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Note

Formations en apprentissage : en finir avec les illusions

Depuis plus de 25 ans, la politique de promotion de l’apprentissage a engagé des sommes considérables sur la promesse d’être une arme suffisamment efficace pour combattre le chômage des jeunes. Il est temps d’évaluer cette politique et de réfléchir sur la réalité de l’alternance en général, et de l’apprentissage en particulier. Dans cette note, Jean-Jacques Arrighi montre que l’apprentissage s’est développé en France sur les segments de la jeunesse les moins menacés par le chômage, laissant les jeunes non diplômés dans une situation inquiétante. Selon lui, l’alternance à la française n’est pas assimilable au système « dual » germanique, qui relève d’une autre organisation sociale. Une véritable politique de l’alternance doit prendre en compte les intérêts de ses différents acteurs, en se centrant sur les segments contribuant le plus à lutter contre le chômage des jeunes, en particulier celui des premiers niveaux de qualification.

Publié le 

Synthèse

  Le développement de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation n’est pas, en l’état actuel, une arme efficace pour combattre le chômage des jeunes. Depuis plus de vingt-cinq ans, des politiques publiques à la fois vigoureuses, coûteuses et consensuelles ont été conduites. Il est temps d’en évaluer le résultat.   D’une part, les objectifs quantitatifs de jeunes en apprentissage ne sont jamais atteints et, d’autre part, l’apprentissage se développe sur les segments de la jeunesse les moins menacés par le chômage. Si le nombre de contrats signés progresse aussi difficilement, c’est tout simplement parce que, dans le contexte économique et éducatif français, la majorité des entreprises n’ont pas un intérêt économique avéré pour ce dispositif. Par ailleurs, l’évolution de l’alternance au cours des vingt-cinq dernières années n’entame en rien les noyaux durs du chômage des jeunes. Les enquêtes Génération du Céreq[1] démontrent de façon récurrente que le « sur-chômage » des jeunes est un phénomène très ciblé : il n’affecte pas ou peu les sortants diplômés de l’enseignement supérieur et les bacheliers technologiques ou professionnels industriels qui, très vite, en moins d’un an, connaissent un taux de chômage équivalent à celui de l’ensemble de la population. En revanche, la situation des jeunes non diplômés, et, dans une moindre mesure, celle des titulaires d’un CAP, celle des bacheliers généraux et celle des bacheliers technologiques/professionnels tertiaires est très inquiétante : pour la Génération 2007, atteinte de plein fouet par la crise, le taux de chômage à trois ans atteint 40 % pour les non diplômés et il est compris entre 15 et 24 % pour les autres.   Dès lors, lorsqu’il se développe, l’apprentissage améliore peut-être les transitions école/emploi des jeunes les plus attractifs pour les entreprises, mais il contribue très peu à réduire un chômage des jeunes concentré sur des populations précises qui ne participent pas à son expansion.   Il est donc urgent d’évaluer les effets de cette politique, non plus à partir de mythes séduisants et d’objectifs à atteindre, mais à partir de faits avérés détaillés et précis : quels jeunes ? quelles entreprises ? dans quels métiers ? Seule une cartographie lucide des usages réels de ces contrats est susceptible de fonder une politique publique explicitement ciblée dans un univers complexe de gouvernance éclatée où l’Etat et les régions ne sont que des partenaires parmi d’autres (chambres consulaires, entreprises, branches, organismes de formation, OCTA). L’alternance école/entreprise est une formule qui améliore incontestablement les premières transitions professionnelles entre la formation initiale et l’emploi. L’apprentissage n’est qu’une version particulière de ce principe qui se décline sous d’autres variantes (contrats de professionnalisation, stages des lycéens professionnels, stages des formations professionnalisantes du supérieur, stages de la formation professionnelle, entreprises d’insertion). C’est donc l’ensemble des différentes formules qu’il convient de considérer et de réinvestir. Une négociation doit être ouverte avec les partenaires sociaux pour créer une ou plusieurs formules intermédiaires contractuelles à la fois moins contraignantes pour les entreprises et moins subventionnées par les finances publiques. Si une plus grande autonomie des partenaires sociaux, et de l’entreprise en particulier qui accueillera et formera elle-même les apprentis, conduit à une réelle résorption du chômage des jeunes non diplômés, cette piste doit être envisagée.   Par ailleurs, il faut massivement investir dans de nouveaux CFA pour former les jeunes à des métiers ouverts même sans qualification comme la sécurité ou l’hygiène. Les lycées professionnels doivent être rapprochés des CFA pour favoriser les scolarités sous différents statuts successifs et le partage des équipements (lycée des métiers, université des métiers…). Enfin, clef de voûte de toutes les réformes, l’enseignement élémentaire doit être revu en profondeur pour préparer effectivement les jeunes à leur avenir.   Dans de nombreuses branches, notamment industrielles, les dix prochaines années vont donner des opportunités d’emploi importantes pour les jeunes. Pour l’Etat, pour les entreprises, il y a là un virage à ne pas rater, sous peine de voir sacrifiées des classes d’âges entières et de continuer à perdre notre tissu industriel, faute de compétences.    

Note intégrale

  Le développement de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation n’est pas, en l’état actuel, une arme efficace pour combattre le chômage des jeunes.   Cette idée n’est pas une provocation gratuite bien qu’elle contredise le « mainstream » des certitudes partagées par les élus, les médias, les représentants des entreprises et les syndicats de salariés qui font du modèle dual allemand la panacée. Depuis plus de 25 ans, cette politique de promotion de l’apprentissage engage des sommes considérables. D’un intérêt admis comme indiscutable, elle n’a jamais été véritablement évaluée. Pour autant, les résultats ne sont jamais au rendez vous, ni en matière de nombre d’apprentis, ni en matière de réduction du chômage des jeunes.   L’objet de cette note est d’inviter à réfléchir non plus sur une idée séduisante et consensuelle, l’alternance en général et l’apprentissage en particulier, mais sur sa réalité concrète.   Comme souvent, à la base du malentendu il y a un argument indiscutable : les apprentis connaissent des débuts de carrière beaucoup plus aisés que les sortants du système scolaire, à tous les points de vue. Ils accèdent plus rapidement à un emploi ; ils sont moins concernés par les successions d’emplois précaires et leurs conditions d’emploi sont bien meilleures (salaires, part des temps partiels, adéquation des emplois aux formations suivies). Au-delà des diverses sources partielles plus ou moins rigoureuses, le fait est établi par une source statistique à la fois robuste et exhaustive : l’enquête Génération du CEREQ. La dernière en date (Génération 2007, enquête 2010) le confirme encore : « pour la génération 2007 comme pour la génération 2004, les jeunes sortants de l’enseignement secondaire par voie d’apprentissage présentent un taux d’emploi de 10 points supérieur à ceux ayant suivi une formation par voie scolaire trois ans après leur sortie du système éducatif. Ce constat est vrai pour les non diplômés comme pour les diplômés »[2]. Mais, quelle est la pertinence de cet argument ? La comparaison brute a-t-elle un sens ? La position d’origine des scolaires et des apprentis n’est pas la même à l’entrée sur le marché du travail. Contrairement aux lycéens, les apprentis sont déjà des salariés ; ils sont issus d’une sélection par les employeurs qui les ont recrutés[3] et ils ont exercé une activité professionnelle dans l’environnement réel d’une entreprise et d’un métier identifié. A ce titre, ils jouissent d’un triple avantage : ils peuvent valoriser une « expérience professionnelle » auprès des employeurs, ils connaissent le fonctionnement du marché du travail dans leur branche d’activité et, enfin, ils peuvent mobiliser pour leur recherche un réseau de relations professionnelles constitué durant leur formation. De plus, les différentes enquêtes statistiques le montrent, la sélection des apprentis n’est pas aléatoire : d’une part, les apprentis présentent des caractéristiques sociales particulières et ils disposent souvent d’un réseau social efficace qui leur a permis de trouver l’entreprise d’accueil et de signer un premier contrat de travail ; d’autre part, les discriminations qui opèrent sur le marché du travail au détriment des femmes et des « minorités visibles » sont également très actives au sein de l’apprentissage qui repose – ce point est essentiel – sur un contrat de travail exigeant pour l’employeur. Il est donc abusif d’attribuer exclusivement à ce mode de formation l’intégralité de ses effets apparents sur la probabilité d’emploi. Ils proviennent surtout des différents processus de sélection des publics qui s’y engagent.   Les dix années qui viennent offrent des opportunités en termes d’emplois, en raison du départ à la retraite de très nombreux salariés. Pour les entreprises, comme pour l’ensemble du pays, il est indispensable de ne pas manquer ce rendez-vous, en se dotant des outils qui permettront à l’apprentissage de jouer pleinement son rôle. Dans cette perspective, un bilan plus fin est nécessaire avant d’avancer des propositions pour le futur.    

1 – Une politique qui manque sa cible

Le principal problème est que l’évolution de l’alternance au cours des 25 dernières années n’entame en rien les noyaux durs du chômage des jeunes mais participe aux bons résultats de ceux qui ont obtenu un diplôme, sans rien entamer des mauvais résultats concernant les autres.   Observé trois ans après la fin des études en 2001, 2004, 2007 et 2010, le taux de chômage moyen d’une génération de « débutants » est respectivement de 13 % (Géné98), 16 % (Géné2001), 14 % (Géné2004), 18 % (Géné2007). Néanmoins, ces enquêtes démontrent de façon récurrente que le « sur-chômage » des jeunes est un phénomène très ciblé : il n’affecte pas ou peu les sortants diplômés de l’enseignement supérieur et les bacheliers technologiques ou professionnels industriels qui, très vite, en moins d’un an, connaissent un taux de chômage équivalent à celui de l’ensemble de la population (c’est le cas des BTS DUT tertiaires et des licences Lettres, Sciences Humaines, Economie et Droit). Ou même un taux de chômage largement inférieur : les BTS DUT et les bacheliers professionnels industriels, les titulaires d’une licence professionnelle et plus généralement tous les diplômés d’un titre sanctionnant 5 années d’études supérieures. Ces jeunes connaissent peut-être, pour certains d’entre eux, un problème de déclassement[4]à l’embauche mais, pour l’essentiel, ils n’ont pas un problème « spécifique » de chômage.   En revanche, la situation des jeunes non diplômés, et, dans une moindre mesure, celle des titulaires d’un CAP, celle des bacheliers généraux et celle des bacheliers technologiques/professionnels tertiaires est très inquiétante : pour la Génération 2004, le taux de chômage à trois ans est de 30 % pour les non diplômés et il est compris entre 14 et 21 % pour les autres ;pour la Génération 2007, atteinte de plein fouet par la crise, le taux de chômage à trois ans atteint 40 % pour les non diplômés et il est compris entre 15 et 24 % pour les autres. Cette situation préfigure de nombreux enracinements dans la marginalité avec, en corollaire, un traitement social pérenne qui sera durablement coûteux pour les finances publiques : 10 ans après leur sortie de formation, le taux de chômage des non diplômés (20 %) de la génération 1998 est deux fois plus élevé que le chômage moyen de l’ensemble des actifs.   En d’autres termes, il n’y a pas de « sur-chômage » des jeunes, qui, en moyenne, sont beaucoup mieux formés que les générations antérieures, mais, d’une part, un niveau élevé du chômage en général, et, d’autre part, une série de sous-groupes de population qui accèdent très difficilement à l’emploi : les jeunes non diplômés, les jeunes femmes diplômées d’un BEP ou d’un baccalauréat tertiaire, les jeunes résidents des ZUS…    Or, force est de constater que le développement de l’alternance au cours des 25 dernières années a très peu mordu sur ce qui devrait être le cœur de cible des politiques de lutte contre le sur-chômage des jeunes. Les contrats de qualification ou d’adaptation ont très vite concerné surtout des bacheliers ou des diplômés de l’enseignement supérieur et, de fait, ils ont décliné dès que les allègements de charges spécifiques se sont réduits (2000). En 2008, avant que la crise des « subprimes » ne produise ses effets, 145 000 contrats de professionnalisation étaient signés contre 156 000 contrats d’adaptation, de qualification ou d’orientation en 1995.   La croissance de l’alternance a donc exclusivement reposé sur l’expansion de l’apprentissage : entre 1995 et 2008, le nombre annuel de contrats signés est passé de 178 000 à 285 000, pendant que le nombre total d’apprentis en formation passait lui de 293 000 à 428 000. Mais l’apprentissage ne s’est absolument pas développé là ou il aurait pu être le plus utile socialement, c’est-à-dire pour l’accès à un premier niveau de qualification. 232 000 jeunes préparaient un CAP ou un BEP en apprentissage en 1995, ils étaient toujours 232 000 en 2008 et leur nombre a baissé substantiellement en 2009 (210 000) sous l’effet conjoint de la crise et de la réforme du baccalauréat professionnel.Il a en revanche explosé sur les segments où les jeunes n’éprouvent pas de difficultés particulières d’accès au marché du travail, à savoir l’enseignement supérieur et les baccalauréats professionnels industriels.   Les formations en alternance en général et l’apprentissage en particulier présentent certes un intérêt indéniable pour les jeunes qui y accèdent, et, sous certaines conditions, pour les entreprises (intégration organisée des juniors, gestion des âges et des compétences obligatoirement programmée, période d’essai longue et exigeante, image citoyenne), elles n’en restent pas moins des contrats de travail et on peut penser que, dans le système tel qu’il est organisé aujourd’hui, les entreprises recrutent sur ces contrats les mêmes jeunes qu’elles auraient recrutés dans un autre contexte.   En l’état actuel de leur gouvernance, polycentrique (Etat, régions, branches, chambres consulaires…)et non ciblée sur des publics particuliers, les formations en alternance se développent là où c’est le plus facile pour les entreprises et les centres de formation. Par voie de conséquence, leur développement n’a qu’un effet très limité sur le cœur du problème posé aux pouvoirs publics : l’employabilité d’une partie de la jeunesse.    

2 – Les freins au développement de l’apprentissage sont mal identifiés

Rarement en France une politique n’aura été aussi consensuelle : depuis trente ans le développement des formations en alternance est soutenu par les formations politiques de gauche comme de droite, par les syndicats de salariés comme par les représentants des entreprises, par les régions comme par les chambres consulaires. Le sujet est au cœur d’un flux continu de missions, de commissions, de groupes de réflexion, de rapports, de recommandations, d’annonces volontaristes, de politiques fiscales… Et pourtant, malgré les plaidoyers des capitaines d’industrie, malgré les investissements massifs des régions, malgré les incitations fiscales toujours révisées à la hausse, aucun objectif quantitatif n’a jamais été atteint et le pays peine toujours à rassembler ces 500 000 apprentis qui étaient déjà annoncés en… 1995.   Imputer cet échec à une « mauvaise image » de l’apprentissage – liée au passé et partagée par les jeunes comme par les familles – est un déni de réalité. Dans les salons étudiants, l’alternance, apprentissage compris, est aujourd’hui un produit d’appel. Nombre de centres de formation axent leur publicité sur ce thème et ils ont raison : de façon récurrente, les enquêtes de terrain[5] et les enquêtes statistiques indiquent une forte attractivité de la filière parmi les jeunes.   Ce que ces enquêtes démontrent aussi, c’est l’extrême difficulté à trouver une entreprise d’accueildans un grand nombre de métiers. Depuis 1973 et les fameuses « Journées de Deauville » du CNPF – le modèle allemand déjà ! -, les représentants officiels des entreprises défendent la thèse que l’adhésion des entreprises au modèle de l’alternance est indiscutable et qu’elles y ont toutes intérêt[6]. La difficile progression des contrats et la réticence des entreprises à prendre des engagements précis démontrent le contraire[7]. Sauf à considérer qu’elles ne sont pas rationnelles, il faut admettre l’hypothèse que beaucoup d’entreprises n’ont pas forcément d’intérêt à accueillir des jeunes en formation – à supposer qu’elles en aient la possibilité – dans le cadre de leur activité de production ou d’échange. La carte des contrats signés par secteur d’activité et taille d’entreprise[8] montre que l’usage de ces contrats est un archipel de contextes productifs très particuliers.   Dans certains cas ils peuvent s’avérer rapidement rentables à court terme et l’on observe une utilisation massive associée à un fort turn-over ; dans d’autres, ils ne sont profitables que s’ils prennent sens dans une stratégie d’entreprise de long terme. Il s’agit alors d’un investissement, avec des dépenses de formation qui peuvent être élevées, et qui présente une caractéristique particulière très gênante : le jeune est « virtuellement libre ». Rien n’interdit au jeune débutant de rechercher ailleurs une meilleure valorisation de la compétence acquise une fois le contrat achevé. Dans ces conditions, ne se pérennisent que des utilisations très ciblées inscrites dans des politiques globales de gestion des ressources humaines : alimenter les marchés internes d’entreprises dominantes qui offrent les meilleures perspectives de carrière du marché, former pour ses sous traitants, renouveler des profils de postes, acquérir des compétences absentes dans l’entreprise, etc. Dans tous les autres cas, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe pas de réelle rentabilité de court terme et que l’entreprise ne maîtrise pas son environnement et/ou n’est pas en mesure d’identifier son intérêt stratégique de long terme, l’intérim, les stages et les contrats précaires, sont des formules beaucoup plus souples pour intégrer les jeunes salariés. Elles sont d’ailleurs largement préférées par les entreprises pour leur recrutement de débutants. Tous niveaux de diplôme confondus, 19 % des premiers contrats de travail signés par les jeunes sortis de formation en 2004 sont des contrats d’intérim, 38 % sont des CDD et 9 % des contrats aidés ; pour les débutants de la génération 2007 l’intérim représente 25 % des premiers contrats et les CDD 39 %. Dans la plupart des cas, les entreprises embauchent des jeunes surqualifiés par rapport aux emplois proposés et les contrats à durée limitée permettent d’optimiser la sélection et l’ajustement des individus aux emplois sans avoir à gérer les contraintes nombreuses inhérentes à l’encadrement d’une formation qualifiante au sein de l’entreprise, pour un coût salarial proche du SMIC lorsqu’il est ramené à un équivalent temps plein..    Pour autant, les formations en alternance sous contrat de travail sont-elles condamnées à rester minoritaires dans les transitions de la jeunesse vers l’emploi ? Non, si enfin on se donnait les moyens de recenser et de comprendre les contextes productifs où ces contrats présentent un intérêt afin de mieux cibler les pistes d’extensions possibles. En corollaire, il faudrait probablement admettre qu’à une variété d’usages possibles en entreprise pourrait correspondre une variété de contrats différents. Rappelons à cet égard que l’alternance en entreprise ne se réduit pas à l’apprentissage ou à la professionnalisation. Les formules d’alternance en entreprise existent aussi en dehors des contrats d’apprentissage et de professionnalisation – les lycéens professionnels et les étudiants de STS, de DUT ou de master effectuent de nombreux stages en entreprise – de même que le métissage entre des formations sous statut étudiant et des formations sous statut salarié. Le développement des formations en alternance, qui reste dans l’absolu souhaitable, passe probablement par la multiplication de contrats sur mesures adaptés à des situations productives étudiées et connues.   Néanmoins, pour envisager cette voie il faut au préalable faire son deuil d’une illusion : l’alternance à la française n’est pas assimilable au système « dual » germanique. Et elle l’est de moins en moins.    

3 – Le « système dual » germanique relève d’une autre organisation sociale

Il y a une véritable différence de nature entre l’apprentissage français et le système dual[9] : en Allemagne, les « règlements d’apprentissage » concernent essentiellement ce qui se passe dans l’entreprise, ils prescrivent précisément les contenus d’activité, les savoirs à construire dans l’activité professionnelle, les conditions d’encadrement et de contrôle des connaissances dans l’entreprise, que le jeune intègre dès l’âge de 16 ans ; en France, les lois et règlements qui encadrent l’apprentissage ne concernent que ce qui se passe hors de l’entreprise (à l’exception bien sur des dispositions du code du travail qui s’appliquent à tous les salariés). A tel point que même l’exercice de la fonction de maître d’apprentissage ou de tuteur n’est pas réellement réglementée. En Allemagne, le système dual est un système de formation professionnelle construit par la négociation collective au sein des entreprises et des branches professionnelles. Parallèlement aux enseignements généraux dispensés dans des établissements publics dépendants des Länder (Etats fédérés), la formation professionnelle est dispensée par des entreprises qui cotisent à des taux différents selon la taille, la branche professionnelle et selon leur implication propre dans le dispositif. Surtout, ce système prend sens au sein d’une architecture très développée de formation continue promotionnelle, qui, à partir de la légitimité reconnue des savoirs ouvriers/employés permet de progresser vers les fonctions de techniciens, d’ingénieur ou de manager dans le cadre de son activité. Du fait de la sélection assumée des individus à l’entrée au Gymnasium (Lycée), l’enseignement supérieur « académique » et, plus généralement, la formation initiale, n’alimentent que de façon limitée les postes d’encadrement et de maîtrise au sein des entreprises, laissant toute sa place à la promotion professionnelle. Nous sommes en France dans un mode de pensée totalement opposé : celui du primat des savoirs académiques et techniciens sur les savoirs d’expérience. Un paradigme de « méritocratie scolaire »[10] qui distribue très tôt les positions sociales en fonction du prestige de la certification obtenue par les individus au terme de leur formation initiale. Loin de l’infléchir, notre dispositif d’alternance s’inscrit de plus en plus dans ce système et son évolution actuelle tend même à le renforcer. En Allemagne, le consensus est fort autour du fait que l’acquisition des qualifications de technicien, d’agent de maîtrise ou de cadre ne relève pas du champ du « système dual » mais de celui de la formation continue des salariés, des instituts techniques ou de l’université. Cela n’obère en rien l’attractivité du « Brevet Dual » qui, rappelons-le, est un titre professionnel consacrant une qualification d’ouvrier ou d’employé qui ne permet pas de poursuite d’études directe. En France, pour valoriser l’alternance auprès des jeunes, c’est la figure de l’apprenti technicien, celle de l’apprenti ingénieur et des poursuites d’études espérées qui sont mises en avant… Et c’est précisément sur ce champ que l’apprentissage s’est développé depuis 1993, contribuant à renforcer encore plus le poids de la formation initiale et des certifications scolaires dans la segmentation hiérarchisée des destins professionnels, avec pour résultat de contribuer à faire basculer dans le champ de la formation initiale des certifications professionnelles qui auparavant étaient exclusivement réservées aux actifs justifiant d’une durée minimale d’exercice dans un métier (cas des Brevets Professionnels entre autres).   Ainsi, assez paradoxalement, le développement de l’alternance contribue actuellement à aggraver la spécificité française de scolarisation de la formation professionnelle et de prédominance de la formation initiale dans les destinées sociales.    

4 – Des objectifs chiffrés ne remplacent pas une véritable politique

La formation en alternance sous contrat de travail est une réelle opportunité pour améliorer la transition vers l’emploi des jeunes qui entrent sur le marché du travail. Cela n’est plus à prouver et cela reste vrai à tous les niveaux de diplôme. Les enquêtes générations montrent néanmoins que son utilité sociale (réduire le chômage et les transitions professionnelles précaires) est inversement proportionnelle au niveau de diplôme de fin d’études. Elles montrent aussi que le niveau de diplôme atteint est beaucoup plus déterminant pour éviter le chômage que le fait d’avoir ou non achevé ses études en apprentissage.   Selon la dernière enquête génération qui observe en 2010 la situation d’emploi des jeunes ayant achevé leur formation initiale en 2007, la part des anciens apprentis occupant un emploi trois ans après la fin de leur formation initiale dépasse de dix points celle de leurs homologues scolaires pour les jeunes sortis sans diplôme et pour ceux qui sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement professionnel secondaire. L’écart n’est plus que de deux points pour les diplômés de l’enseignement supérieur ! Dans la même enquête, l’écart de taux d’emploi entre les sortants du supérieur et les diplômés du secondaire est de sept points pour les apprentis et de seize points pour les scolaires. Les non diplômés connaissant un taux d’emploi particulièrement faible (64 % pour les anciens apprentis et 55 % pour les anciens lycéens). En d’autres termes, pour accéder à l’emploi, ce qui importe toujours le plus est le niveau du diplôme en fin d’études : le taux d’emploi des sortants du supérieur est plus élevé que celui des apprentis diplômés du secondaire et les lycéens professionnels qui ont réussi leur diplôme s’insèrent mieux que les apprentis qui ont échoué.   Face à cette réalité, la course au développement indifférencié des formations en alternance au moyen d’objectifs chiffrés de jeunes inscrits dans ces formations (500 000, 600 000, 1 000 000,…)apparaît au mieux réductrice - elle évite en effet de préciser clairement les objectifs poursuivis et par voie de conséquence rend impossible une évaluation de la politique conduite[11]. Bien pire, elle est néfaste. La pression quantifiée de l’objectif à atteindre induit un développement au plus simple, c’est-à-dire sur les jeunes les moins coûteux à accueillir, les plus âgés et les mieux formés, dans des établissements qui peuvent reconfigurer leur offre sans investissements lourd : l’enseignement supérieur public et privé et les formations post bac du commerce et du tertiaire administratif. En l’absence de règles de répartition nouvelles des fonds collectés auprès des entreprises[12], cette expansion consomme une part croissante de la « taxe d’apprentissage » et limite le dynamisme possible des CFA dispensant les formations de premier niveau qui, eux, accueillent un public plus difficile et rendent un service beaucoup plus utile à la réduction du chômage des jeunes.   Il est donc plus que temps de conduire une véritable politique de l’alternance, une politique lucide qui suppose d’abord de partir de la réalité : les différents acteurs de l’alternance n’ont pas forcément des intérêts convergents. Schématiquement : certaines entreprises visent une baisse de leurs coûts salariaux[13] tandis que d’autres peuvent poursuivre des objectifs de plus long terme de renouvellement des compétences ; les établissements de formation visent à attirer un nouveau public et à drainer des ressources financières ; les jeunes aspirent à acquérir une expérience professionnelle parallèlement à un diplôme. Si l’objectif principal de l’Etat et des régions est bien de combattre le chômage des jeunes, il doit conduire une politique spécifique centrée sur le développement des segments de l’alternancequi contribuent le plus à le combattre : celui des premiers niveaux de qualification. Au-delà de l’existant, le bâtiment, le commerce spécialisé, la réparation automobile, la mécanique, les soins personnels, l’hôtellerie-restauration et les métiers de bouche, il existe encore des gisements d’emplois accessibles à des jeunes faiblement qualifiés comme les transports, l’hygiène-propreté ou la sécurité. Ces pistes méritent d’être explorées. Pour le reste, jeunes, entreprises et organismes de formation peuvent contractualiser sans pour autant que leur union ne mérite forcément une politique de quotas ou un subventionnement public conséquent.   Enfin, la question mérite d’être posée de savoir si ces quatre milliards d’euros annuels que l’Etat et les régions consacrent à l’alternancene seraient pas en partie mieux employés à combattre la racine du mal :les dysfonctionnements et le manque d’efficacité de l’école élémentaire qui est actuellement incapable d’assurer à chaque enfant le socle minimum de connaissances requises pour suivre au collège et accéder à un premier niveau de qualification.   Chaque année, 150 000 jeunes abandonnent leur formation initiale, stigmatisés par l’échec et dépourvus de diplômes. Le chômage des jeunes est là !    

5 – Quelques propositions soumises au débat

Dans cette perspective, six orientations peuvent être proposées pour une politique de l’alternance renouvelée.   1 – Abandonner l’illusion que les entreprises françaises et les partenaires sociaux vont s’auto-organiser au niveau national pour construire un système alternatif de formation professionnelle à l’allemande. Elles auraient pu le faire en 1919–1924 avec les lois d’Astier ou, plus récemment en 1983, avec les contrats de qualification et d’adaptation ; elles auraient pu s’emparer collectivement de l’apprentissage comme d’un noyau à partir duquel structurer un dispositif professionnel de formation initiale et continue. Elles ne l’ont pas fait. En dehors de deux cas d’espèce à gouvernance paritaire, le bâtiment avec le CCCA-BTP et le commerce réparation automobile avec l’ANFA qui existent depuis longtemps, en dehors d’un dispositif très localisé régionalement dépendant directement de l’UIMM – les CFAI de l’industrie – et mis à part un dispositif plus récent lié au transport routier (AFT-IFTIM), l’alternance en entreprise est un archipel hétéroclite de situations particulières où coexistent des organisations artisanales locales, des chambres consulaires et des politiques à long terme de grandes entreprises (EDF, Véolia, Danone, La Poste, L’Oréal, …). Il le restera. D’une part, contrairement au consensus de façade, le sujet est trop conflictuel au sein des organisations patronales qui gèrent des organismes de formation et se disputent la taxe d’apprentissage (Chambres de Commerce et d’Industrie, chambres des métiers, branches, grandes entreprises). D’autre part, en dehors d’un nombre circonscrit de situations, les entreprises n’ont économiquement pas intérêt à accueillir des jeunes en formation qualifiante. Et, contrairement à l’Allemagne, elles n’y sont pas obligées culturellement par leur environnement.   Dans ce contexte, il est nécessaire d’envisager de concéder une dose plus importante d’autonomie aux partenaires sociaux lorsqu’ils s’entendent pour monter, localement, par exemple au niveau des bassins d’emploi, des formations directement connectées sur l’emploi. Cela suppose d’admettre que l’entreprise détermine l’offre en fonction des besoins, voire accueille la formation tant technique que théorique en son sein. Si ce recul de l’Education nationale se traduit par des niveaux de formation aussi élevés et des taux d’emploi sensiblement meilleurs, cette piste doit être creusée.   2 – Combattre la simplification qui consiste à réduire la formation en alternance à l’apprentissage et aux contrats de professionnalisation. Il faut mieux formaliser d’un point de vue légal les stages en cours d’études qui, en dépit de dérives qui peuvent et doivent être corrigées, restent un excellent moyen pour les jeunes d’accéder aux emplois. En d’autres termes, il faut conduire avec les partenaires sociauxune négociation pour créer une ou plusieurs formules intermédiaires contractuelles à la fois moins contraignantes pour les entreprises et moins subventionnées par les finances publiques. L’apprentissage est une formule parmi d’autres ; elle n’est pas le « couteau suisse » qui règle tout.    3 – Arrêter purement et simplement de subventionner l’apprentissage dans l’enseignement supérieur en supprimant en contrepartie les quotas d’alternants en entreprise. Si entreprises et établissements de formation y trouvent un intérêt, rien ne les empêche de conventionner et d’assumer les coûts ou de mobiliser d’autres formules d’intégration des diplômés comme les contrats de professionnalisation ou des formules nouvelles de stages contractualisés. Une telle orientation, qui est de nature à bouleverser le fonctionnement de certains établissements d’enseignement supérieur, doit être expertisée. Elle peut être de nature à ouvrir de nouvelles perspectives lorsque la formation est directement connectée à l’emploi.   4 – Investir dans de nouveaux CFA formant à des métiers ouverts aux jeunes sans qualification comme la sécurité ou l’hygiène. Parallèlement, il convient de poursuivre l’effort de qualité de formation et d’accompagnement des jeunes dans les CFA.   5 - Développer les rapprochements lycées professionnels – CFA en favorisant les scolarités sous différents statuts successifs et le partage des équipements (lycée des métiers, université des métiers…). La réforme du baccalauréat professionnel crée les conditions d’une telle évolution.  

6 – Réorienter les sommes dégagées vers un investissement massif et une réforme profonde de l’enseignement élémentaire où l’essentiel de l’avenir des jeunes se joue.

[1] http://www.cereq.fr/index.php/menus/pied_de_page/base_de_donnees/Enquetes-d-insertion-Generation [2] Voir dossier de presse Cereq avril 2011 : « 2007–2010 premiers pas dans la vie active, le diplôme un atout gagnant face à la crise »http://www.cereq.fr/index.php/content/download/1688/21048/file/dossierdepressegene2007–4.pdf [3] Elle peut être particulièrement sévère: « EDF » reçoit par exemple chaque année 36 000 candidatures pour 2700 nouveaux contrats du CAP à Bac + 2. Prisca Kergoat montre aussi dans sa thèse le raffinement des procédures de sélection à La Poste. Dans l’artisanat, Gilles Moreau montre aussi la difficulté des jeunes à trouver une entreprise. [4] Le suivi longitudinal des premières années de carrière (« Quand la carrière commence », résultats de l’enquête Génération 98 à sept ans, CEREQ) montre qu’un nombre très significatif se reclasse d’ailleurs rapidement au cours des sept premières années d’activité. [5] Voir par exemple « Les apprentis Ligériens en 2006/2007 », rapport au Conseil régional des Pays de la Loire, juillet 2008, ou les questions posées aux jeunes de la génération 2004 sur les conditions de leur orientation : « Qui sort de l’enseignement secondaire ? » Arrighi, Gasquet, Joseph, 2009, NEF41 CEREQ. [6] Ce qui n’empêche pas certains accès de lucidité : ainsi Raymond Poupard, directeur de la formation au CNPF, grand prosélyte de l’alternance, déclare-t-il en 1995 « les débat sur le développement de l’alternance auraient basculé depuis longtemps si les actes des entreprises avaient été en conformité avec les propos de leurs représentants ». [7] La récente négociation interprofessionnelle sur les formations en alternance (2011) le démontre clairement. Au-delà des discours de principe, la seule préoccupation du Medef fut de trouver un moyen de contourner la pénalité imposée aux entreprises qui n’atteignent pas les 4 % d’alternants parmi leurs salariés. Le financement de l’alternance par la taxe d’apprentissage et les fonds de la professionnalisation, système archaïque, injuste, complexe et inefficace : ignoré ; la reconnaissance et la qualification des tuteurs et des maîtres d’apprentissage : ignoré. Toutes les questions concrètes permettant d’institutionnaliser et de mutualiser l’organisation de l’alternance dans les entreprises n’ont jamais été abordées paritairement depuis 1993. [8] http://www.cereq.fr/index.php/publications/Apprentissage-contre-professionnalisation-un-faux-debat [9] Ce qui est curieux c’est qu’aucune voix ne le rappelle dans le débat actuel, car le fait est très clairement établi par les travaux d’analyse sociétale conduits au LEST et au Cereq au cours des années 1980–1990 : voir notamment des auteurs comme J. M. Sylvestre, E. Verdier, M. Möbus, ou B.Lutz.  [10] Sur ce point les nombreux travaux récents conduits par F. Dubet, M. Duru-Bellat, C. Baudelot, P. Meyrieu ou par E. Verdier convergent. Ils sont également unanimes sur le fait que ce modèle scolaire est injuste et inefficace et qu’il ne répond pas aux enjeux actuels de l’école. [11] Il s’agit de très loin de la principale dépense des politiques d’emploi des jeunes. Pour l’année 2008, apprentissage et contrats de professionnalisation coûtent 1,95 milliard d’euros au budget de l’Etat et 1,75 milliard à celui des régions ; la même année, l’accompagnement et l’insertion des jeunes en difficulté (CIVIS) représente 300 millions d’euros et les formations des programmes régionaux 650 millions. (Source : « La dépense nationale pour la formation professionnelle continue et l’apprentissage en 2008 », DARES, Analyses N°73, novembre 2010) [12] Selon Alain Griset, Président de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA), les CFA des chambres des métiers qui forment 30 % des apprentis collectent 3 % de la taxe d’apprentissage ! [13] Directs dans le cas des activités de main d’œuvre à fort turn-over (bâtiment, hôtellerie, commerce, …), indirects dans les autres cas (coûts de recherche/sélection des candidats, coûts de formation aux qualifications spécifiques, évolution des profils de compétence, acquisition d’expertise externe, …).

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