenne pour rester dans la course mondiale des technologies de décarbonation. Cet exercice permettra également de se tourner vers l’avenir en considérant ce qui reste à faire et les points de résistance à surmonter.

1. Rappel historique

Les élections européennes de 2019, dans un contexte de montée des inquiétudes vis-à-vis du dérèglement climatique, ont été marquées par la forte progression du vote écologiste[3]. Dès novembre 2019, le nouveau Parlement européen déclarait l’urgence climatique[4] et demandait à la Commission de veiller à ce que toutes ses propositions soient alignées sur l’objectif d’un réchauffement climatique mondial limité à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle.

C’est dans ce contexte qu’en décembre 2019 la Commission européenne annonce sa volonté de relever fortement l’ambition climatique et environnementale de l’Union européenne au moyen d’un programme transversal appelé Pacte vert européen (European Green Deal). Ensemble de politiques reposant sur des mesures à la fois règlementaires, non règlementaires et financières, ce Pacte vert doit poser les jalons de la réponse de l’UE à la crise climatique et environnementale, dans tous les secteurs de l’économie. L’objectif ultime est que l’Europe soit le premier continent à atteindre la neutralité climatique en 2050, date à laquelle la Commission associe deux autres objectifs : dissocier la croissance économique de la consommation de ressources et ne laisser personne de côté.

C’est aussi en décembre 2019 que le Conseil de l’UE adopte l’objectif de neutralité carbone en 2050, actant une volonté politique forte de la part d’une institution souvent peu ambitieuse sur les questions environnementales. Dans le contexte international marqué par le retrait de l’Amérique de Trump de l’Accord de Paris, l’annonce européenne du Green deal est en avance de phase et enclenche une dynamique positive : la Chine, le Japon, et la Corée s’empressent de sortir leurs annonces et les plans qui vont avec au cours de l’année 2020[5].

Première déclinaison concrète du Pacte vert, un accord politique du Parlement européen et des États membres voit le jour en avril 2021 sur la « loi européenne sur le climat » qui entérine deux objectifs majeurs : la neutralité climatique en 2050 et le relèvement de l’ambition pour 2030, à savoir une réduction domestique des émissions nettes[6] de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990[7]. Le précédent objectif 2030, décidé en 2014, était une réduction des émissions brutes[8] de GES d’au moins 40% par rapport à 1990.

Dès l’adoption de ces nouveaux objectifs, la Commission propose en juillet 2021 un paquet de treize législations qui doivent permettre d’atteindre le nouvel objectif 2030, paquet dit de « l’Ajustement au 55% » (Fit for 55 en anglais). Il s’agit d’une révision complète du cadre énergie climat européen existant (voir infra p. 6) qui constitue le cœur du Pacte vert pour le climat.

En parallèle de la volonté d’atterrissage rapide sur un accord politique et formalisé sur les nouveaux objectifs climatiques, le printemps 2020 voit fleurir une série de stratégies sectorielles sous forme de communications de la Commission, qui déclinent de manière cohérente les ambitions de transformation du Pacte vert sur plusieurs dimensions[9] . Ces communications explicitent les orientations stratégiques de la Commission en matière d’objectifs sectoriels, de propositions législatives, de révisions de législations existantes, de mesures non règlementaires et/ou de moyens alloués.

Une mandature émaillée de crises

Le programme de travail riche et dense ouvert par les annonces de 2019 et la publication des stratégies sectorielles en 2020 est très vite bousculé par la pandémie de COVID-19. Cette première crise révèle la dépendance de l’UE aux importations de produits essentiels (masques, médicaments…). Sans que ces denrées ne soient directement liées aux enjeux écologiques, la crise ouvre le débat sur la relocalisation industrielle et la construction d’une réponse européenne face à une production moins-disante sur les enjeux environnementaux. La crise COVID sensibilise également la population au lien entre environnement et santé, par la démonstration des effets dévastateurs d’apparition de nouvelles maladies.

Le Pacte vert reste la boussole de l’UE pour le plan de sortie de crise. Dans ce contexte, un tiers des 1.800 milliards d’euros d’investissements du plan de relance NextGenerationEU (dont 700 Mds d’emprunt commun) doivent financer le Pacte vert (complété par le budget septennal de l’UE).  

La crise des prix de l’énergie qui s’ouvre à l’été 2021 avec la reprise mondiale et qui s’accentue avec le début de la guerre en Ukraine, apporte un regard nouveau sur les enjeux de décarbonation. La dépendance de l’UE aux énergies fossiles et en particulier au gaz russe éclate aux yeux des dirigeants européens : les États membres sont contraints de revoir leurs plans d’approvisionnement énergétique et sont confrontés à des crises de compétitivité et de cohésion sociale en raison de l’augmentation des prix de l’énergie. Près de 800 milliards d’euros seront dépensés entre septembre 2021 et janvier 2023 par les gouvernements des États membres pour limiter l’impact de l’inflation des prix de l’énergie sur les ménages et les entreprises[10].

Si cette crise a eu pour effet pervers de renforcer, au moins temporairement, les subventions aux énergies fossiles, elle conforte l’objectif de l’UE d’en sortir à moyen terme et d’accélérer les économies d’énergie et les gains d’efficacité. En 2022, la consommation finale d’énergie a ainsi baissé de 15% par rapport à 2021 en Europe[11].

La crise inflationniste de 2022 et surtout le soutien massif du gouvernement américain aux entreprises et industries vertes à travers l’Inflation Reduction Act ont été les déclencheurs du renforcement du volet industriel du Pacte vert[12], annoncé le 1er février 2023 et l’adoption de la législation pour une industrie zéro émissions nettes (Net-Zero Industry Act).

En 2023 le Pacte vert ralentit

Jusqu’en 2023, et malgré les crises importantes qui ont jalonné la mandature (Covid-19, guerre en Ukraine…), la Commission européenne et le Parlement auront gardé le cap des objectifs climatiques et de protection de la nature. Une soixantaine de propositions législatives ont vu le jour dont la majorité (2/3) ont été adoptées. Par ailleurs, l’ambitieux paquet Fit for 55 est presque entièrement entériné, avec de nombreux accords politiques obtenus sous la Présidence française du Conseil de l’UE.

Mais l’année 2023 est marquée par la montée des réticences sur la concrétisation du Pacte vert. La loi sur la restauration de la nature a été adoptée de justesse par le Parlement européen en juillet 2023 dans une version très affaiblie[13]. Les chefs d’États et de gouvernements européens (Chypre, Lettonie, Suède, Grèce, Autriche, Finlande, Croatie et Irlande) approuvent le 29 juin une déclaration du Parti populaire européen (PPE) qui demande « une pause règlementaire » sur la mise en œuvre du Pacte vert, portés notamment par les réticences du monde agricole. Quelques mois plus tôt, le Président français Emmanuel Macron avait lui aussi demandé une pause sur le volet industriel du Pacte vert afin de pouvoir déjà mettre en œuvre ce qui avait été voté.

Alors qu’il reste encore des textes à négocier et malgré ces réticences, Ursula von der Leyen annonce vouloir « garder le cap » et « rester ambitieux » dans son quatrième et dernier discours sur l’État de l’Union en septembre 2023. Cependant, dans son programme de travail 2024 publié en octobre 2023, la Commission acte l’abandon de trois textes importants du Green Deal : la révision du règlement REACH sur la pollution chimique, et de nouvelles propositions de textes sur les systèmes alimentaires durables et le bien-être animal.

 

2. L’intervention de la collectivité, légitimité et efficacité

2.1. Ajustement à l’objectif 55% ou Fit for 55

Élément central du Pacte vert, le paquet « Ajustement à l’objectif 55% » (Fit for 55) rassemble une vingtaine[14] de textes et législations qui doivent permettre à l’UE d’atteindre en 2030 une réduction des émissions nettes de GES de –55% par rapport à 1990.

Il s’agit du paquet législatif le plus abouti du Pacte vert européen, dont la totalité des textes les plus importants ont été adoptés. Il fixe à la fois de nouveaux objectifs pour 2030 et les moyens d’y parvenir (voir Figure 1).

Figure 1 – Ensemble des mesures législatives et non législatives pour atteindre les objectifs climatiques de 2030– Source : Commission européenne

Historique des engagements climat de l’UE

En réponse à l’urgence climatique, l’UE s’est fixée à partir de 2009 des objectifs climatiques de plus en plus ambitieux. Ils reposent sur trois axes : réduction des émissions de GES, augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et réduction de la consommation d’énergie.

Le Paquet, dit « 3×20 » adopté en 2009 fixait des objectifs climat énergie à l’horizon 2020 : réduction des émissions de GES d’au moins 20% en 2020 par rapport à 1990, augmentation de 20% de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie, réduction de 20% de la consommation d’énergie par rapport à un scénario tendanciel.

Le paquet climat-énergie 2030, adopté en 2014, visait à l’horizon 2030 une réduction d’au moins 40% des émissions de GES par rapport à 1990, une hausse de 32% de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et un objectif d’efficacité énergétique de 27 % (réduction de la consommation d’énergie primaire par rapport au scénario tendanciel pour 2030).

Depuis le début des années 2000, l’UE ne se contente plus de se fixer des objectifs mais se dote également d’un corpus de politiques sectorielles de plus en plus robuste visant à mettre en œuvre ces objectifs. Avec la mise en place dès 2003 du système d’échange de quota d’émissions (SEQE) ou système ETS, l’UE se dote d’une stratégie claire d’application du principe pollueur-payeur sur le secteur industriel et la production d’électricité européens. Sur les autres secteurs, l’UE adopte également des politiques sectorielles dédiées.

L’UE a atteint les trois grands objectifs qu’elle s’était fixés en 2009 pour 2020, aidée néanmoins par la conjoncture de la crise COVID[15], en particulier pour l’objectif d’efficacité énergétique (voir Figure 2).

Figure 2 – Objectifs et trajectoires de réduction d’émissions de GES de l’UE – Source : Cour des comptes européenne

Réduction et absorptions des émissions de gaz à effet de serre (GES)°

Le nouvel objectif climat « -55% » défini dans la loi européenne pour le climat (voir Section 1) implique plus que le doublement du rythme de réduction des émissions de GES en Europe. Cela nécessitera d’adopter les mêmes tendances pour les secteurs énergétique et industriel mais aussi d’accélérer fortement dans des secteurs qui jusqu’à présent ont peu ou pas réduit leurs émissions comme le transport, les bâtiments ou l’agriculture. Le défi est donc double : un changement de rythme de la transition mais aussi un changement de nature des politiques. Jusqu’à présent, la décarbonation en Europe touchait des centres de gros émetteurs (centres industriels, centrales électriques) disposant de marges d’efficacité ou d’alternatives plutôt simples à mettre en œuvre (comme le remplacement de centrales à charbon par du gaz naturel). Dans les années qui sont devant nous, la décarbonation en Europe va petit à petit devoir toucher des secteurs ou des acteurs qui ont moins d’alternatives, des émissions plus diffuses (petites industries, agriculteurs) ou encore les modes de vie des citoyens eux-mêmes (transport routier, logement). Et de soulever de manière beaucoup plus aiguë des questions d’équité entre acteurs, entre secteurs ou entre pays, ou des questions de soutenabilité et d’accompagnement.

Cet objectif se décline, comme dans les cadres énergie climat précédents, selon trois objectifs dits sectoriels :

  • Les émissions couvertes par le système d’échange de quota d’émissions (SEQE) ou ETS (Emissions Trading Systems) en anglais ;
  • Les autres secteurs régis par le règlement dit du partage de l’effort ;
  • Le secteur de l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie (UTCATF).

Les émissions de gaz à effet de serre de l’UE[16]

Les émissions nettes de GES de l’UE, en incluant le secteur des terres (UTCATF[17]) et l’aviation internationale, baissent depuis les années 1990, pour atteindre en 2022 –31% par rapport à 1990 et –2% par rapport à 2021. Dans un contexte de reprise économique après à la crise sanitaire, les émissions de GES avaient augmenté de 5% en 2021 par rapport à 2020. C’est donc un retour à la baisse des émissions en Europe après la crise COVID 19.

La réduction des émissions de GES varie beaucoup selon les secteurs. En 2021, le secteur de l’approvisionnement en énergie a réduit ses émissions de près de 40 % par rapport aux niveaux de 2005. Les secteurs des déchets, de l’industrie et du bâtiment ont également réduit leurs émissions de plus de 20 % au cours de cette période, alors que dans les secteurs des transports et de l’agriculture, les émissions n’ont diminué respectivement que de 11% et 3%.

Bien qu’il se soit beaucoup décarboné depuis 2005, le secteur de la production d’énergie reste la principale source d’émissions de GES en 2022 (26% du total hors UTCATF), suivie du transport (23%), de l’industrie (20%), des bâtiments (14%) et de l’agriculture (11%) (Figure 3). En 2022, en raison de la crise énergétique, les émissions du secteur industriel et des bâtiments ont baissé avec l’augmentation du prix de l’énergie, et celles du secteur de l’approvisionnement en énergie ont augmenté avec un recours accru au charbon.

Le total des émissions de GES liées au secteur UTCATF est négatif dans l’UE, ce qui signifie que l’UTCATF absorbe plus de CO2 qu’il n’en émet. Le principal puits de carbone est lié à la croissance de la forêt alors que le secteur de l’usage des sols est émetteur en raison de l’artificialisation et de la mise en culture des prairies. Le secteur UTCATF est passé de –210 Mt CO2eq en 1990 à près de –350 Mt CO2eq dans les années 2010. En 2022, il était quasiment revenu à son niveau de 1990 en absorbant plus que –244 Mt CO2eq, représentant 7% des émissions hors UTCATF. Cette forte réduction du puits de carbone forestier européen est très inquiétante, y compris en France[18]

Figure 3 – Répartition des émissions de GES dans l’UE à 27 en 2022 et comparaison avec les années 2005, 2020, et 2021 (source ; Agence européenne de l’environnement)[19]

Principal outil dont dispose l’UE pour réduire ses émissions de GES, le SEQE est fondé sur un système de plafonnement et d’échange de quotas d’émission pour les industries à forte intensité énergétique et pour le secteur de la production d’électricité. Il couvre environ 40% des émissions de GES de l’UE et environ 10 000 entreprises. Les secteurs couverts par le SEQE ont vu leurs émissions baisser de près de 43% entre 1990 et 2020, atteignant ainsi les objectifs prévus pour 2030 (par le Cadre énergie climat) dès 2020 (voir Figure 4).

L’ambition générale de réduction d’émission sur les secteurs couverts a été revue à la hausse passant de –43% en 2030 (par rapport à 2005) à –62%, et le périmètre des secteurs couverts par le SEQE est élargi au transport maritime.

Élément très important du Paquet Fit for 55, un deuxième système d’échange de quota d’émissions (SEQE II) couvrant les nouveaux secteurs de vente de combustibles pour le transport routier et les bâtiments, ainsi que les carburants pour des secteurs supplémentaires, doit voir le jour en 2027. En soumettant de fait les secteurs du transport routier et du logement à une tarification du carbone, le SEQE II renforcera les incitations à investir dans les solutions bas-carbone et les économies d’énergie. Mais c’est également un sujet particulièrement sensible en raison de l’impact potentiellement régressif sur les ménages. En 2018 en France, l’augmentation de la taxe carbone sur les carburants et les combustibles pour le chauffage, associée à une forte croissance du prix des énergies fossiles sur les marchés internationaux, avaient déclenché la protestation sociale des Gilets jaunes. 

Afin de limiter l’impact pour les plus démunis, l’entrée en vigueur du futur SEQE 2 sera assortie de deux mesures de protection des ménages : un « frein d’urgence » permettant de reporter le SEQE II à 2028 au cas où le prix des énergies fossiles s’envoleraient en 2027 et un plafonnement du prix de la tonne de CO2 à 45 € (jusqu’en 2030). Avec ce plafonnement l’impact pour les ménages français pourrait être limité dans la mesure où il représente environ 12 cts€/l pour le gazole, à comparer à la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) qui s’élevait à 61 cts€/l en 2023).[20]

Figure 4 – Émissions de GES et objectifs de réduction pour les secteurs couverts par le SEQE

(Source : Cour des comptes européenne)

Ce renforcement important de l’ambition et du périmètre du SEQE, s’accompagne de mesures visant à protéger les industries européennes soumises à la concurrence internationale d’une part et les ménages d’autre part.

Côté industries, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), parfois qualifié de « taxe carbone aux frontières », est adopté en juillet 2021 sous présidence française de l’UE, afin d’éviter le risque de voir les politiques climatiques de l’Union compromises par la délocalisation de la production vers des pays appliquant des normes écologiques moins ambitieuses. Le MACF vise à protéger la compétitivité sur le marché européen d’industries à forte intensité de carbone (ciment, fer et acier, aluminium, engrais, électricité et hydrogène) qui ne pourront en parallèle plus bénéficier de quotas de CO2 gratuits. La bascule entre les deux systèmes doit de faire progressivement de 2025 à 2034[21]. A ce stade, le MACF ne vise cependant pas les produits finis (par exemple une voiture) ce qui fait porter un risque de stratégie de substitution[22].

En plus des mesures de protection déjà évoquées pour la mise en place du SEQE II, l’UE a mis en place un nouveau mécanisme financier, le Fonds social pour le climat. Laissé à la main des Etats membres, ce mécanisme accompagnera les entreprises et les ménages les plus démunis lors du déploiement du SEQE II (voir infra p. 14).

Le règlement sur la répartition de l’effort (dit « ESR »)[23] fixe des objectifs annuels contraignants en matière d’émissions de GES pour les États membres dans les secteurs qui ne sont couverts ni par le marché ETS ni par le règlement UTCATF. Parmi ces secteurs figurent le transport routier, les bâtiments, l’agriculture, les déchets et les petites industries. Les nouvelles règles, s’inscrivant dans le cadre du paquet Fit for 55, porteront l’objectif de réduction des émissions de GES au niveau de l’UE d’ici 2030 de 29 % à 40 % par rapport à 2005, dans les secteurs concernés. Le règlement révisé fixe pour chaque État membre un objectif national plus élevé (voir Figure 5) et adapte la manière dont les pays peuvent utiliser les flexibilités existantes pour atteindre leurs objectifs.

Figure 5 – Augmentation prévue des objectifs nationaux en 2030 (en %) – Source : Conseil européen

Nouveauté importante de l’objectif « -55% », l’UE se dote d’objectifs chiffrés non seulement en termes de réduction d’émissions mais également d’absorption d’émissions. Ainsi, le règlement UTCATF[24] fixe un objectif pour ce secteur d’un puits de carbone de –310 Mt CO2eq en 2030, et le secteur dit des terres (agriculture hors émissions N2O et CH4 et UTCATF) doit être neutres en CO2 en 2035. Des objectifs nationaux contraignants sur le secteur UTCATF et les puits de carbone dans les sols sont également définis pour chaque État membre.

A côté de cette architecture de textes climat, le paquet Fit for 55 contient également une série de textes sectoriels sur l’énergie, les carburants et les transports propres.

Économiser l’énergie et développer les énergies renouvelables

L’ambition sur le secteur de l’énergie est également considérablement relevée par la révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III)[25]. La part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans le bouquet énergétique global devra être d’au moins 42,5% en 2030 (contre les 32% visés antérieurement).

La révision de la directive de l’UE relative à l’efficacité énergétique[26] fixe, pour sa part, un objectif de réduction de la consommation finale d’énergie européenne de 11,7% en 2030 par rapport aux projections réalisées en 2020. Les États membres devront réaliser des économies annuelles de 1,49 % en moyenne entre 2024 et 2030.

Figure 6 – Objectifs en matière de consommation primaire et finale d’énergie par rapport aux projections de 2007 en matière de consommation à l’horizon 2030. Source : Conseil européen

Investir dans les transports bas-carbone

Le trafic routier représente 15% du total des émissions de CO2 de l’UE et les émissions causées par ce mode ont augmenté de 21% entre 1990 et 2021[27]. Texte phare du Pacte vert, le règlement révisé sur les normes d’émissions de CO2 garantira que toutes les voitures et camionnettes neuves immatriculées en Europe seront à émissions nulles d’ici à 2035. Comme étape intermédiaire sur la voie de la neutralité climatique, les émissions moyennes des voitures neuves devront diminuer de 55% d’ici à 2030 et celles des camionnettes neuves de 50% à la même échéance.

Les carburants du transport aérien et maritime sont l’objet de deux initiatives spécifiques, respectivement RefuelAviation et FuelEUMaritime. Le premier établit des règles harmonisées à l’échelle de l’UE pour la promotion des carburants durables d’aviation (CDA), une part minimale croissante de CDA devant être mélangée au kérosène par les fournisseurs de carburant d’aviation et fournie aux aéroports de l’UE. Néanmoins, le potentiel des CDA pour décarboner l’ensemble de l’industrie aérienne reste faible sans réduction du trafic aérien, car leur production est en forte concurrence avec d’autres secteurs, et en premier lieu la production alimentaire[28]. Quant au règlement FuelEUMaritime, il encourage l’utilisation de carburants renouvelables et bas carbone en fixant un objectif de réduction progressive de l’intensité annuelle moyenne des émissions de GES de l’énergie utilisée à bord des navires.

Enfin, le paquet Fit for 55 s’intéresse également aux bornes de recharge. Le règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (AFIR) fixe un certain nombre d’objectifs pour 2025 ou 2030, notamment des bornes de recharge pour voitures et camionnettes installées tous les 60 km, et des stations de ravitaillement en hydrogène dans tous les nœuds urbains.

Quelques textes sont encore en négociation

La Directive relative à la taxation de l’énergie n’a pas encore trouvé l’unanimité requise pour son adoption au Conseil de l’UE[29].

La Commission a également fait une proposition de révision de la directive relative à la performance énergétique des bâtiments avec comme objectif la rénovation énergétique de 35 millions de bâtiments dans l’UE d’ici à 2030 et la décarbonation du parc immobilier d’ici à 2050. Les députés européens ont adopté, non sans difficulté, un texte plus ambitieux que celui de la Commission et celui adopté par le Conseil. Ce texte et son niveau d’ambition suscitent un débat important parmi les dirigeants européens, en particulier sur le maintien ou non des « normes minimales de performance énergétique » (EU MEPS) à partir de 2030, ce qui de fait rendrait les rénovations obligatoires à partir de 2030. Cette disposition, retirée du texte adopté par le Conseil de l’UE, et réintroduite par le Parlement, risque très probablement d’être retirée lors des négociations en trilogue[30].

La Commission a enfin proposé une nouvelle règlementation visant à réduire les émissions de méthane, deuxième GES le plus important dans le secteur de l’énergie. Cette proposition s’inscrit dans le cadre de l’engagement mondial concernant le méthane lors de la négociation climat de Glasgow en 2021 (COP26), dans le cadre de laquelle plus de 100 pays se sont engagés à réduire leurs émissions de méthane de 30 % en 2030 par rapport aux niveaux de 2020.

2.2 Adaptation

Comme pour l’atténuation, les enjeux d’adaptation touchent de manière transversale un nombre important de secteurs de l’économie. A la différence de la réduction d’émissions de GES, il n’existe pas de métrique simple et uniforme pour définir un niveau d’adaptation ou de résilience d’un secteur, d’un territoire ou d’une économie. En dehors de quelques sujets précis (partages de données, par exemple), il s’agit avant tout d’adapter des politiques et des processus de décision.

Adoptée en juin 2021 par les ministres de l’environnement, la stratégie pour l’adaptation au changement climatique contient peu d’éléments normatifs ou opérationnels, mise à part la mise en place d’un système améliorant la collecte et le partage de données (Climate-ADAPT) et l’objectif d’intégrer l’adaptation dans les politiques macro-budgétaires.

2.3 Accompagnement des plus démunis

En s’attaquant aux secteurs diffus comme le transport routier, la rénovation des bâtiments, le renforcement des politiques climat crée un risque pour les ménages ou les entreprises les plus fragiles ou les plus exposés, nécessitant un accompagnement.

La réforme du SEQE permettra d’abord d’augmenter les ressources des États membres, liées à la vente des quotas d’émission, recettes qui doivent être consacrées à 100% à des projets liés au climat, à l’énergie et à l’accompagnement social de la transition.

Deuxièmement, un nouvel instrument financier est créé, le fonds social pour le climat, visant à soutenir financièrement les citoyens et les entreprises les plus touchés par la création du nouveau SEQE II. À ses débuts, le fonds sera financé par les revenus obtenus de la mise aux enchères de 50 millions de quotas estimés à environ 4 milliards d’euros. Une fois que l’extension du SEQE entrera en vigueur, le Fonds social pour le climat sera financé par la mise aux enchères des quotas du SEQE II jusqu’à un montant de 65 milliards d’euros, avec 25% additionnels couverts par les ressources nationales. Les États membres peuvent utiliser ces fonds, via des aides à l’investissement ou des aides directes au revenu, temporaires et limitées.

 

3. Biodiversité

A la différence de l’action climatique européenne qui repose en grande partie sur un outil communautaire, le système SEQE, la protection effective de la biodiversité en Europe repose intégralement sur la bonne application au niveau national des législations décidées au niveau européen. Et la législation environnementale est celle qui a été le plus négligée par les États membres par le passé.

Adoptée par le Conseil en octobre 2020, la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 propose :

  • l’extension des zones protégées maritimes et terrestres en Europe ;
  • la restauration des écosystèmes dégradés par la réduction de l’usage et de la dangerosité des pesticides ;
  • un financement accru des actions et un meilleur suivi des progrès. 

3.1 Restauration de la nature

Pour mettre en œuvre cette stratégie, la Commission présente en juin 2022, la proposition de loi dite de « restauration de la nature » fixe des objectifs contraignants (restauration d’au moins 20% des superficies terrestres et maritimes de l’UE d’ici à 2030) et vise à inverser la perte de biodiversité, dans l’agriculture et les forêts notamment.

Au Parlement, le texte a été adopté de justesse au prix d’une baisse importante de l’ambition : abandon des objectifs chiffrés et disparition de toutes les mesures visant la restauration des écosystèmes agricoles, en raison d’une forte mobilisation des députés PPE.

Après de nombreux débats, les colégislateurs se sont mis d’accord le 9 novembre 2023 sur un objectif européen d’au moins 20% des zones terrestres et 20% des zones maritimes restaurées d’ici 2030. Pour atteindre ces objectifs, les pays de l’UE doivent restaurer au moins 30 % des types d’habitats concernés par la nouvelle loi d’ici 2030, 60 % d’ici 2040 et 90 % d’ici 2050. Cet accord a été obtenu au prix de l’abandon des objectifs chiffrés pour les terres agricoles, et en y laissant que des contraintes de moyens. Malgré une baisse de l’ambition, les ONG environnementales ont exprimé leur soulagement qu’un accord ait pu être trouvé. Ce texte doit encore être approuvé par le Parlement européen par un vote en plénière, deux votes qui pourrait être une occasion pour le PPE d’essayer de le faire tomber. 

3.2 Forêt

La protection et exploitation durable de la forêt et la lutte contre la déforestation sont des sujets importants pour la protection de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. Réservoir de biodiversité, les forêts en croissance séquestrent en effet du carbone chaque année et, s’il est exploité de manière soutenable, le bois produit peut servir de ressource renouvelable pour les matériaux ou l’énergie.

Actuellement, 43,5 % des terres de l’UE, soit près de 182 millions d’hectares, sont constituées de forêts et autres terres boisées. Mais ces surfaces connaissent une pression croissante, notamment en raison du changement du climat. Le puits forestier européen qui absorbait entre 400 et 450 Mt CO2eq/an entre 1995 et 2015, a connu une baisse importante pour ne plus absorber qu’environ 300 Mt CO2eq en 2021 (voir Figure 7).

Figure 7 – Émissions du secteur UTCATF de l’Union européenne – Source : Chiffres clés du climat 2023 d’après AEE

Cette dégradation du puits forestier européen est à l’image de ce qui se passe en France. En 2021, les forêts françaises absorbaient environ deux fois moins de carbone que sur la période 2010–2015.

La bonne santé des forêts et du secteur forestier est donc un élément clé dans l’atteinte de l’objectif –55%. La stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030, présentée en juillet 2021 constitue logiquement un élément important du Pacte vert pour l’Europe. Même si, en raison de l’absence de compétence sur le secteur forestier, la stratégie repose uniquement sur des objectifs quantitatifs (planter 3 milliards d’arbre) ou d’incitations financière aux propriétaires et aux gestionnaires de forêts pour qu’ils adoptent des pratiques respectueuses de l’environnement.

3.3 Lutte contre la déforestation importée

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), estime que la consommation de l’UE représente environ 10% de la déforestation mondiale[31]. L’huile de palme et le soja sont responsables de plus des deux tiers des pertes de surface forestière dans le monde[32].

À la suite d’un accord politique en novembre 2022, le Règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE) a été adopté en mai 2023[33]. Les entreprises ne seront autorisées à vendre leurs produits dans l’UE que si les fournisseurs publient une déclaration confirmant qu’ils ne proviennent pas terres déboisées et n’ont pas causé la dégradation des forêts. Les produits concernés sont : l’huile de palme, la viande de bœuf, le bois, le café, le cacao, le caoutchouc, le soja et certains de leurs produits dérivés.

La mise en œuvre effective doit intervenir début 2025 même si de nombreuses questions sont d’ores et déjà soulevées par les pays producteurs sur le système de suivi et de contrôle de la déforestation.

 

4. Économie circulaire

La moitié des émissions de GES et 90% de la perte de biodiversité et du stress hydrique résultent de l’extraction et de la transformation des ressources.[34] Conformément à son ambition systémique, le Pacte vert comprend un volet sur l’économie circulaire et l’évolution des modes de consommation des citoyens.

Présenté en mars 2020, le plan d’action pour une économie circulaire contient de nombreuses propositions législatives et de réformes d’instruments existants visant d’une part à protéger le consommateur (droit à la réparabilité, lutte contre l’obsolescence programmée) mais aussi à orienter les choix de consommation vers des produits plus vertueux (encadrement des allégations environnementales et information des consommateurs)[35]. Ce plan met l’accent sur les secteurs les plus utilisateurs de ressources (matériel électronique et TIC, batteries et véhicules, emballages, matières plastiques, textiles, construction et bâtiment, produits alimentaires). Il est également garant d’une réduction de la production de déchets.

Le paquet législatif économie circulaire intitulé « faire des produits durables la norme »[36] publié le 30 mars 2022, contient quatre propositions de texte : écoconception, stratégies sur les textiles, nouvelles règles sur la construction, création de nouvelles règles d’information des consommateurs. Le paquet a été complété plus tard par des textes proposés jusque tardivement (deuxième trimestre 2023).

Au total, une dizaine de textes législatifs sont soit adoptés, soit en cours de discussion sur ce thème (voir ci-dessous). En intégrant un plan de développement de l’économie circulaire en Europe, le Pacte vert est doublement innovant. Il envoie d’abord le message que l’Europe n’est pas seulement comptable des émissions liées à la production mais également de celles liées à la consommation, et donc de son empreinte carbone au sens large. D’autre part, avec les mesures Greenwashing et protection du consommateur (4.2) le Pacte vert rompt avec une vision classique du droit de l’environnement qui visait à encadrer la production ou la gestion des déchets. Le Pacte vert propose une révision du droit de la consommation, faisant apparaitre que l’acte individuel de consommation est un enjeu pour la transition écologique[37].

4.1 Écoconception

Le règlement sur l’écoconception, texte phare du Paquet économie circulaire, a pour objectif de diminuer l’impact environnemental des produits commercialisés. Il dispose d’un accord provisoire entre le Conseil et le Parlement européen (décembre 2023). Il prévoit d’étendre le champ d’application du cadre d’écoconception (aujourd’hui limité à l’énergie), en fixant des critères minimaux de conditions de circularité des matériaux et de réduction de l’empreinte environnementale et climatique des produits.

La révision du règlement sur les produits de construction est en cours de négociation entre les colégislateurs[38]. Il fixe de nouvelles exigences sur la conception et la fabrication de ces produits de manière à les rendre plus durables, plus faciles à réparer, à recycler et à remanufacturer.

4.2 Protection des consommateurs et lutte contre les allégations environnementales déloyales (écoblanchiment)

A l’image des dispositions sur les allégations environnementales de la loi climat et résilience, deux directives pour réduire l’écoblanchiment (greenwashing) ont été proposées.

Un accord politique sur la directive visant à donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique[39] a été trouvé entre les colégislateurs en septembre 2023. Ce texte comporte plusieurs mesures importantes :

  • interdiction de mentions environnementales génériques sans preuve d’excellente performance environnementale reconnue qui justifie la mention (par exemple « naturel », « biodégradable », « neutre pour le climat », « éco ») ;
  • inclusion dans la liste des pratiques interdites des allégations déloyales fondées sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre, à l’instar de ce qui a été proposé en France dans la loi « Climat et résilience » sur la neutralité carbone ;
  • renforcement des mesures contre l’obsolescence précoce et clarification de la responsabilité des professionnels dans certains cas.

Les discussions démarrent sur la proposition de directive sur les allégations environnementales explicites (Green claims directive)[40], présentée par la Commission européenne le 22 mars 2023.

4.3 Gestion des déchets

Le Pacte vert s’attaque à plusieurs sujets pour la réduction des déchets. Cheval de bataille de la Commission depuis plusieurs années, le port USB Type-C devient le port standard pour tous les équipements radioélectriques[41] à partir de 2024 et à partir de 2027 pour les ordinateurs portables, grâce à l’adoption de la révision de la directive relative aux équipements radioélectriques en décembre 2022[42]. En outre, les consommateurs pourront acheter des appareils électroniques sans acheter le chargeur. Et ainsi diminuer les 11 000 tonnes de déchets de chargeurs usés ou inutilisés par an.

Afin de faire face à la demande de batteries qui devraient plus que décupler d’ici 2030, un règlement, adopté en juillet 2023, renforce les règles de durabilité applicables aux batteries et aux déchets de batteries. Il vise à la fois à promouvoir une économie circulaire et à améliorer le fonctionnement du marché intérieur des batteries, en assurant une concurrence plus équitable grâce aux exigences en matière de sécurité, de durabilité et d’étiquetage.

Une proposition de règlement encore en négociation sur les emballages a pour objectif que tous les emballages soient conçus pour être recyclables au 1er janvier 2030.

La révision de la directive cadre sur les déchets sur deux sujets – l’ajout d’un objectif contraignant de réduction des déchets alimentaires et la création d’une filière à responsabilité élargie pour le textile – est en cours de discussion au Parlement et au Conseil.

 

5. Financer la transition écologique

Atteindre les objectifs ambitieux du Pacte vert européen nécessite de mobiliser des flux financiers considérables. L’étude d’impact accompagnant la révision de l’objectif climat de 2030 mentionne la nécessité d’investir entre 2021 et 2030, chaque année 350 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la période 2011–2020[43] ; ce chiffre monte à 620 milliards d’euro supplémentaires si on souhaite tenir les objectifs climat de Fit for 55, les objectifs énergétiques de RepowerEU et les objectifs industriels de Net-Zero Industrial Act.

En janvier 2020, la Commission présentait le Plan d’investissement pour une Europe soutenable, stratégie de financement du Pacte vert avec trois objectifs :

  1. mobiliser au moins 1000 milliards d’euros d’investissements publics et privés sur la prochaine décennie ;
  2. créer un cadre facilitateur pour les investissements public et privés en faveur de la transition écologique ;
  3. aider les administrations publiques et promoteurs à identifier, structurer et mettre en œuvre les projets « verts ».

5.1 Volet financement du plan d’investissement du Pacte vert

Annoncé en 2020 avant la crise COVID, ce volet financement était constitué : du budget de l’UE et une part supposée du budget pluriannuel suivant totalisant 503 milliards d’euros), du Programme INvestUE (279 Mds d’euros), des recettes du marché carbone (SEQE) (25 Mds) et du mécanisme pour une transition juste (143 Mds euro) et de co-financements des Etats membres (143 Mds d’euro) (voir Figure 8).

Figure 8 – Plan d’investissement du Pacte vert – Source : Commission européenne

En sorte de crise du COVID-19, le Pacte vert est resté la ligne directrice des choix de financement de l’UE ; 30 % du budget pluriannuel de l’UE (2021–2027) et de NextGenerationEU, plan de relance post COVID de l’UE, seront alloués à des investissements verts.

Malgré ces initiatives, les défis de financement de la transition restent nombreux. Il faut d’abord s’assurer de l’effectivité des fonds de l’UE dédiés aux enjeux climatiques ou environnementaux. Dans un rapport spécial sur la PAC et le climat en 2021, la Cour des comptes européenne dénonçait l’inefficacité climatique des 100 milliards d’euro attribués sur la période 2014–2020 dans le cadre de la PAC[44].

Ensuite, en dehors de la part du budget de l’UE dédiée aux investissements verts, il faut s’assurer que le reste du budget ne nuit pas aux objectifs poursuivis. Or, la taxonomie verte (voir p. 20), outil qui permet justement cela, n’est pas encore appliquée au budget de l’UE.

Enfin, malgré les 50 milliards alloués par l’UE à l’action pour le climat chaque année, un plan d’investissement complémentaire serait nécessaire pour atteindre les objectifs du Pacte vert, notamment parce qu’une part importante de cette somme vient du plan de relance NextGenerationEU par nature non pérenne. Ainsi trois économistes Jean Pisani-Ferry, Simone Tagliapietra et Georg Zachmann estimaient en septembre 2023 qu’un nouveau plan d’investissement européen à hauteur de 180 milliards d’euros entre 2024 et 2030 serait nécessaire. Ils identifient deux sources possibles de financement : une allocation plus importante des recettes de la vente de quotas d’émissions (au détriment des budgets des États membres) ou un nouvel emprunt commun[45]. Il y a là un débat intéressant en amont des élections européennes : ralentissement du Pacte vert, financement sur ressources propres de l’UE ou financement supplémentaire demandé aux États membres ?

5.2 Construire un secteur financier européen durable

Sur le secteur financier, la mise en place d’une taxonomie verte (classification commune des activités économiques durables), adoptée en 2020, aura profondément marqué les débats de la mandature. A l’occasion des discussions sur les actes délégués précisant les critères sur le volet climatique de la taxonomie (atténuation et adaptation), les États membres, et singulièrement la France et l’Allemagne, se sont affrontés sur la place de l’énergie nucléaire et du gaz dans la transition bas carbone. Les deux actes délégués ont été publiés en juin 2021 et février 2022 et ont finalement admis le gaz et le nucléaire comme des « énergies de transition », assorties néanmoins de critères stricts restreignant le type de projet pouvant être classés comme utiles au climat.

Dans le cadre du Pacte vert, la Commission européenne a présenté en juillet 2021 une nouvelle stratégie pour la finance durable qui prévoit une série d’initiatives pour lutter contre le changement climatique et relever d’autres défis environnementaux, tout en renforçant les investissements – ainsi que l’inclusion des petites et moyennes entreprises (PME) – dans la transition de l’UE vers une économie durable. Elle a également proposé une norme en matière d’obligations vertes qui vise ensuite à créer une norme d’application volontaire de haute qualité pour les obligations servant à financer des investissements durables.

 

6. Industrie verte

L’industrie européenne est directement concernée par de nombreux aspects du Pacte vert européen : renforcement du marché du carbone, règlementation sur la pollution chimique, régulation des marchés de l’énergie. Les industries de demain sont celles qui auront réussi à anticiper les transformations l’œuvre aujourd’hui. A côté de ces politiques sectorielles, la Commission a souhaité développer une stratégie spécifique de la politique industrielle européenne, qui vise à aider l’industrie à jouer son rôle d’accélérateur et catalyseur du changement, de l’innovation et de la croissance (mars 2020).

Cette stratégie industrielle a été mise à jour plusieurs fois. D’abord en mai 2021, en sortie de la crise COVID, ce sont les objectifs de renforcement de la résilience et la compétitivité de l’Europe qui ont été mis en avant. 

Une deuxième actualisation voit le jour en février 2023, dans un contexte de crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, d’inflation forte et suite à la publication aux Etats-Unis de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act)[46] en aout 2022. Le plan industriel du Pacte vert[47], vise à faire de l’industrie européenne un champion de la neutralité carbone, à renforcer l’autonomie européenne en réduisant sa dépendance aux produits extérieurs et gagner en influence géopolitique.

C’est un changement de nature par rapport aux stratégies précédentes car il porte plusieurs nouvelles règlementations qui sont proposées en mars 2023 :

  • Une « loi sur l’industrie neutre en carbone » (Net-Zero Industry Act, NZIA), visant notamment à simplifier le cadre réglementaire pour la production de technologies clés (batteries, éoliennes, pompes à chaleur, panneaux solaires, etc.), à fixer des objectifs pour la capacité industrielle de l’UE d’ici 2030, à accélérer les processus de délivrance de permis.
  • Une « loi sur les matières premières critiques », pour améliorer la sécurité d’approvisionnement des matières premières nécessaires pour assurer la transition vers la carboneutralité.
  • Une réforme de la conception du marché de l’électricité, pour rendre le marché plus résilient, réduire l’impact des prix du gaz sur les factures d’électricité et soutenir la transition énergétique.

C’est aussi un changement de position de la Commission qui entend faciliter l’accès aux financements destinés au développement de technologies propres en assouplissant le cadre de définition des aides d’État et l’utilisation des fonds existants dédiés à l’innovation. Le troisième pilier porte sur le renforcement des compétences et crée des académies des industries à zéro émission nette. Enfin, moins novateur, le quatrième pilier du plan industriel est consacré à la coopération mondiale et appelle à continuer le développement d’accords de libre-échange, notamment avec des pays du Mercosur.

Malgré l’avancement de ces textes et un contexte international favorable révélant la nécessité d’une politique industrielle à l’échelon européen (crise COVID, crise énergétique, réponse à l’Inflation reduction Act), l’UE est confrontée au défi d’États membres qui de fait se font concurrence pour accueillir les investissements et pour bénéficier des aides d’État. En outre, le Plan industriel est loin de faire consensus à l’intérieur de l’UE car la flexibilité sur les aides d’Etat favorise d’emblée les plus grands États membres et les moins endettés, notamment l’Allemagne qui a financé 34% des aides d’État en 2023 (contre 8,5% pour la France). Résoudre cette question nécessite des financements suffisants et/ou un renforcement de la gouvernance et de cohésion européennes pour pousser les pays à la coopération.[48]

 

7. Agriculture : de la ferme à la table

La fabrication, la transformation, la vente au détail, l’emballage et le transport des denrées alimentaires contribuent largement à la pollution de l’air, des sols et de l’eau ainsi qu’aux émissions de GES, et ils ont des effets profonds sur la biodiversité. L’excès de nutriments dans l’environnement et l’utilisation des pesticides sont des sources majeures de pollution de l’air, du sol et de l’eau. Dans le même temps, la Commission rappelle que 33 millions de citoyens de l’UE n’ont pas les moyens de s’offrir un repas de qualité un jour sur deux et, tandis que 20% des aliments sont gaspillés, l’obésité gagne du terrain.

C’est avec ce constat que la Commission présente en mai 2020 sa stratégie « De la ferme à la table » (Farm-to-Fork Strategy)[49], une autre des initiatives clés du Pacte vert pour l’Europe. En contribuant aux efforts déployés pour parvenir à la neutralité climatique d’ici 2050, la stratégie vise à faire évoluer le système alimentaire actuel de l’UE vers un modèle durable et à l’horizon 2030 :

  • réduire de moitié l’utilisation ainsi que les risques des pesticides chimiques, ainsi que l’usage des antibiotiques vétérinaires pour l’élevage et l’aquaculture ;
  • réduire de moitié les pertes d’éléments nutritifs comme les nitrates, notamment grâce à une réduction de 20% de l’épandage d’engrais ;
  • augmenter la part de l’agriculture biologique à 25% de la surface agricole utilisée (contre environ 8,5 % actuellement).

Un plan d’action de 27 mesures législatives et non législatives accompagne la stratégie. Une série de mesures non législatives ont été achevées entre 2020 et 2021. On notera en particulier les recommandations aux États membres sur leurs plans stratégiques de la politique agricole commune (PAC), le plan d’action sur l’agriculture biologique, le code de conduite de l’UE sur les pratiques commerciales et de commercialisation alimentaires responsables, et un plan d’urgence pour assurer l’approvisionnement alimentaire et la sécurité alimentaire en temps de crise.

En 2022, l’incertitude géopolitique provoquée par la guerre en Ukraine et en particulier les craintes pour la sécurité alimentaire européenne déclenchent un débat sur l’opportunité de la stratégie Farm to Fork. Malgré ce contexte, la Commission lance courant 2022 sa proposition de règlement sur l’usage durable des pesticides (SUR), avec pour objectif de réduire de moitié leur utilisation d’ici à 2030 et la proposition de règles de l’UE sur la certification des projets d’absorption de carbone.

Malgré la volonté de la Commission d’avancer, en 2023 les dirigeants européens ont souhaité ralentir la mise en œuvre de cette stratégie en raison de leurs inquiétudes sur les pertes potentielles de production agricole en lien avec les objectifs de réduction des intrants. En effet, plusieurs études viennent alimenter ce débat notamment du Département américain pour l’Agriculture (USDA) et celle du Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC). Or avec la stratégie de « la Ferme à la table », la Commission a développé, comme pour le reste du Pacte vert, une vision transversale pour rendre le système alimentaire européen cohérent avec les limites planétaires. Et c’est justement l’approche systémique de la stratégie, et notamment l’évolution des régimes alimentaires et le changement de pratiques agronomiques, mal pris en compte par ces études, qui permettraient d’améliorer la compétitivité et résilience de la future Ferme Europe[50].

Dans ce contexte, plusieurs mesures législatives clés comme la proposition de règlement cadre sur les systèmes alimentaires durables, la révision du règlement sur le bien-être animal ou une proposition d’harmonisation de l’étiquetage nutritionnel ne figuraient pas dans le programme de travail de la Commission pour 2024, actant ainsi leur abandon.

Si les objectifs à atteindre pour mener la transition du système alimentaire sont clairement explicités dans la stratégie, la mandature aura échoué à décider des moyens pour les atteindre. Il est particulièrement préoccupant que l’UE n’ait pas réussi à faire évoluer la législation alimentaire au-delà des enjeux de sécurité alimentaire pour y intégrer les concepts de durabilité et de qualité nutritive.

Le bilan sur la politique agricole commune (PAC) (donc les éléments principaux ont été négociés avant 2019) est également mitigé. La déclinaison au niveau des pays de l’UE via les plans stratégiques nationaux (PSN) sont peu alignés avec les ambitions de Farm-to-Fork[51] . Le PSN français avait par exemple été critiqué par la Commission européenne pour l’utilisation du label haute valeur environnementale (HVE) permettant de déclencher les écorégimes, avec un cahier des charges moins exigeant que la certification bio. Si les objectifs Farm-to-fork ne pourront pas être atteints, la PAC et les PSN sont néanmoins plus verts qu’ils ne l’ont jamais été ; une part importante de la PAC, près de 90% est conditionnée par le respect d’objectifs verts.

8. Pollution chimique

La stratégie dans le domaine des produits chimiques, publiée en octobre 2020 et approuvée par le conseil en mai 2021[52], est, elle aussi, présentée comme une composante essentielle du Pacte vert. Cette stratégie « zéro pollution » expose une vision à long terme de la politique de l’UE en matière de lutte contre la pollution chimique, et vise à parvenir à un environnement exempt de substances toxiques avec un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, tout en renforçant la compétitivité de l’industrie chimique de l’UE.

La stratégie repose sur cinq volets d’action. Le premier (innover pour des produits chimiques européens sûrs et durables) repose à la fois sur un renforcement de la règlementation des critères de conception des produits chimiques, l’introduction d’exigences légales sur la présence de substances préoccupantes dans les produits grâce à l’initiative sur les produits durables et l’accompagnement de l’innovation afin de promouvoir l’utilisation de produits chimiques plus sûrs par l’industrie de l’UE.

Les deuxième et troisième volets visent à renforcer le cadre juridique[53] de l’UE et à le simplifier. Il s’agit d’élargir le champ d’application[54] de l’approche générique de gestion des risques, à d’autres produits chimiques nocifs, aux perturbateurs endocriniens, aux mélanges chimiques, à la pollution chimique dans l’environnement naturel et aux substances poly- et perfluoroalkyliques (PFAs pour son acronyme en anglais).

La quatrième partie de la stratégie zéro pollution a pour objectif de construire une base de connaissances complète sur les produits chimiques. Il est notamment prévu de développer un système d’alerte précoce et d’action de l’UE pour les produits chimiques afin de garantir que les politiques de l’UE traitent les risques chimiques émergents dès qu’ils sont identifiés par la surveillance et la recherche ; et de créer un cadre d’indicateurs pour surveiller les moteurs et les impacts de la pollution chimique et mesurer l’efficacité de la législation. Enfin, un volet international complète la stratégie.

La mise en œuvre de cette nouvelle stratégie nécessite l’adoption de nombreux textes législatifs dont la pierre angulaire est la révision du règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH).

Plusieurs fois repoussée, la révision du règlement REACH, ne figure pas dans le programme de travail de la Commission pour 2024, ce qui entérine ainsi le report sine die de la stratégie zéro pollution[55], répondant ainsi aux inquiétudes de l’industrie chimique européenne. Celle-ci demandait en effet à ne pas subir de charges supplémentaires dans un contexte déjà très lourd en raison la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Cet abandon est considéré comme une trahison par les ONG, qui y voient ainsi l’abandon d’un volet entier du Pacte Vert.

 

Conclusion

Avec des émissions nettes de GES qui ont diminué d’environ un tiers entre 1990 et 2021, l’UE a jusqu’à présent respecté tous ses objectifs climat énergie. Cette performance, aidée en 2020 par le contexte de la crise COVID, s’explique par une action européenne visant la baisse des émissions dans le secteur énergétique, sous le triple effet du marché carbone (SEQE), d’obligations de déploiement d’énergies renouvelables et d’efforts d’efficacité énergétique.

Avec le Pacte vert européen, la Commission européenne a fait des enjeux climat et de protection de la nature le cœur de son projet politique, en se dotant d’une stratégie politique de transformation de son économie, ambitieuse à la fois dans ses objectifs de long terme mais aussi dans sa vision et son application transversale. Cette vision transversale est difficile à porter politiquement : elle ouvre une multitude de sujets en parallèle, comporte son lot de complexités, manque de visibilité, prête le flanc aux accusations de technocratie… Elle constitue déjà un véritable challenge pour qui se risque à en faire le bilan !

Cette approche transversale est pourtant celle qui s’impose à toute politique qui vise au respect des limites planétaires. On peut citer les stratégies de long terme pour le climat, introduites par l’Accord de Paris et dont l’ambition est de porter une vision transversale de l’économie. C’est également le cas de l’exercice auquel se sont confrontés, en France, les 150 citoyens de la Convention citoyenne pour le climat et qui les a conduits à proposer 150 mesures : beaucoup d’entre elles ont nourri la loi française « Climat et résilience » adoptée en juillet 2021 et qui couvrait des sujets aussi divers que les transports, le bâtiment, l’économie circulaire ou la lutte contre l’artificialisation des sols. C’est enfin le cas du projet du Secrétariat général de la planification écologique (SGPE) qui entend coordonner, décliner et rendre lisible et opérationnelle à l’échelle de chaque secteur et de chaque territoire cette ambition de transformation de nos économies que nous impose le respect des limites planétaires.

Le Pacte vert est d’abord un succès par son énorme acquis législatif. Particulièrement emblématique, le nouvel objectif –55% en 2030 et le paquet Fit for 55 avec ses 13 législations ont pu être adoptés en un temps record. Cette négociation rapide a notamment réussi grâce aux mesures d’accompagnement comme la mise en place de fonds pour les plus démunis et les plus impactés par la transition : fonds de transition juste et fonds social pour le climat.

Autre acquis du Pacte vert, la politique écologique européenne s’autorise maintenant à réguler la consommation des biens et produits. C’est le fruit d’une double approche : la volonté de diminuer l’empreinte écologique totale de l’UE, mais aussi la nécessité pour l’UE de sortir d’une certaine naïveté sur le fait que le reste du monde suivra son ambition écologique. Le Pacte vert révise le droit de la consommation et met en place des approches nouvelles comme la taxe carbone aux frontières, qui se heurtaient depuis 10 ans aux objections des tenants du libre-échange total. 

 

Confronté à une accumulation de crises, le projet politique de la mandature aura bien résisté. Ces crises ont enclenché une dynamique plus souverainiste et moins favorable au mouvement historique d’ouverture inconditionnelle des marchés. La vulnérabilité énergétique de l’Europe révélée par la crise ukrainienne, a conforté la Commission européenne dans son objectif de sortie des énergies fossiles ; elle a même dû commencer à parler de sobriété énergétique. Enfin, face à la concurrence du soutien public des États-Unis à la transition énergétique, la Commission européenne s’est vue dans l’obligation de franchir encore un cran dans l’élaboration d’une politique industrielle communautaire et de revisiter sa doctrine en matière d’aides d’État.

Mais les crises ont aussi servi d’arguments aux opposants. Les risques de sécurité alimentaire soulevés par le monde agricole ont conduit à une forte réduction des ambitions de la stratégie « de la ferme à la table », et au retrait des obligations de restauration des terres agricoles de la loi de restauration de la nature. Dans un contexte de crise énergétique et de croissance en berne, le Pacte vert a dû, au passage, renoncer à la révision du règlement REACH et a ainsi quasiment laissé de côté tout le volet pollution chimique.

Mais un bilan ne saurait se limiter à évaluer une politique dont une bonne partie n’a pas encore été mise en œuvre. De ce point de vue, le Pacte vert est aujourd’hui au milieu du gué. Sa mise en œuvre et donc son effectivité dépendent maintenant des États membres. Et le risque de sous-exécution est élevé :

  • Historiquement, les législations environnementales sont en effet celles qui ont été le moins respectées, comme la législation SUD sur les pesticides ou le bien-être animal[56] ;
  • L’engagement doit venir de tous les États membres : les objectifs climat 2020 ont été respectés et même dépassés mais seulement 21 pays avaient atteint leurs objectifs nationaux. La Bulgarie, Chypre la Finlande et l’Allemagne ont utilisé les flexibilités permettant d’acheter des quotas à d’autres États membres pour tenir leurs engagements ;
  • La transition écologique européenne, et singulièrement climatique, entre dans une phase plus difficile car elle requiert de s’attaquer aux émissions diffuses des secteurs du logement ou des transports. L’expérience française des Gilets jaunes en 2018 montre à quel point la décarbonation, notamment par des politiques de prix du carbone, doit être appliquée avec un accompagnement fort des ménages et des petites entreprises.

Enfin, sur le plan international, si l’UE était en avance en 2019 en lançant une dynamique de pays s’engageant pour la neutralité climatique, en 2023, c’est la politique industrielle américaine incarnée par l’IRA qui mène le bal, tant sur les mesures de financement que de protection des industries ou d’attractivité pour les investisseurs. Dans ce contexte, les mesures commerciales protectrices comme la taxe carbone aux frontières ou la lutte contre la déforestation importée paraissaient indispensables même si elles ont été mal reçues par les partenaires commerciaux de l’UE, notamment les pays du Sud.

Que souhaiter pour 2024 ?

Une politisation et un débat large et grand public sur le Pacte vert d’abord. La Commission envisageait son projet comme un pacte, intégrant un débat et une participation citoyenne. Ce débat n’a pas ou peu eu lieu, en particulier en France où les médias parlent traditionnellement peu de politique européenne. La campagne pour les futures élections européennes de juin 2024 devra mettre ces sujets au cœur des discussions, alors que les lignes de fractures politiques passent désormais par les textes du Pacte vert ; en témoignent les débats récents sur la loi de restauration de la nature ou la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments.

Ensuite, le débat devra porter en 2024 sur la mise en œuvre du Pacte vert et le niveau d’accompagnement financier nécessaire pour assurer la soutenabilité des mesures pour les plus exposés et les plus démunis[57].

Enfin, cette mandature de crises est révélatrice d’une période d’aggravation simultanée des tensions géopolitiques et des manifestations de la crise écologique ; dans ce contexte, la transition écologique de l’UE est apparue non pas comme un luxe mais comme une politique de résilience pour un continent sans ressources gazières ni pétrolières. Le monde géopolitique actuel impose aussi de réfléchir à des alliances stables avec des pays qui approvisionnent l’Europe, tout en gardant l’industrie européenne dans la course mondiale aux technologies bas carbone, Il faut espérer qu’à l’instar des efforts de la Commission européenne et du Parlement européen pour faire des enjeux environnementaux et du climat la boussole de la mandature 2019–2024, les suites du Pacte vert et sa soutenabilité auront une place centrale dans un débat politique autour de la résilience de l’UE aux futures crises et le maintien de sa prospérité économique.


[1] Équilibre entre les émissions de GES et les absorptions de dioxyde de carbone, liées aux activités humaines

[2] Sur le site du Parlement européen, le « Legislative Train Schedule » recensait 159 wagons labélisés « Pacte vert » au 7 novembre 2023. https://www.europarl.europa.eu/legislative-train/theme-a-european-green-deal

[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/26/elections-europeennes-2019-les-verts-europeens-saluent-des-resultats-au-dela-des-esperances_5467608_3210.html

[4] https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20191121IPR67110/le-parlement-europeen-declare-l-urgence-climatique

[5] Chine : neutralité carbone en 2060 annoncée en septembre 2020. Japon et Corée annoncent la neutralité carbone en 2050 en octobre 2020.

[6] Les émissions nettes prennent en compte les émissions de tous les secteurs, y compris le secteur de l’usage des terres, changement d’usage des terres et forêt (UTCATF).

[7] Loi européenne sur le climat adopté formellement en juin 2021 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32021R1119.

[8] Les émissions brutes ne prennent pas en compte les émissions du secteur de l’utilisation des terres, du changement de l’usage des terres et de la forêt (UTCATF)

[9] Stratégies industrielles pour l’Europe (mars 2020), Plan d’action économie circulaire (mars 2020), Stratégie biodiversité à l’horizon 2030 (mai 2020), Stratégie de la « ferme à la table » (mai 2020), Stratégie pour la durabilité relative aux produits chimiques (octobre 2020), Stratégie pour une vague de rénovations (octobre 2020) Stratégie méthane (octobre 2020)

[10] https://legrandcontinent.eu/fr/2023/02/15/les-pays-europeens-ont-depense-presque-800-milliards-deuros-pour-faire-face-a-la-hausse-des-prix-de-lenergie/#:~:text=Brèves%20Économie-, Les%20pays%20européens%20ont%20dépensé%20presque%20800%20milliards%20d%27euros, des%20prix%20de%20l%27énergie .

[11] Agence européenne de l’environnement, 2023. Trends and projections in Europe 2023, https://www.eea.europa.eu/publications/trends-and-projections-in-europe-2023

[12] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-plan-industriel-du-pacte-vert-propose-par-la-commission-europeenne/

[13] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/13/restauration-de-la-nature-des-obligations-et-des-objectifs-chiffres-supprimes-du-projet-de-loi_6181773_3244.html

[14] Une première série de 13 textes ont été présentés en juillet 2021. Puis le paquet a été mis à jour avec les textes REPoweEU concernant notamment les énergies renouvelables et les économies d’énergie.

[15] https://www.eca.europa.eu/fr/publications/SR-2023–18

[16] Résultats provisoires de l’agence européenne de l’environnement, https://www.eea.europa.eu/publications/trends-and-projections-in-europe-2023

[17] Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et forêts

[18] https://www.academie-sciences.fr/fr/Rapports-ouvrages-avis-et-recommandations-de-l-Academie/forets-francaises-face-au-changement-climatique.html

[19] EAA 2023, Trends and projections in Europe, https://www.eea.europa.eu/publications/trends-and-projections-in-europe-2023

[20] https://www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Etude/202203-ST0422-impacts%20sociaux%20fitfor55.pdf

[21] https://www.ecologie.gouv.fr/mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-macf

[22] https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/publications/quel-mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-pour-lue

[23] Adopté en mars 2023, https://data.consilium.europa.eu/doc/document/PE-72–2022-INIT/fr/pdf

[24] Adopté en mars 2023, https://data.consilium.europa.eu/doc/document/PE-75–2022-INIT/fr/pdf

[25] Adoptée en octobre 2023. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=OJ:L_202302413

[26] Adoptée en juillet 2023. https://data.consilium.europa.eu/doc/document/PE-15–2023-INIT/fr/pdf

[27] Source : chiffres clés du climat, MTE. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2023/8-focus-sectoriels—electricite-

[28] https://www.lagrandeconversation.com/ecologie/decarbonation-du-secteur-aerien-le-retour-du-refoule/

[29] l’unanimité du Conseil est requise pour l’adoption de tous les textes fiscaux européens

[30] https://www.euractiv.fr/section/all/news/le-green-brief-le-charcutage-democratique-de-la-directive-sur-la-performance-energetique-des-batiments/

[33] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv%3AOJ.L_.2023.150.01.0206.01.FRA&toc=OJ%3AL%3A2023%3A150%3ATOC

[34] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020DC0098

[35] https://www.observatoire-greendeal.eu/le-pacte-vert/green-deal-et-economie-circulaire-a-la-croisee-des-branches-du-droit/#_ftn122

[36] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52022DC0140&from=EN

[37] https://www.observatoire-greendeal.eu/le-pacte-vert/green-deal-et-economie-circulaire-a-la-croisee-des-branches-du-droit/

[38] Le Conseil a adopté sa position de négociation en juin 2023 et le Parlement en juillet 2023.

[39] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/HIS/?uri=CELEX:52022PC0143

[40] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/HIS/?uri=COM:2023:0166:FIN

[41] téléphones intelligents, tablettes, appareils photographiques, casques d’écoutes, haut-parleurs portatifs

[42] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:32014L0053

[43]https://www.citepa.org/fr/2020_10_a03/#:~:text=Etude%20d%27impact%20et%20bénéfices%20connexes&text=Ainsi%2C%20sur%20la%20base%20de, stimuler%20une%20croissance%20économique%20durable

[44]https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/06/23/l-echec-de-la-politique-agricole-commune-dans-la-lutte-contre-le-rechauffement-climatique_6085409_3244.html#:~:text=La%20Cour%20des%20comptes%20européenne%20insiste%20en%20particulier%20sur%20une, à%20effet%20de%20serre%20agricoles.%20 »

[45] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/14/green-deal-europeen-un-nouveau-plan-d-investissement-a-hauteur-de-180-milliards-d-euros-entre-2024-et-2030-est-necessaire_6189328_3232.html

[46] Loi promulguée le 16 aout 2022 et qui vise à freiner les effets de l’inflation aux Etats-Unis. Elle représente le plus gros investissement dans la lutte contre le changement climatique de l’histoire des Etats-Unis en autorisant a minima 369 milliards de dollars de dépenses pour le secteur de l’énergie, chiffre qui peut doubler sur les 10 ans impartis

[47]https://commission.europa.eu/system/files/2023–02/COM_2023_62_2_EN_ACT_A%20Green%20Deal%20Industrial%20Plan%20for%20the%20Net-Zero%20Age.pdf

[48]https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/presidence-espagnole-de-lue-faire-avancer-le-pacte-vert

[49] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020DC0381

[50]https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/la-strategie-de-la-fourche-la-fourchette-une-trajectoire#:~:text=Dans%20le%20cadre%20du%20Pacte, la%20biodiversité%20et%20la%20santé.

[51]https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/pac-les-plans-strategiques-nationaux-ne-seraient-pas-a-la-hauteur-des-ambitions-environnementales-de-la-commission-europeenne/

[52] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52020DC0667&from=DE

[53] En matière de pollution chimique, l’UE dispose d’un cadre juridique complet comprenant environ 40 instruments législatifs, dont le règlement concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), le règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances dangereuses (CLP) et, entre autres, les législations concernant la sécurité des jouets, les produits cosmétiques, les biocides, les produits phytopharmaceutiques, les denrées alimentaires et les agents cancérigènes sur le lieu de travail, ainsi que la législation sur la protection de l’environnement.

[54] Aujourd’hui limité aux produits cancérigènes et métaux lourds

[55] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/17/la-commission-europeenne-s-apprete-a-renoncer-a-son-plan-d-interdiction-des-produits-chimiques-dangereux_6194944_3244.html

[56]https://eeb.org/wp-content/uploads/2022/06/EEB-BirdLife_Stepping-up-Enforcement_Recommendations-for-an-EC-Better-Compliance-Agenda_2022–1.pdf

[57] https://www.jean-jaures.org/publication/le-pacte-vert-est-il-soutenable-la-question-au-coeur-des-elections-europeennes/

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