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Étude

Le dumping social dans les transports routiers de marchandises européens

Le dumping social est un problème majeur auquel est confrontée l’Union européenne. S’il attente aux principes d’une concurrence non-distordue, il est partie intégrante du fonctionnement des transports routiers en Europe. Pour lutter pragmatiquement contre ses conséquences sociales et économiques, il nécessite la mise en place d’une coordination des contrôles au niveau européen à laquelle l’ensemble des Etats ont intérêt car ce système bénéficie avant tout aux grands établissements donneurs d’ordre plus qu’à leurs pays d’origine, souvent eux-mêmes concurrencés par des pays hors UE.

Publié le 

Préambule

Discours sur l’état de l’Union du 11 septembre 2013 de l’ancien président de la Commission européenne José Manuel BARROSO :

«  Notre marché unique des marchandises fonctionne bien et nous constatons les avantages économiques de ce système. Nous devons appliquer la même formule à d’autres secteurs : la mobilité, les communications, l’énergie, les finances et le commerce électronique, pour n’en citer que quelques-uns. Nous devons supprimer les obstacles qui entravent l’activité des entreprises et des particuliers dynamiques. Nous devons achever l’interconnexion en Europe . »

Rapport d’information de la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée nationale sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement des travailleurs du 29 mai 2013 (dit « rapport Savary »)

«  Utilisée de manière détournée, la directive 91/76/CE sur le détachement des travailleurs est devenue un instrument de concurrence libre et faussée, contraire à l’esprit des traités européens qui visent à une concurrence libre et parfaite.  »

Extraits de la retranscription de la conférence « Transport routier de marchandises : vers une harmonisation sociale européenne » organisée le 16 avril 2014 au Palais d’Iéna à Paris »

Robert GOODWILL, sous-secrétaire d’État britannique aux Transports :

«  I think we all understand that the single market is there to facilitate competition and cross- border trade in goods and services; it should not be undermined by barriers to fair competition.  »

Thadeusz KURASZEWSKI membre du syndicat Solidarność, section transport routier :

«  Souvent, nous imposons l’heure de repos aux travailleurs à midi pile. Ce qui veut dire qu’il fait 40 degrés dehors, 50 degrés à l’intérieur de la cabine. Pourquoi demandons-nous aux chauffeurs de faire la pause à midi ? Pour qu’ils n’utilisent pas la climatisation dans la cabine, puisque cela coûte cher. Il faut travailler sur l’amélioration des conditions de travail et sur l’amélioration de la coopération entre les travailleurs et les employeurs.  »

Gilles SAVARY, député français, ancien député européen et ancien vice-président de la commission transports et tourisme du Parlement européen :

«  Le problème qu’il faut bien prendre en compte, c’est que dans la stratégie d’un certain nombre d’entreprises ou d’officines, nous avons basculé aujourd’hui dans un monde qui est le monde de trading de main d’ œuvre.  »

Introduction

Dans les conférences européennes abordant les prestations de service internationales et le dumping social qu’elles engendrent [2] , même les représentants professionnels n’hésitent plus à affirmer que les dérives en cours favorisent la montée de l’extrême droite en Europe. Il ne s’agit pas que d’une vague impression : certains représentants patronaux français avouent par exemple que leurs adhérents exposés au dumping social sont de plus en plus nombreux à céder aux sirènes de Marine Le Pen.

On voit par ailleurs se dégager dans ces conférences un consensus inhabituel entre représentants du gouvernement, du patronat et du salariat, pour peu qu’ils fassent partie des pays d’Europe du Nord et de l’Ouest (à l’exception notable du Royaume-Uni). Leur adversaire commun est le dumping social. La ligne de clivage qui se dessine désormais se situe plutôt entre les pays d’envoi des travailleurs détachés et les pays d’accueil. Encore faudrait-il s’entendre sur la notion de « dumping social » : s’agit-il des fraudes aux règles encadrant le détachement de travailleurs ou simplement de réalisation de prestations de service dans un Etat membre en appliquant les conditions sociales beaucoup moins exigeantes d’un autre Etat membre ? En fait, comme nous le verrons, la question ne se réduit pas à cette alternative, car l’interprétation qui est faite des réglementations européennes peut faire varier du tout au tout ce qui relève ou non de la fraude.

Le cas des chauffeurs routiers se singularise par une caractéristique essentielle : dans les transports routiers [3] , ce n’est pas seulement le travailleur qui est mobile, mais son travail lui-même.

Cette particularité a deux incidences sur la problématique du détachement :

D’une part, l’activité étant par essence mobile, l’idée même que les travailleurs qui l’exercent sont en situation de détachement est discutable. De longue date, les véhicules de transports routiers traversent les frontières dans le cadre du transport international routier. Jusqu’aux années 2000, personne ne concevait ces transports comme un problème de détachement. Or, depuis les élargissements des années 2000 et le développement de la pratique du cabotage [4] , la pression concurrentielle qui s’est exacerbée a posé la question de l’application du régime du détachement. D’où un problème d’articulation entre la réglementation transport et la réglementation travail.

D’autre part, l’activité des chauffeurs routiers ne s’exerce pas à l’intérieur d’un atelier ou de locaux professionnels, c’est-à-dire à l’intérieur d’un établissement physique implanté sur un territoire donné : son contrôle par les administrations se révèle de ce fait encore plus difficile que pour les autres secteurs.

Si l’on ajoute à la mobilité des transports routiers le fait qu’ils restent une activité de main d’œuvre [5] , on obtient un terreau privilégié pour l’épanouissement de la problématique du détachement. A tel point que les transports routiers peuvent être considérés comme un laboratoire à ciel ouvert des processus à l’œuvre sur le marché européen des prestations de service.

Le transport routier de marchandises (TRM) est aujourd’hui devenu le lieu de dérives sociales dont on n’a sans doute pas encore mesuré toutes les conséquences, par exemple en termes de sécurité routière. L’élément le plus saillant de ces dérives concerne les conditions d’hébergement des chauffeurs puisqu’ils peuvent être contraints de dormir des semaines durant (parfois des mois) confinés dans l’exiguïté de la cabine de leur poids-lourds, y compris lors de leur repos hebdomadaire.

Le problème a pris une grande ampleur après les élargissements de 2004 et 2007 aux pays d’Europe centrale et orientale. Mais jusqu’en 2012, il a été sous-estimé par le gouvernement français. Obnubilé par la question des étrangers en situation irrégulière, celui-ci a privilégié cette cible au point de détourner les services de lutte contre le travail illégal de leur finalité sociale et économique.

Face à des conditions de travail inacceptables, face aux pertes d’emploi et de compétences professionnelles, face au manque à gagner pour le régime de sécurité sociale ou encore face à la concurrence déloyale insoutenable à laquelle nos entreprises sont confrontées, une réaction s’imposait car l’intérêt national est clairement en jeu. L’Etat français a pris (ou va prendre) des dispositions extrêmement fortes à travers les lois Savary [6] et Macron [7] . Les autorités européennes ont, elles-aussi, sous l’influence de la France, récemment amélioré le cadre juridique applicable au détachement en autorisant les Etats à renforcer leurs dispositifs de contrôle. Mais les efforts des autorités françaises, pour indispensables qu’ils soient, vont fatalement rencontrer leurs limites : ils découlent en effet d’une logique de défense purement nationale face à un problème par nature européen.

Le cœur du sujet est, en fait, l’inachèvement de la construction européenne. En matière de prestation internationale, l’Union Européenne s’en remet essentiellement au marché comme mode de régulation. Cela se retrouve dans les principes juridiques que les institutions européennes mettent en avant. Mais l’idée que le développement des prestations de services internationales favorise une saine concurrence dans les secteurs de main d’œuvre peu qualifiée tient du miroir aux alouettes. Il n’existe pas de marché unique des prestations de service : celui-ci supposerait au préalable une uniformisation de tous les cadres réglementaires nationaux. En effet, les prestations de services, qu’elles soient accomplies par des entreprises nationales ou étrangères, s’exercent physiquement sur des marchés nationaux encadrés par des réglementations nationales plus ou moins exigeantes qui ne s’appliquent dans toute leur rigueur qu’aux entreprises établies dans l’Etat concerné. Dès lors, les prestataires de service des pays de l’Est et du Sud et leurs donneurs d’ordres se sont engouffrés dans les différentiels existants entre les marchés nationaux. Ce sont les systèmes administratifs et sociaux des Etats qui sont mis en concurrence et pas directement les entreprises.

Ce comportement des prestataires de services est rendu possible par un autre phénomène : l’unification du territoire européen. Elle résulte, certes, de l’abolition des frontières mais aussi et surtout de l’amélioration fulgurante des moyens de transport et de communication : les distances géographiques importent de moins en moins et, s’agissant des transports routiers, l’unification du territoire est par nature encore plus avancée.

Sur ce territoire, l’Union européenne commence à disposer de certains des attributs d’un Etat, à travers l’édiction de règles pour organiser les rapports entre ses membres (c’est le cas par exemple avec la directive détachement [8] ou le règlement cabotage [9] ). En revanche, elle est privée de l’autre prérogative de la puissance publique qui devrait en découler, à savoir les moyens de contrôle et de coercition pour faire appliquer ces règles. Plus précisément, elle ne dispose pas de moyens de coercition directs sur les agents économiques privés, en tout cas pas en matière de réglementation sociale. Elle s’en remet jusqu’à présent aux Etats membres pour veiller à l’effectivité du droit, au contrôle de son application. Or, pour ce qui concerne le détachement transnational de travailleurs, c’est sans doute là que le bât blesse le plus, tout particulièrement dans le secteur des transports routiers.

Les distorsions de concurrence s’exercent donc à deux niveaux en matière de prestations de service intra-européenne : non seulement les règles applicables aux entreprises des pays les plus structurés sont en réalité plus contraignantes que celles applicables aux prestataires étrangers mais en outre ces derniers échappent plus facilement que leurs concurrents du pays d’accueil au contrôle.

L’essentiel de ce diagnostic est aujourd’hui partagé par de nombreux acteurs politiques, économiques et sociaux des pays victimes de cette forme européenne de dumping social. Les parlementaires français ont accompli un travail de grande envergure sur le sujet [10] et ont fait des propositions qui, pour certaines, ont été reprises dans les lois Savary et Macron. Cette étude s’appuie sur ces travaux parlementaires et s’inscrit dans leur prolongement : elle cherche à comprendre de manière plus spécifique les mécanismes à l’œuvre dans les prestations de service internationales du secteur des transports routiers, de façon à ouvrir encore davantage la discussion et à proposer de nouvelles pistes d’action.

Pour bien saisir comment s’organisent les prestations de service internationales dans les transports routiers, un aperçu préalable de leurs diverses facettes juridiques est indispensable. Il sera l’occasion de mettre en évidence un point clé de la problématique, souvent délaissé : la distinction fondamentale entre les activités temporaires et les activités permanentes, autrement dit entre la prestation de service et l’établissement. Ce sera le premier axe de cette étude.

Une fois ces repères juridiques en place, nous adopterons une approche plus socio-économique du sujet. Ce sera le deuxième axe. L’idée sera d’apporter un contrepoint social et administratif aux approches économiques souvent abstraites sur la thématique. Le fil conducteur de cette partie sera de mieux comprendre comment fonctionnent les mécanismes de concurrence dans le cadre du détachement des chauffeurs routiers. Ce sera l’occasion de constater que les distorsions de concurrence ne sont pas toujours là où les institutions européennes veulent les voir.

Le troisième et dernier axe de cette étude portera sur l’action administrative pour lutter contre le dumping social dans les transports routiers. Il s’agit donc d’une approche plus opérationnelle où seront formulées des pistes d’action face à la gageure suivante : comment contrôler des activités mobiles qui s’exercent sur l’ensemble du territoire européen ? Question qui en recouvre une autre, sans doute la plus importante et la plus difficile, mais aussi la plus européenne : comment construire une politique européenne de contrôle partagée ?

1 – Approche juridique : le caractère temporaire ou non de l’activité est une clé essentielle du problème

Le cadre juridique applicable aux prestations de services internationales (PSI) et au détachement est d’une complexité hors norme dans la mesure où il résulte du croisement de réglementations déjà complexes par elles-mêmes (droit du travail, protection sociale, droit fiscal) qui diffèrent d’un pays à l’autre, le tout recouvert par un cadre européen. Le secteur des transports routiers ajoute à cette complexité avec la réglementation transports. Il ne s’agit pas dans cette note de prétendre démêler cette complexité, mais seulement de mettre au jour quelques idées élémentaires ensevelies sous des monceaux de subtilités juridiques (dont nous ne sous-estimons du reste pas l’importance). Nous renvoyons aux rapports Bocquet et Savary pour un rappel synthétique des réglementations applicables.

1.1 – Notions de prestations de service et d’établissement

En matière de prestation de service [11] , il importe de ne jamais perdre de vue la philosophie générale du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne : celui-ci vise à faire en sorte qu’un prestataire de service exerçant régulièrement son activité dans un Etat membre « A » ne soit pas empêché d’exercer son activité dans un autre Etat membre « B » à cause de barrières protectionnistes. Deux hypothèses sont alors envisagées :

soit le prestataire de service de l’Etat Membre « A » veut réaliser de manière permanente des prestations de service dans l’Etat « B » et il doit alors pouvoir librement s’établir dans l’Etat membre « B » ;

soit le prestataire de services souhaite seulement réaliser de manière temporaire des prestations de services dans cet Etat membre « B ». Dans ce cas, il doit pouvoir prester librement mais seulement de manière temporaire car son activité continue d’être exercée pour l’essentiel dans l’Etat membre « A ».

A l’époque où a été conçu ce cadre juridique, issu du Traité de Rome de 1957, on n’imaginait pas que le prestataire de services puisse exercer de manière permanente son activité dans un Etat membre alors qu’il est établi dans un Etat membre dont le cadre juridique, social et administratif est en droit ou en fait beaucoup moins contraignant que celui où l’activité est exercée. L’hétérogénéité des situations des Etats membres n’était pas la même en 1957 qu’en 2015. Or aujourd’hui c’est bien ce qui se passe.

En application des règles européennes, c’est en définitive le lieu d’établissement qui prévaut dans la détermination du régime juridique applicable aux prestations de services en matière de droit du travail [12] et de protection sociale.

La directive détachement a vocation à contrebalancer ce principe pour ce qui concerne le droit du travail : lorsqu’un prestataire établi dans un pays effectue une prestation dans un autre pays, il doit appliquer pendant la durée de la prestation un certain nombre de règles impératives de protection minimales en droit du travail limitativement énumérées et désignées par l’expression « noyau dur » [13] .

Ce contrepoids à l’application du droit du pays d’établissement ne pèse pas lourd étant considéré que son contrôle est d’une difficulté extrême, comme nous le verrons plus loin. Mais, même si on en reste au seul niveau des règles théoriquement applicables, il ne porte que sur une partie limitée du droit du travail et laisse de côté les différentiels en matière de cotisations sociales.

Nous n’entrerons pas, ici, dans le dédale des dispositions applicables en matière de sécurité sociale. Nous retiendrons simplement qu’en application du règlement n° 1408/71 et du règlement n° 883/2004, le régime de sécurité sociale de l’Etat membre d’origine continue de s’appliquer aux travailleurs détachés. Ce détachement ne doit pas excéder 24 mois. On notera que cette situation, qui est dérogatoire par rapport au droit commun, est aujourd’hui perçue par nombre d’entreprises des pays d’envoi comme un droit minimal pour le détachement de leurs salariés. Ainsi le droit de la sécurité sociale peut servir (à tort) d’argument pour considérer que le caractère temporaire des prestations de services peut s’étendre sur un minimum de 24 mois.

Illustrons le principe d’application du droit du pays d’établissement aux PSI en prenant l’exemple d’une entreprise allemande et d’une entreprise roumaine. On pourrait se trouver dans la situation où sur un marché de prestations de services en Allemagne, l’entreprise allemande est obligée de respecter toutes les contraintes du droit allemand (droit du travail dans son ensemble, protection sociale, droit fiscal, droit des transports, …) alors que l’entreprise roumaine reste soumise pour une large part au droit roumain, mises à part les règles minimales du noyau dur en droit du travail. On voit bien qu’il y a deux poids deux mesures sur un même marché, même d’un point de vue strictement juridique.

Si le droit européen [14] autorise une telle situation, ce n’est que de manière limitée, car les prestations de service doivent rester temporaires. Pour prolonger notre exemple, le prestataire roumain et ses salariés sont supposés exercer habituellement leur activité en Roumanie et ce n’est que de temps à autres qu’ils peuvent être amenés à effectuer des prestations en Allemagne. Si le prestataire roumain souhaite exercer de manière pérenne son activité en Allemagne, il devra s’y établir et, de ce fait, il sera soumis exactement aux mêmes règles que l’entreprise allemande : dans ce cas, tout rentre dans l’ordre au niveau des conditions de concurrence.

Néanmoins, pour une entreprise de prestations de services, l’établissement importe beaucoup moins que la prestation de service elle-même. Dès lors que la production des services n’est pas réalisée chez le producteur mais chez le client, les installations physiques, le matériel, les locaux de l’entreprise prestataire jouent un rôle très secondaire en comparaison des entreprises industrielles ou agricoles. C’est encore plus vrai à l’heure du numérique. A la limite, il n’est plus nécessaire d’avoir d’établissement physique pour réaliser des prestations de services. L’établissement ne devient plus qu’une notion administrative et la « délocalisation » complète ou partielle de l’activité rattachée à cet établissement administratif est d’une grande facilité.

Une autre difficulté résulte du caractère par nature temporaire des prestations de service. Si on admet que la nature temporaire de chaque prestation réalisée par une entreprise suffit à justifier le caractère temporaire de son activité dans le pays d’accueil, cette entreprise peut faire se succéder des prestations de manière permanente. C’est d’ailleurs cette réalité que constatent de plus en plus les services de contrôle, par exemple dans le domaine des transports routiers. C’est un point essentiel de la problématique du détachement : la succession continue de prestations temporaires est-elle ou non autorisée par le droit européen ?

L’antinomie juridique entre prestation de services et établissement, entre caractère temporaire et permanent de l’activité est ainsi au cœur de la problématique des PSI et du détachement. Si comme nous l’avons déjà indiqué, les textes européens n’ignorent pas cette antinomie, les garde-fous juridiques concernant le caractère temporaire restent flous même si l’adoption toute récente de la directive d’exécution de la directive détachement [15] pourrait mieux encadrer la notion. En outre, dans la pratique, les acteurs ont largement fait prévaloir le principe de libre prestation sur le caractère temporaire des prestations : c’est le cas des acteurs économiques mais aussi, d’une autre manière, des acteurs institutionnels comme la Commission européenne ou la Cour de Justice de l’Union européenne. Même les services de contrôle des Etats d’accueil n’ont pas véritablement axé leurs interventions sur ce point essentiel.

Il faut dire qu’il est particulièrement difficile d’établir la permanence de l’activité des prestataires étrangers. En 2014, avec la directive d’exécution de la directive détachement, la Commission a prévu de renforcer les instruments pour contrôler le caractère temporaire des prestations, ce qui atteste de l’acuité prise par le problème. Elle s’intéresse à cette question en l’envisageant plus à travers le caractère substantiel ou non de l’activité dans le pays d’envoi qu’à travers le caractère effectivement temporaire de l’activité dans le pays d’accueil. Tout dépend alors des contrôles réalisés dans les pays d’envoi. De ce point de vue, les deux directives s’en remettent aux services de contrôle des Etats membres et les invitent à améliorer leurs coopérations. Comme cela a déjà été souligné par les rapports Bocquet et Savary, l’efficacité de cette organisation des contrôles est douteuse. Nous y reviendrons plus loin.

Il serait peut-être plus clair d’inscrire dans les textes européens des limites explicites au droit de réaliser une succession de prestations de même nature sur un même territoire sans s’y établir administrativement. On pourrait imaginer une durée maximale de présence sur le territoire, un nombre de prestations successives limité, un délai entre prestations successives, etc. Si des propositions en ce sens étaient faites, l’objection d’entrave à la libre concurrence serait probablement opposée. Mais en réalité la limitation du nombre de prestations successives obéit justement à l’égalité des conditions de concurrence qui suppose l’obligation de s’établir au-delà d’une certaine continuité de l’activité : c’est alors la liberté de s’établir dans le pays d’accueil qu’il faut veiller à préserver et non plus à la liberté de prester.

Pour la bonne compréhension du dispositif juridique en place, un dernier élément doit être signalé : l’obligation pour les entreprises effectuant des PSI en France d’adresser une déclaration préalable de détachement aux services de l’inspection du travail du lieu de détachement, avant le début de la prestation en France. Il s’agit d’un outil indispensable pour que les entreprises prestataires n’échappent pas complètement aux contrôles et pour vérifier le caractère temporaire ou non des prestations réalisées en France. La loi Savary a renforcé de manière drastique les outils juridiques de contrôle et de sanction sur ce point, ce qui devrait permettre de réduire sensiblement les fraudes les plus criantes.

1.2 – Articulation entre les notions de détachement, de transport international et de cabotage

Les transports routiers n’échappent pas à l’antinomie établissement / prestation de service, mais ils n’effectuent pas les prestations de service en un point précis : ils assurent des prestations en mouvement. Dès lors, il est encore plus difficile de définir sur quel territoire elles s’exercent.

Prenons l’exemple d’une entreprise de transport routier espagnole qui charge dans le Nord de l’Espagne et va livrer des marchandises aux Pays-Bas. La majeure partie du trajet s’effectue en dehors du pays de départ et du pays d’arrivée. Dans cet exemple, on voit aussi que les transporteurs français subissent de manière limitée l’impact de la concurrence de ces transports. Ils le deviennent davantage si le transporteur espagnol décharge et/ou charge en France au cours de son trajet. La jurisprudence introduite en 2011 par l’arrêt KOELZSCH de la CJUE permet de clarifier la solution à donner à cette situation. Selon cet arrêt, la loi applicable à un chauffeur effectuant des transports internationaux est «  la loi du lieu dans lequel ou à partir duquel le travailleur exerce effectivement ses activités professionnelles, ou, à défaut, (…) la loi du lieu où il accomplit la majeure partie de ses activités.  » Dans notre exemple, si le chauffeur de l’entreprise espagnole prend son service principalement en Espagne et ne fait que du transit en France, il se verra appliquer la loi espagnole. En revanche, s’il prenait son service en France et que le centre effectif de son activité se trouvait en France, il devrait se voir appliquer le droit français. S’il est démontré que l’activité est exercée de manière habituelle, stable et continue à partir d’infrastructures situées en France, l’entreprise espagnole serait dans l’obligation de créer un établissement en France.

Quant à la notion d’établissement, elle a une implication juridique supplémentaire car chaque pays dispose d’une réglementation des transports routiers spécifique qui vise à assurer une régulation économique de ce secteur essentiel au bon fonctionnement de l’économie et qui a un impact fort sur la sécurité routière. Une entreprise de transports établie en France n’est ainsi autorisée à exercer son activité que si elle est inscrite au registre des transporteurs tenu par les services du ministère des transports. Son inscription est soumise à des conditions d’honorabilité, de capacité financière, de capacité professionnelle et, depuis 2011, à des exigences sur les modalités d’établissement. L’Union européenne a pris des mesures visant à harmoniser les réglementations notamment à travers le paquet routier pleinement applicable depuis 2011. Des réglementations de même nature sont donc prévues dans les autres Etats membres, mais avec des niveaux d’exigence qui peuvent varier d’un pays à l’autre.

Pour tenir compte de la spécificité de l’activité, des notions juridiques spécifiques aux transports routiers ont été construites :

La notion de transport international. Les transports internationaux sont définis dans le règlement CEE 881/92 de la manière suivante :

les déplacements d’un véhicule, dont le point de départ et le point d’arrivée se trouvent dans deux États membres différents, avec ou sans transit par un ou plusieurs États membres ou pays tiers,

les déplacements d’un véhicule au départ d’un État membre et à destination d’un pays tiers et vice versa, avec ou sans transit par un ou plusieurs États membres ou pays tiers,

les déplacements d’un véhicule entre pays tiers, traversant en transit le territoire d’un ou plusieurs États membres,

les déplacements à vide en relation avec ces transports.

Aujourd’hui, comme l’indique le site de l’Union Européenne, «  les transports internationaux de marchandises dans l’Union sont quasiment libres car l’accès au marché n’est plus soumis qu’à des exigences qualitatives pour la délivrance d’une licence communautaire, qui est délivrée aux entreprises de transport par l’État membre d’établissement et qui doit être reconnue par tous les autres États membres (pays d’accueil).  » Ainsi une entreprise de transport routier régulièrement établie dans un Etat membre peut réaliser des transports entre deux Etats membres ou entre un Etat membre et un Etat tiers, mais il s’agit bien de transports transfrontaliers et non de transports entre deux points situés à l’intérieur d’un Etat membre que celui où est établie l’entreprise : cette deuxième situation est régie par les règles de cabotage.

La notion de cabotage routier : une entreprise de transport routier régulièrement établie dans un Etat membre « A » peut bien entendu effectuer des transports routiers d’un point à un autre situé au sein de cet Etat (ce qu’on appelle un transport intérieur), mais elle ne peut pour l’instant pas faire la même chose librement au sein d’un autre Etat membre « B ». Les opérations de ce type sont limitées en nombre dans le temps car elles viennent concurrencer les transporteurs établis dans cet autre Etat (B). Le règlement (CE) n° 1072/2009 du 21 octobre 2009 (article 8, paragraphe 2) applicable depuis le 14 mai 2010 a fixé à un maximum de trois le nombre d’opérations de cabotage autorisées dans les sept jours suivant un trajet international vers le pays d’accueil du cabotage. Cette règle visait à préserver un caractère temporaire aux prestations de service de transport routier à l’intérieur d’un autre Etat membre.

La notion de Détachement des chauffeurs routiers : les chauffeurs qui conduisent les véhicules dans le cadre du transport routier en dehors de l’Etat où est établi leur employeur se trouvent dans une situation difficile à qualifier juridiquement car les contrats conclus peuvent être multiples (contrat de vente de la marchandise entre un donneur d’ordre et un client final, contrat de transport entre le donneur d’ordre et une entreprise de transport et contrat de travail entre le transporteur et le chauffeur, contrat éventuel de sous-traitance, contrat éventuel de location du véhicule). Chaque partie de chaque contrat peut relever d’un Etat différent. Nous n’entrerons pas ici dans le détail des cas de figure possibles [16] . Nous retiendrons seulement que la notion de détachement peut trouver à s’appliquer aussi bien aux opérations de cabotage qu’aux opérations de transport international [17] , sauf dans certains cas particuliers [18] . Par ailleurs, elle s’applique pour les chauffeurs mis à disposition dans le cadre de l’intérim ou d’une mobilité intra-groupe. Autre principe à retenir : si les opérations de transports sont réalisées de manière habituelle, stable et continue à partir d’infrastructures situées en France, l’entreprise de transports étrangère ne pourra se prévaloir des règles du détachement pour ses salariés : elle devra créer un établissement en France et appliquer le droit du travail français, peu importe que les transports soient réalisés dans le cadre du cabotage ou du transport international [19] . Toutefois ce principe est quelque peu occulté par le fait que la réglementation française considère que l’entreprise de transport routier étrangère n’est tenue de déclarer le détachement de son salarié que lorsqu’il est présent sur le territoire français plus de huit jours (c’est-à-dire au-delà de la période de sept jours de cabotage). En d’autres termes, tout se passe comme si, tant que persiste la période légale du cabotage, on considère qu’on ne bascule pas dans l’obligation de déclarer le détachement. Il faut bien comprendre qu’on essaye ainsi d’articuler des réglementations qui ont des objets différents : la réglementation transport (cabotage) qui s’intéresse aux véhicules et la réglementation travail (détachement) qui s’intéresse aux conducteurs. On peut imaginer un chauffeur qui change de véhicule et reste plus longtemps sur le territoire français que le véhicule ou l’inverse. C’est donc une construction juridique un peu bancale mais qui apparaît comme un moindre mal permettant d’avoir des points de repères sur le droit à appliquer.

Début 2014, la Commission européenne envisageait de libéraliser davantage le cabotage comme en témoigne son rapport d’avril 2014 sur l’état du marché du transport routier [20] . Cette perspective semble aujourd’hui reportée à plus tard devant les protestations de certains acteurs économiques et politiques notamment en France. Cette idée était défendue par l’ancien commissaire européen aux transports Siim Kallas qui déclarait en 2013 «  les restrictions actuelles au cabotage vont à l’encontre de l’esprit du marché unique européen  » [21] . On imagine difficilement un virage à 180° avec la nouvelle Commission. En tout cas le CLECAT, lobby européen des commissionnaires de transport (c’est-à-dire les principaux donneurs d’ordres du secteur) poursuit toujours de son côté son objectif d’une libéralisation accrue en faisant «  sauter le plafond maximum des trois opérations de cabotage autorisées dans le délai de sept jours à compter du déchargement des marchandises ayant fait l’objet du transport international  » [22] .

Une libéralisation complète du cabotage aggraverait de manière considérable la situation des transports routiers français et les conditions de travail des chauffeurs étrangers surtout si elle se traduisait par une dérogation accentuée à l’application de la réglementation détachement pour les chauffeurs routiers. Le projet de libéralisation du cabotage porte en lui la négation du principe selon lequel les prestations de service internationales ne peuvent qu’avoir un caractère temporaire et que, dans le cas contraire, l’entreprise prestataire doit s’établir dans le pays d’accueil.

2 – Approche socio-économique : quelle est la rationalité de l’économie du détachement ?

2.1 – La difficile évaluation statistique de l’ampleur du problème

Quelle est la réalité et la gravité du dumping social engendré par les prestations de services internationales dans le transport routier ? Des données statistiques seraient nécessaires pour évaluer le problème. Mais comment établir des statistiques probantes pour des situations frauduleuses qui par nature sont dissimulées et ne rentrent pas dans les cadres réglementaires faisant l’objet de statistiques. L’incapacité des services de contrôle à faire remonter des données significatives ne saurait tenir lieu d’argument statistique puisque c’est précisément les difficultés à contrôler qui favorisent la fraude.

Les données concernant le cabotage sont un élément intéressant mais ne donnent pas directement d’information en matière de dumping social. Le rapport à la Commission précité relève que «  les transports nationaux effectués par des véhicules immatriculés dans un autre État membre (qui constituent le cabotage) représentent à peine un peu plus de 1 % de l’ensemble des activités de transport.  » Mais dans le même temps, comme le montre le graphique ci-dessous extrait de ce rapport, ils se concentrent à 68 % sur deux pays : l’Allemagne et la France qui cumulent à la fois les plus grands volumes de marchandises transportées, une situation de carrefour géographique et des exigences sociales les plus élevées. L’impact du cabotage sur leur marché intérieur des transports routiers est en tout cas plus fort pour ces deux pays que pour les autres Etats membres.

NL

11

%

ES

%

9

DE

%

8

LU

6

%

PT

%

4

BE

%

3

AT

2

%

DK

%

2

IT

%

2

autre

UE-15

4

%

PL

24

%

CZ

%

5

BG

5

%

SK

4

%

HU

%

3

RO

%

2

SI

%

2

autre

UE-12

4

%

DE

%

39

FR

29

%

IT

6

%

BE

5

%

UK

5

%

AT

3

%

SE

3

%

ES

3

%

NL

%

2

DK

2

%

autre

3

%

Figures 3 et 4 : Cabotage dans l’Union en 2012 par pays d’origine des véhicules (à gauche) et par pays d’accueil (à droite). Source: Eurostat, DG MOVE.

Les données statistiques ci-dessus font également apparaître que les principaux pays d’origine du cabotage sont les PECO ainsi que l’Espagne et le Portugal. Il y a bien une répartition entre pays d’origine et pays d’accueil qui correspond globalement à des différentiels de niveau d’exigences sociales et salariales.

Par ailleurs, la concurrence ne s’exerce pas seulement à travers le cabotage mais aussi à travers le transport international : les transports internationaux effectués au départ de la France peuvent ainsi être assurés par des entreprises étrangères. Selon le rapport de la Commission : «  Quatre cinquièmes de l’ensemble des activités de transport internationales sont imputables à des véhicules immatriculés soit dans l’État membre de chargement soit dans l’État membre de déchargement. Un cinquième est effectué par des véhicules immatriculés dans un pays tiers (ce qui constitue le trafic tiers), soit une augmentation par rapport à 2004, où cette part s’élevait à un huitième.  » Cette augmentation du trafic tiers pose en soi question : sur quoi repose sa compétitivité ?

Il importe en outre d’observer ces données en dynamique : selon le CNR [23] «  à l’international, l’activité européenne entre pays tiers et le cabotage explosent : respectivement +15 % et +20 %. (…) le marché international se concentre progressivement autour d’une domination toujours plus forte du pavillon polonais.  »

En tout état de cause, les statistiques sur le cabotage ou sur les transports internationaux se focalisent sur les déplacements des véhicules. Elles ne rendent pas compte de la question fondamentale du point de vue du dumping social : celle des déplacements des chauffeurs. Il est vrai qu’il est probablement impossible d’obtenir des données statistiques à cet égard. En France, par exemple où une déclaration de détachement est obligatoire pour les chauffeurs routiers au-delà de 8 jours de présence, les statistiques générales concernant les déclarations de détachement ne font pas apparaître le chiffre concernant les transports routiers. En réalité, ce chiffre doit être infime. Les déclarations sont rarissimes puisque dans la limite des 7 jours de cabotage, les entreprises en sont dispensées. Faire une déclaration pour une entreprise, ce serait reconnaître qu’elle sort du régime du cabotage et qu’elle pourrait être contrainte à s’établir en France.

Mais ce n’est pas tout : la présence de chauffeurs étrangers dans les pays d’accueil peut également exister en dehors du cabotage ou du transport international, à travers l’intérim ou des formes illicites de mise à disposition de personnel. Il n’y a donc pas de statistiques fiables sur la présence de chauffeurs étrangers sur le territoire français.

Néanmoins, l’absence d’outil statistique ne démontre pas l’absence du problème, même si la Commission a eu tendance, jusque récemment, à le minorer. La perception par les acteurs de terrain (chauffeurs, entreprises, syndicats, services de contrôle) doit être prise au sérieux. Le rapport à la Commission fait référence à un tableau sur le ressenti des parties prenantes consultées dans le cadre de l’élaboration d’un rapport du Parlement européen de 2013 (cf. tableau ci-dessous) : il en ressort une prédominance des problématiques de dumping social, de manque d’application de la législation et des contrôles, d’insuffisance de réalisation de l’harmonisation sociale entre les Etats et d’opérations de cabotage illégales.

Tableau 2 : Problèmes recensés par les parties prenantes comme appelant, à l’avenir, une action législative au sujet des conditions sociales et de travail dans le secteur du transport routier de marchandises [24] .

Degré d’importance

Programmes d’emploi illégaux/déloyaux entraînant du dumping social (y compris les entreprises « boîtes aux lettres »)

*****

Manque d’application de la législation et de contrôles

*****

L’harmonisation sociale entre les États membres de l’UE-27 est loin d’être réalisée

****

Opérations de cabotage illégales

****

Qualité des infrastructures de repos et autres infrastructures destinées aux conducteurs

***

Temps de conduite et de repos

**

Etrangement, le rapport de la Commission n’en tire pas la conclusion qu’une libéralisation accrue du cabotage n’est pas opportune. Il n’identifie pas de problème majeur de dumping social : «  Rien ne prouve, donc, que le non-respect du droit du travail puisse procurer un avantage concurrentiel  ». Il se montre au contraire optimiste sur une réduction spontanée des fraudes : «  bien qu’il faille analyser plus en détails la situation de chaque marché, il semble que les disparités de salaires se réduisent au point d’atténuer le risque de pratiques illicites . »

A défaut de pouvoir mesurer la réalité du dumping social, les indications sur l’évolution relative du pavillon français sont intéressantes : selon le CNR [25] , «  la concurrence insoutenable, les acteurs du TRM français l’éprouvent quotidiennement depuis des années : sur le marché du TRM bilatéral France-UE, la part de marché du pavillon français est passée de 50 % en moyenne jusqu’en 1999, situation d’équilibre, à environ 10 % en dix années seulement, pour une perte, estimée sous hypothèses prudentes, de 21 000 emplois de conducteurs.  »

Certes, comme l’a souligné l’économiste des transports Patrice Salini [26] , l’effondrement du pavillon français n’est peut-être pas imputable qu’à la concurrence des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), mais on peut difficilement nier que c’est un facteur de premier plan.

Dans l’étude déjà citée, le CNR a fait des comparaisons détaillées sur les coûts salariaux de différents Etats membres. Le coût salarial horaire français est trois fois plus élevé que le coût salarial horaire polonais. Sachant que les coûts de main d’œuvre représentent le premier poste dans la structure des coûts (34 % du coût total en France), on comprend que le différentiel est déterminant. Mais il est loin d’être le seul désavantage pour les pays de l’Europe de l’Ouest et du Nord.

Coût de personnel de conduite à l’heure

100

79

53

66

45

34

41

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

France

Allemagne

Ouest

Allemagne

Est

Espagne

standard

Espagne

low

-

cost

Pologne

Slovaquie

base 100 France (2011–2012)

Source : CNR

2.2 – L’ambiguïté de l’avantage en termes de coûts si le cadre légal est respecté

Les réalités économiques et sociales des transports routiers européens sont complexes et diverses. Toutefois, l’une des dimensions du problème peut être résumée par une question simple : à quelles conditions un transport routier de marchandises réalisé entre deux points du territoire français est-il compétitif quand il est effectué par une entreprise de transports routiers Bulgare avec un chauffeur et un véhicule Bulgare ? La Bulgarie est ici prise en exemple parce que son éloignement est particulièrement illustratif (la distance entre Paris et Sofia est de plus de 2000km par la route).

La réponse à la question n’est pas forcément évidente car des facteurs qualitatifs peuvent intervenir : la qualification des chauffeurs, l’organisation de l’entreprise, l’innovation peuvent par exemple compenser voire surpasser les aspects strictement financiers. Mais on peut légitimement penser que de tels facteurs auraient dû jouer en faveur des entreprises des pays de l’ancienne Europe, bonifiées par l’expérience d’une concurrence déjà ancienne. En tout cas, aucun élément qualitatif majeur n’a pour l’instant été mis en avant pour expliquer un avantage compétitif des pays de l’Europe centrale et orientale.

On peut par ailleurs constater qu’objectivement l’entreprise Bulgare est handicapée par de nombreux facteurs sur le marché français :

Elle doit faire en sorte que son véhicule parcourt la distance jusqu’en France alors qu’en application des règles de cabotage il devra quitter la France au bout de 7 jours.

Elle doit payer le déplacement de son conducteur en temps de travail et frais de transports.

Elle doit sur place payer des frais d’hébergement et de repas (notamment lors du repos hebdomadaire).

Elle souffre des désavantages liés à la méconnaissance de la langue, à l’absence d’expérience du réseau routier français, etc.

Signalons au passage que se poser la question dans ces termes, c’est déjà opérer un glissement par rapport à une situation jugée normale par le droit européen et français : l’entreprise Bulgare et ses chauffeurs sont supposés exercer leur activité principalement et habituellement à partir du territoire Bulgare. Leur activité à partir des autres Etats membres doit être accessoire et temporaire.

Intuitivement, on devine que pour rendre compétitifs les transports accomplis à l’intérieur des pays d’Europe du Nord et de l’Ouest, notre entreprise Bulgare aura intérêt à :

Avoir des coûts salariaux radicalement inférieurs aux entreprises des pays d’accueil ;

Limiter le coût de déplacement des véhicules en l’optimisant grâce aux transports internationaux à réaliser à l’aller et au retour ce qui suppose un agencement idéal des points de chargement et de déchargement des différents clients pour respecter le délai de 7 jours prévu pour le cabotage. En cas d’impossibilité, l’entreprise aura intérêt à retarder au maximum le retour du camion (donc à ne pas respecter les règles de cabotage) ou même à envoyer le chauffeur sans le véhicule ;

Limiter les frais d’hébergement au maximum (sachant que les nuitées d’hôtel représentent un coût important) en faisant dormir le chauffeur exclusivement dans son camion y compris, pendant son repos hebdomadaire ;

Optimiser au maximum la gestion des temps de conduite et de repos.

Si les pratiques des transporteurs des pays d’envoi ne débouchent pas systématiquement sur des fraudes, on voit que les conditions de réalisation des prestations les incitent à faire porter la compétitivité sur l’abaissement des salaires et les conditions de travail des chauffeurs pour faire plus que compenser leurs désavantages « géographiques ». Et c’est bien ce que constatent les services de contrôle dans la réalité.

Au-delà de cet exemple microéconomique, on peut se poser la question de manière plus générale : en quoi le déplacement de véhicules et de travailleurs sur des milliers de kilomètres pour effectuer du cabotage dans un autre Etat membre est avantageux pour l’économie européenne prise dans son ensemble ? On voit bien que cela présente des coûts économiques (notamment en consommation de carburant) mais aussi sociaux et environnementaux.

On peut aussi s’interroger sur la contribution des pratiques de cabotage à la croissance du secteur : permet-elle vraiment un accroissement de l’activité ou bien se traduit-elle seulement par effet de substitution des transports routiers des PECO ou du Sud à ceux de l’Ouest et du Nord ? Les données disponibles concernant l’évolution des volumes transportés ne permettent pas de répondre à cette question en raison de la crise économique. Selon le rapport de la Commission européenne déjà cité : «  En 2012, le transport a représenté près de 1 700 milliards de tonnes-kilomètres dans l’UE-27, soit quelque 4 % de moins qu’en 2004 et environ 13 % de moins qu’au cours de l’année record de 2007.  ». On sait seulement qu’en parts de marché la Pologne monte en puissance aux dépens de pays comme la France ou l’Allemagne.

Le coût économique lié aux distances entre pays d’envoi et pays d’accueil apparaît dans le rapport de la Commission, mais sous un angle bien différent. L’une des préoccupations du rapport est de limiter les parcours à vide : «  Les taux de parcours à vide restent élevés dans les activités de transport nationales. Le taux de parcours à vide pour les transports nationaux effectués par des transporteurs du pays est d’un peu plus de 25 %. Cependant, dans le cas de véhicules étrangers qui effectuent des transports nationaux dans un pays autre que l’État membre où ils sont immatriculés, ce taux atteint près de 50 %.  » Pour que la rentabilité soit accrue, il conviendrait que les véhicules ne soient pas contraints par les règles de cabotage de quitter le pays d’accueil au bout de sept jours : «  Comme les études l’ont montré, assouplir les restrictions imposées en matière de cabotage pourrait contribuer à rendre le secteur du transport routier plus économique et plus efficace dans l’utilisation de ses ressources, puisque les parcours à vide s’en trouveraient réduits, ce qui aiderait le secteur à accroître sa rentabilité et à réduire sa consommation de carburant.  » [27] . On peut traduire cette idée de la manière suivante : pour que les transports effectués par les entreprises des PECO à l’intérieur des pays de l’Europe du Nord et de l’Ouest soient définitivement rentables, il suffirait que les véhicules puissent rester dans les pays d’Europe de l’Ouest ou du Nord sans limite de durée. Or comme nous l’avons vu, cela est contraire au principe du droit européen selon lequel les prestations de services internationales doivent rester temporaires. Ici transparaît l’hypocrisie des discours officiels sur l’ouverture du marché des transports : ce qui est recherché par les transporteurs à travers la libéralisation du cabotage, ce n’est pas de faire jouer une saine concurrence entre les entreprises mais très prosaïquement de rendre applicable les référentiels sociaux les plus bas dans les pays riches d’Europe.

Dans l’affaire Transports Norbert Dentressangle, l’un des avocats des syndicats de salariés a très bien décrit la logique sous-jacente du fonctionnement du marché des transports routiers en Europe : «  Lorsque le groupe « ND » a mis en place ses bases polonaise et roumaine en 2005–2006, le leitmotiv consistait à dire : « on accompagne nos clients à l’Est ». Très bien mais dans ce cas, cela aurait dû générer des flux de transports entre l’Est et l’Ouest. Or, vous avez des conducteurs qu’ils soient Roumains, Polonais ou Portugais, qui sont transportés par navette pour prendre leur poste en France au volant d’un camion qui ne voit pas plus la Pologne que vous ou moi et qui ensuite tourne en Europe de l’Ouest (…). C’est clairement un trafic France-Europe de l’Ouest effectué par des salariés d’Europe de l’Est à bas coûts de main d’œuvre.  »

A ce stade de la réflexion, il importe de signaler le rôle central des grands opérateurs de transports que sont les grands groupes internationaux de transporteurs ou les commissionnaires de transports [28]  : ce sont eux qui mobilisent des chauffeurs ou des transporteurs dans toute l’Europe et qui cherchent à rationaliser au maximum les déplacements et les coûts du travail. Une petite entreprise familiale de transports Bulgare d’une dizaine de véhicules n’est pas en capacité d’aller démarcher de gros clients industriels qui seraient suffisamment bien répartis sur le territoire européen pour lui permettre d’optimiser les opérations de cabotage dans les sept jours. Seuls des groupes de transports ou des commissionnaires d’assez grande envergure peuvent le faire. Ce sont eux qui produisent des activités à forte valeur ajoutée et eux qui tirent le plus grand bénéfice du dumping social, et non la petite entreprise de transport routier Bulgare qui travaille pour leur compte. Mais les grands groupes trouvent que les règles de cabotage entravent encore la progression de leur rentabilité, d’où leur lobbying pour une libéralisation accrue.

2.3 – L’avantage concurrentiel pour les entreprises des pays d’envoi n’est pas que salarial

En théorie, par application des règles du noyau dur, les salariés détachés en France doivent bénéficier des minima salariaux et du paiement des heures supplémentaires applicable en droit français. Ils doivent également appliquer d’autres règles comme celles en matière de santé et sécurité du travail ou celles concernant la durée du travail française plus contraignante. Cela est supposé limiter le désavantage concurrentiel des entreprises établies en France. Mais c’est vraiment méconnaître le droit du travail que de penser qu’il peut se réduire à ces minima. Sans entrer dans le détail, on peut souligner par exemple à quel point les règles en matière de rupture de contrat ou d’arrêt maladie peuvent jouer un rôle primordial dans la souplesse de gestion du personnel. Un raisonnement qui porte seulement sur les coûts salariaux directs minimise donc sensiblement la distorsion de concurrence en défaveur des entreprises établies.

Mais là n’est pas le plus grave : dans les transports routiers, l’application effective des règles du noyau dur relève de la pure fiction. Comment les contrôler pour un chauffeur qui n’est pas rattaché à un établissement en France ? Il n’y a pas d’interlocuteur pour produire les éléments qui pour la plupart restent dans le pays d’envoi. Le contrôle est rendu encore plus compliqué par le fait que le chauffeur ne reste pas sur le territoire pendant toute une période de paie. Le contrôle est par ailleurs aléatoire lorsqu’il concerne un véhicule sur la route : le ciblage est donc très difficile. La langue constitue également un obstacle.

En réalité, l’absence d’établissement permet aux entreprises prestataires d’échapper beaucoup plus facilement au contrôle dès lors que ce qui est contrôlé relève de la gestion administrative de l’entreprise et non de l’activité d’un chauffeur ou d’un véhicule donné. Le simple fait de n’être pas soumis aux mêmes « risques » de contrôle constitue un désavantage concurrentiel très important pour les entreprises établies en France par rapport à celles qui ne le sont pas. Il n’est d’ailleurs pas exclu que les entreprises étrangères de transports routiers échappent aussi plus facilement au contrôle dans leur pays d’établissement, si elles n’y ont pas d’activité véritable.

Certaines entreprises étrangères hurlent à la discrimination lorsque les services de contrôle s’avisent de demander plus que les documents formels prévus pour le détachement. La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne est allée dans leur sens. Comme le rappelle le rapport Bocquet, la CJUE a estimé que compte tenu d’une équivalence entre les documents obligatoires dans le pays d’envoi, un État membre ne saurait justifier une dérogation à la libre prestation de service. L’argument invoqué de l’équivalence des mesures de contrôle et de la coopération entre administrations est sujet à caution. D’abord, parce qu’il ne correspond ni à la réalité des réglementations, ni à la réalité des pratiques de contrôle, ni à la réalité des coopérations interétatiques. Ensuite parce que moins une action de contrôle est unifiée, plus elle perd en efficacité. Les entreprises établies seront donc plus souvent et plus efficacement contrôlées que les prestataires de service quand bien même les services de contrôle soupçonnent que ces dernières devraient justement faire l’objet d’un établissement.

Lorsque le contrôle est plus difficile, les fraudes sont plus faciles. En matière de PSI, les formes de fraudes sont multiples. Depuis la fraude à l’établissement à la dissimulation d’heures travaillées en passant par les faux indépendants ou l’absence de déclaration de détachement, il serait trop long d’en énumérer ici toutes les variantes. Mais dans cet ensemble disparate se dégage une tendance lourde, qui d’ailleurs n’est pas spécifique au détachement : on la retrouve dans toutes les formes de travail illégal et elle ronge aujourd’hui toute l’économie française. On peut la désigner par l’expression « trafic de main d’œuvre », très justement employée dans le rapport Savary. Son développement participe de l’infernale complexification des montages frauduleux.

Autrefois, le travail illégal était essentiellement le fait soit de personnes ne déclarant pas leur activité, soit d’entreprises ne déclarant pas leurs salariés. La fraude était relativement simple. Aujourd’hui, les entreprises peuvent avoir pignon sur rue (ou sur web désormais) mais externalisent la main d’œuvre de manière plus ou moins légale pour transformer les contrats de travail en contrats commerciaux conclus soit directement avec des travailleurs prétendument indépendants, soit avec une entreprise qui met à disposition de la main d’œuvre : l’activité de ces entreprises consiste au mieux à rechercher des travailleurs mais parfois c’est leur donneur d’ordres qui s’en charge lui-même. En réalité, elles ne servent que de façade juridique : elles permettent au donneur d’ordres de ne pas être reconnu comme l’employeur, ce qui le dégage de toutes les responsabilités légales afférentes et autorise l’application d’un statut social bien moins coûteux, surtout si l’entreprise sous-traitante est basée dans un pays moins exigeant en matière sociale.

L’intérim est une traduction de ce phénomène, mais il est très encadré en droit français et les salariés mis à disposition bénéficient de droits assez proches de ceux des salariés directs (le travail temporaire est d’ailleurs extrêmement onéreux pour les entreprises utilisatrices). Ce n’est pas forcément le cas pour les entreprises intérimaires des pays d’envoi qui sont soumises à un cadre réglementaire beaucoup plus souple (là aussi on est en présence d’une distorsion de concurrence en défaveur du pays d’accueil).

Il faut prendre conscience que ce «  trafic de main d’œuvre  » recouvre en fait des situations qui sont de plus en plus perçues comme une nouvelle normalité par les acteurs économiques et politiques. L’externalisation de la main d’œuvre se banalise. Elle découle pourtant d’une idée qui, sous couvert de modernité, représente un retour en arrière de plus de deux siècles [29] . Cette idée consiste à considérer que le capital n’est pas responsable du travail humain qu’il met en œuvre. Cela se concrétise déjà dans le domaine des transports et on trouve des chauffeurs routiers « autoentrepreneurs » qui conduisent un véhicule appartenant à d’autres ou loué par d’autres. On voit même des pilotes d’avion « travailleurs indépendants » aux commandes des avions de compagnies low-cost à qui ils payent leur uniforme et leur formation de pilote. Avec cette dissociation du capital et du travail, le rêve des ayatollahs du libéralisme est en train de s’accomplir. Les soubassements sur lesquels notre modèle social est édifié s’effritent en silence.

En droit français, cette évolution est symbolisée par les dispositions de l’article L8221–6 du code du travail qui instaurent une présomption de non-salariat pour les entreprises sous-traitantes vis-à-vis de leur donneur d’ordres. Cette présomption avait été introduite par la loi Madelin de 1994, supprimée en 2000 puis rétablie en 2003. Son champ a été étendu en 2008 au statut d’autoentrepreneur qui se caractérise par son hyperpermissivité et qui a donné une toute autre ampleur aux formes de « travail indépendant » [30] . La loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises a supprimé la présomption de non-salariat pour les seuls autoentrepreneurs. Mais dans les autres cas cette présomption reste en vigueur.

Au-delà du droit, c’est l’acceptation généralisée des pratiques sur l’externalisation de la main d’œuvre qui posent problème. Si on tolère ce phénomène en France, comment le combattre dans le cadre des prestations internationales qui s’en nourrissent abondamment ?

2.4 – La détérioration des conditions de travail des chauffeurs routiers

Les conditions de travail sont une dimension souvent négligée de l’activité économique. En comptabilité, elles représentent une charge. En économie, elles sont regardées essentiellement comme un coût, assez rarement comme un facteur d’amélioration de la productivité et presque jamais comme une finalité ou, plus inconcevable encore, comme une création de richesse. Et pourtant, elles satisfont des besoins humains.

Comme nous l’avons vu, dans le cas des transports routiers européens, les conditions de travail sont la principale variable d’ajustement économique qui permet au système de fonctionner.

Le Parlement européen a fait le constat de la détérioration des conditions de travail dans son rapport sur les «  Conditions sociales et de travail des transporteurs routiers de marchandises  » [31]  : «  Comme l’indiquent les données collectées, les parties prenantes considèrent notamment que l’environnement de travail (avec une hausse du niveau de discrimination entre les conducteurs de l’UE-15 et ceux de l’UE-12), les exigences professionnelles (avec un niveau plus élevé de flexibilité des tâches ainsi qu’une augmentation du volume des activités hors conduite) et les niveaux de revenus (avec une baisse continue des niveaux de rémunération des conducteurs) sont les composantes sociales du secteur du transport routier de marchandises qui se sont le plus détériorées au cours des cinq dernières années.  »

Figure 1 : Éléments qui se sont le plus détériorés au cours des cinq dernières années

0

1

2

3

4

5

Working

environment

Income levels

Non

standard

working hours

Working hours

Job demands

Skilled work

Deteriorated sharply

Deteriorated

Neither deteriorated

nor improved

Improved

La durée du travail a, depuis les origines du transport routier, constitué une problématique centrale dans les conditions de travail des chauffeurs routiers. L’Union européenne s’est surtout intéressée aux durées de conduite et de repos dans un souci de sécurité routière à travers ce qu’on appelle la réglementation sociale européenne. Il faut comprendre que cette réglementation constitue une base minimale en deçà de laquelle l’accident est à craindre : elle autorise jusqu’à 4h30 de conduite non stop, jusqu’à 10h de conduite par jour et un minimum de 9h de repos journalier (ce qui peut correspondre en toute légalité à six ou sept heures de sommeil). Cela signifie qu’un chauffeur qui commence à 6h00 pourra légalement travailler jusqu’à 21h00. La réglementation sociale européenne ne tient pas compte de l’ensemble de temps de travail et la directive 2002–15 sur la durée du travail des chauffeurs routiers est particulièrement laxiste [32] . Or la fatigue des chauffeurs résulte de l’accumulation de toutes les tâches de la journée (chargement, relations avec les clients, formalités administratives, etc.). Patrick Hamelin, chercheur spécialisé sur ces questions, avait démontré que lorsque les chauffeurs routiers dépassent 11h d’amplitude travail par jour le risque d’accident est beaucoup plus important surtout associé au travail de nuit [33] . Selon les chiffres du Ministère des transports, le nombre d’accidents du travail mortels est proportionnellement plus important dans le transport routier de marchandises que dans le BTP secteur connu pour avoir les taux d’accidentologie parmi les plus élevés [34] .

Les chauffeurs français sont soumis à des règles en matière de durée du travail qui sont dérogatoires par rapport aux salariés des autres secteurs : pour les chauffeurs longue distance la durée hebdomadaire peut atteindre 56h contre 48h pour la plupart des autres professions. Or la durée effective de travail des chauffeurs français approche très fréquemment ces maxima. Ils peuvent difficilement être considérés comme des nantis. Les chauffeurs des PECO ou du Sud de l’Europe sont supposés être soumis à ces limites quand ils circulent en France. Mais le contrôle de ces normes ne peut en pratique se faire qu’en entreprise. Sur route, la portée est très limitée (un seul chauffeur à la fois et sur une période limitée). Compte tenu de la tension sur les délais de livraison, il est très vraisemblable que ces chauffeurs dépassent les limites de durée du travail : ils sont donc beaucoup plus exposés à des risques d’accidents routiers.

Le rapport de la Commission fait état d’une baisse de l’accidentologie générale mais sur la base de statistiques datant de 2010 et sans isoler les transports internationaux dans le total. La baisse générale résultant de facteurs comme l’amélioration de la conception des véhicules ou la baisse des volumes transportés peut ainsi masquer la progression des accidents résultant d’une détérioration des conditions de travail résultant du dumping social. Une mise à jour et un affinement des données à cet égard seraient utiles.

Les conditions de travail des chauffeurs routiers effectuant des transports internationaux sont par ailleurs marquées par le fait que le camion devient leur lieu de vie et ce, pendant des semaines voire des mois. Mais quand on évoque cette situation s’agissant de chauffeurs routiers, cela choque moins car leurs conditions de travail sont souvent perçues comme inhérentes à la nature même de leur métier [35] . Imaginerait-on pourtant les employés de bureau faire de leur bureau leur lieu de vie pendant des semaines ?

Il faut s’efforcer de se représenter ce que leurs conditions de vie signifient au jour le jour. Ils dorment dans la cabine de leur camion sur une aire d’autoroute ou le bord d’une route. S’ils sont sur une aire d’autoroute équipée [36] , ils se lavent en utilisant des sanitaires, parfois sans eau chaude et rarement dotés d’une douche. Sinon, ils se lavent au moyen d’un bidon d’eau conservé dans le camion. Ils mangent en utilisant un réchaud au pied de leur camion, dans les odeurs de pneumatiques et de gasoil. Peuvent-ils au moins boire un café chaud avant de reprendre le volant à 5 ou 6 heures du matin, au beau milieu de l’hiver ?

Leur vie dans le camion se poursuit pendant leur repos hebdomadaire. Ils n’ont quasiment pas de vie à eux : leur travail et leur vie privée ne font plus qu’un. Ils n’ont même plus de vie de famille pendant de très longues périodes, ce qui doit vraisemblablement déboucher dans certains cas sur l’absence complète de vie de famille. Quand on pense à l’importance conférée (à juste titre) à la vie privée dans d’autres circonstances, on peut s’étonner que des atteintes si violentes à la vie privée des chauffeurs routiers émeuvent si peu.

L’argument opposé assez mécaniquement est celui du libre choix, voire de la culpabilité des chauffeurs. Dans certains cas, ils se voient en effet octroyer des indemnités de déplacement leur permettant en théorie d’aller à l’hôtel. Mais, dans les faits, c’est la seule rétribution financière des sacrifices qu’ils consentent en partant au loin pour de longues périodes. Les niveaux de salaires de base ne sont pas à eux seuls suffisamment attractifs.

L’attractivité du métier de chauffeurs est d’ailleurs devenue aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur pour l’avenir du secteur au niveau européen. Selon la conclusion du rapport de la Commission de 2014 : « le secteur va devoir faire face à plusieurs défis dans l’avenir. Pour y répondre, il devra améliorer son efficacité. La pénurie de chauffeurs est atténuée par la crise, mais elle demeure une source de préoccupation, en particulier en ce qui concerne les chauffeurs spécialisés. À l’avenir, cette tendance engendrera de nouvelles demandes en termes de personnel et de qualifications, dans un contexte de vieillissement de la main-d’œuvre. De plus, les conditions de travail restent difficiles dans le secteur du transport de marchandises par route, où les relations contractuelles se caractérisent encore par une proportion notable de travailleurs indépendants.  »

On voit d’ailleurs des entreprises des PECO aller chercher des chauffeurs hors UE comme par exemple des Biélorusses ou des Ukrainiens. Le rapport évoque, parmi d’autres, le facteur des conditions de travail pour expliquer cette perspective de pénurie de main d’œuvre. Cela relève du bon sens : comment espérer que les chauffeurs de l’Est puissent se satisfaire dans le long terme des conditions de travail décrites précédemment ? Mais c’est en fait la construction d’ensemble du marché européen des transports routiers qui rencontre aujourd’hui ses limites car elle repose pour beaucoup sur une « délocalisation » artificielle des chauffeurs.

Le rapport de la Commission ne semble pas envisager les choses de ce point de vue alors même qu’il reconnaît que «  les conditions de travail dans le secteur du transport de marchandises par route sont difficiles, comme en témoigne la faible attractivité du secteur. Les raisons en sont notamment le caractère mobile des activités de transport routier et les longues périodes d’éloignement.  » Mais la conclusion qu’il tire n’en tient aucun compte : «  Avec la diminution des réserves de chauffeurs disponibles, les entreprises doivent réduire les niveaux élevés de parcours à vide afin de tirer le meilleur parti de leurs effectifs.  » En d’autres termes, pour la Commission, le problème pourrait être résolu par la libéralisation du cabotage. Or c’est précisément ce dernier qui conduit à soumettre les chauffeurs à des conditions de travail insoutenables à long terme et, probablement, à alimenter la pénurie de main d’œuvre.

La logique du marché du travail dans les transports routiers aurait dû conduire simplement à accepter une augmentation des salaires. D’ailleurs, dès l’origine, la logique du marché du travail aurait dû se traduire par une véritable circulation des travailleurs, c’est-à-dire une émigration vers les pays les plus offrants. La pénurie de chauffeurs, tout particulièrement en France, était déjà sensible dans les années 2000. Les chauffeurs des PECO ou d’Europe du Sud auraient pu satisfaire cette demande en venant s’installer en France et bénéficier des conditions de travail et d’emploi françaises tout en apportant en contrepartie leur travail, leurs cotisations, leurs impôts et leur consommation. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit, sans doute parce que la principale entrave à la libre circulation réside dans la barrière des langues pour les populations moins qualifiées.

3 – Approche administrative : comment contrôler des activités mobiles qui s’exercent sur le territoire européen ?

3.1 – Etat des lieux du contrôle des prestations de services internationales de transports routiers en France

En France, rares étaient ceux qui, au début des années 2000, avaient pris conscience des enjeux du dumping social dans les transports routiers. Le reportage d’Envoyé Spécial de février 2011 sur France 2 [37] a joué pour le grand public un rôle de révélateur sur l’ampleur du phénomène qui avait gagné y compris l’entreprise la plus emblématique du transport routier français : Norbert Dentressangle. Le système mis en place par ce groupe depuis 2005–2006 montre aussi que les grands transporteurs ou commissionnaires avaient, eux, compris depuis longtemps le parti qu’ils pouvaient tirer de l’ouverture européenne.

De leur côté, les services de contrôle se sont montrés très lents dans leur prise de conscience et dans leur réaction mais cela apparaît très logique car ils sont conçus et structurés dans une logique nationale : ils sont organisés pour appliquer le droit français à des entreprises établies en France et le tout en langue française. L’irruption d’acteurs étrangers, n’étant pas complètement soumis au droit français et sans établissement en France ne pouvait que leur échapper, ne serait-ce que pour les identifier ou détecter les fraudes. Par exemple, quel chauffeur polonais ou roumain peut avoir l’idée de solliciter l’inspection du travail ou les contrôleurs des transports terrestres ? Sait-il seulement comment les trouver ? D’une manière générale, la condition du contrôle du respect de règles relatives à l’activité de transport de l’entreprise et à la gestion du personnel est l’existence d’un établissement. Les problèmes de langue sont par ailleurs très difficiles à surmonter : ils ne sont pas un critère de recrutement des agents de contrôle mais en outre, on se trouve face à une multiplicité de langues dont certaines très peu répandues. Quel interprète solliciter si on ne sait pas à l’avance de quelles nationalités vont être les chauffeurs contrôlés ? Même lorsqu’on dispose d’un interprète, l’interprétation peut toujours faire l’objet d’une contestation lors d’une éventuelle procédure judiciaire.

Du reste, c’est toute la chaîne de contrôle qui est orientée dans une logique nationale, notamment les services judiciaires chargés de prononcer et de faire appliquer les sanctions : comment juger et sanctionner effectivement des personnes qui ne sont plus sur le territoire français ?

Mais il existe une autre explication au retard pris par les corps de contrôle pour se hisser à la hauteur du niveau atteint par les fraudes. La volonté politique d’en faire une véritable priorité n’est apparue que récemment. A la fin des années 2000, la priorité de la lutte contre le travail illégal était la lutte contre l’immigration illégale. Cette orientation était poussée à un tel degré qu’on en venait à détourner les actions de lutte contre travail illégal pour la recherche exclusive d’immigrés en situation irrégulière. Pendant que l’action des services de contrôle se focalisait sur ce point, les prestations de service internationales frauduleuses se multipliaient sans rencontrer de véritable obstacle.

La priorité donnée à la lutte contre l’immigration illégale a pu avoir des effets très concrets : les ministères de l’immigration et du travail ont par exemple voulu regrouper dans une même base de données appelée FRAMIDE (France Migration Détachement) les informations liés aux autorisations de travail des travailleurs migrants et celles liées aux déclarations de détachement. Or la relation entre ces deux types de données est assez ténue et n’est en tout cas pas de nature à justifier une base unique. Finalement cette base n’a jamais vu le jour mais elle a fortement retardé le développement d’une véritable base de données concernant le détachement et facilitant son contrôle.

Depuis 2012, le gouvernement et le parlement s’emploient à rattraper le retard accumulé. Avec les lois Savary et Macron, ils ont construits de nouveaux outils de contrôle et de sanction qui devraient se révéler beaucoup plus efficaces dans la lutte contre les fraudes au détachement. Sans entrer dans le détail de l’arsenal juridique mis en place, on signalera l’introduction d’amendes administratives en cas d‘absence de déclaration de détachement qui permettront d’accélérer les processus de sanction. Autre apport essentiel : le rôle central attribué au représentant en France de l’entreprise prestataire ; cela devrait faciliter les contrôles. Par ailleurs, le renforcement du dispositif légal et réglementaire ne vise pas que les fraudes au détachement mais les formes de travail illégal en général avec une amélioration sensible des dispositifs permettant, le cas échéant, la mise en cause des donneurs d’ordres. La loi Macron prévoit en outre la possibilité de suspendre la prestation en cas de fraude, pendant un mois au maximum : une telle sanction est très dissuasive, car contrairement aux amendes administratives, elle peut s’exécuter sur le territoire français même s’il n’est pas possible de mettre la main sur le prestataire étranger.

S’agissant des transports routiers, la loi Savary permet notamment de sanctionner la prise du repos hebdomadaire normal dans la cabine. Le projet de loi Macron devrait également faire évoluer la déclaration de détachement spécifique aux transports routiers vers une attestation de détachement. La forme de la déclaration de détachement à l’inspection du travail est en effet inadaptée aux transports routiers. Néanmoins, compte tenu du fait que le cabotage dispense de la formalité liée au détachement, il n’est pas certain que cette disposition fasse évoluer fondamentalement les pratiques.

Par ailleurs, la politique de lutte contre le travail illégal s’est résolument tournée vers les fraudes aux prestations de services internationales, entre autres dans les transports routiers. Le plan national de lutte contre le travail illégal 2013–2015 a fait du renforcement de la lutte contre la fraude au détachement l’un de ses objectifs prioritaires. Le secteur du transport routier de marchandises est particulièrement visé.

Le Ministère du travail a également innové en matière d’organisation de l’inspection du travail par la création d’un groupe national de contrôle et d’équipes de contrôle régionales spécialisées dans la lutte contre le travail illégal et plus particulièrement les fraudes complexes, dont celles liées aux PSI. La compétence supra-départementale et le renforcement de l’expertise technique offrent à ces services des atouts très importants pour l’efficacité des contrôles.

Toutes ces dispositions vont porter leurs fruits à terme mais, compte tenu des changements organisationnels qu’elles impliquent, il y aura nécessairement un processus de mise en place et de montée en puissance qui prendra plusieurs mois, peut-être plus d’un an.

Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur prise par le dumping social, d’autres mesures peuvent être proposées.

3.2 – Propositions pour faciliter le contrôle en France

La démarche consiste ici à ouvrir de nouvelles pistes d’action dont il reste toutefois à expertiser la faisabilité juridique tant du point de vue du droit français que du droit européen.

A- Responsabiliser encore davantage les donneurs d’ordres

L’efficacité du contrôle ne résulte pas exclusivement de facteurs quantitatifs : il dépend aussi de l’intériorisation par les acteurs du risque de contrôle et, d’autre part, de la capacité des actions de contrôle à atteindre les points névralgiques. En l’occurrence, le point névralgique est bien souvent le rôle central des donneurs d’ordres. Si les donneurs d’ordres intériorisent véritablement un risque de contrôle très coûteux, le problème sera résolu en un temps record sans pour cela qu’il soit nécessaire de multiplier les effectifs de contrôle. Les dispositions des lois Savary et Macron visant les donneurs d’ordres vont dans ce sens. Mais attention à ce qu’elles ne se transforment pas en occasion pour les donneurs d’ordres de se dédouaner grâce à l’accomplissement d’une simple formalité leur permettant de se dégager de toute responsabilité.

Les suggestions suivantes peuvent être faites pour responsabiliser encore davantage les donneurs d’ordres :

La généralisation de la possibilité de suspendre l’exécution des prestations pour l’ensemble des formes de travail illégal lorsqu’elles ont été signalées par les services de contrôle. Si cette suspension n’est pas respectée, une sanction pénale ou administrative lourde pourra être prononcée.

La généralisation de la possibilité pour les services de contrôle de remonter, par signalements successifs jusqu’à l’entreprise qui bénéficie au final de la prestation frauduleuse et pas simplement le donneur d’ordre direct. A défaut certains donneurs d’ordres risquent de créer des sous-traitants écran, comme ils le font déjà dans d’autres domaines du travail illégal.

B- Renforcer encore la coordination des différentes administrations

Ce n’est pas nouveau : chaque administration a sa propre finalité qui ne correspond que partiellement à celle des autres et une plus grande transversalité serait toujours souhaitable. La problématique des prestations de services internationales n’y échappe pas. D’ailleurs, les administrations en sont conscientes. Les services de contrôles sont invités à travailler de concert et s’y efforcent avec plus ou moins de facilité. Néanmoins, au niveau des administrations centrales, il reste encore des marges de manœuvre pour faire converger les pratiques vers la cible de lutte contre le dumping social. Par exemple, le fait que des cotisations sociales soient versées peut satisfaire les URSSAF qui, implicitement, accepteront la construction juridique correspondante alors que du point de vue du droit du travail la situation est contestable même si le préjudice n’est pas toujours quantifiable. Il existe de ce point de vue plusieurs inadéquations entre réglementation de sécurité sociale et réglementation du travail qui pourraient peut-être être atténuées, si ce n’est définitivement levées.

En matière de transports routiers, il convient de souligner le rôle particulier du ministère chargé des transports. Comme dans la plupart des autres Etats membres, ce ministère joue un rôle central dans la régulation économique mais aussi sociale du secteur (il produit par exemple des règles de droit du travail spécifique au secteur). Il intervient ainsi sur des champs qui sont habituellement traités par le seul ministère du travail pour d’autres secteurs d’activité. Il en résulte un besoin de coordination accrue entre les deux, notamment sur l’articulation des notions de cabotage et de détachement.

C – Affirmer une politique pénale volontariste.

Le rôle de la justice pénale est fondamental dans l’efficacité de la lutte contre les fraudes aux PSI. La sensibilisation renforcée des parquets et des juridictions à ces problématiques doit être poursuivie. Mais en amont des dossiers complexes qui pourraient être poursuivis devant les juridictions pénales, il faut souligner l’importance du traitement des questions d’obstacle au contrôle.

En fait, une bonne part des difficultés de services de contrôle résultent des obstacles plus ou moins subtiles auxquels ils se heurtent : tel employeur refuse de répondre, tels documents sont présentés au compte-goutte, telle entreprise de domiciliation illicite empêche le contrôle, etc.

Ces obstacles qui du point de vue légal sont considérés comme des délits sont souvent regardés avec circonspection par les juridictions : il est difficile de se figurer le préjudice causé par l’infraction. Pourtant si les obstacles ne sont pas sanctionnés, ils deviennent la solution la plus simple pour s’éviter des désagréments judiciaires. Et ce sont finalement les entreprises qui n’ont pas complètement basculé dans la dissimulation qui seront les plus contrôlées. Pourquoi d’ailleurs ne pas considérer l’obstacle au contrôle comme étant l’une des formes du travail illégal, puisqu’il vise à dissimuler ?

Si l’obstacle est la façon la plus simple de protéger les fraudeurs contre les contrôles, c’est inversement l’infraction la plus simple à établir pour les services de contrôle et les juridictions. Tout devrait donc concourir à ne pas négliger cet axe de travail.

Indépendamment du rôle de la justice, on pourrait aussi imaginer une procédure de signalement par les services de contrôle au donneur d’ordres en cas d’obstacle au contrôle commis par un prestataire sous-traitant. A défaut de régularisation par présentation des documents, le service de contrôle pourrait enjoindre le donneur d’ordres de suspendre l’exécution du contrat.

D – Faciliter l’articulation du contrôle de des réglementations transports et travail en :

considérant que l’obligation de disposer de l’attestation de détachement prévue par la loi Macron doit se faire indépendamment de la règle du cabotage applicable au véhicule : l’attestation devrait être obligatoire au-delà d’un nombre de jours de présence du salarié sur le territoire sur une période donnée (par exemple huit jours de présence en France sur les 28 derniers jours enregistrés sur la carte conducteur par le chronotachygraphe [38] )

sanctionnant sévèrement l’absence de spécification du passage des frontières sur le chronotachygraphe. En effet, aujourd’hui le chauffeur doit actionner son chronotachygraphe pour signaler un passage de frontière. S’il ne le fait pas, il est difficile de savoir s’il est resté en France ou non. Il convient cependant de noter que les nouvelles règles techniques prévoient la géolocalisation des chronotachygraphes, ce qui facilitera grandement les contrôles.

En envisageant, en cas d’absence d’attestation de détachement remises au chauffeur, la possibilité de prononcer l’interdiction de cabotage comme cela est déjà possible en cas de non-respect des règles de cabotage.

3.3 – La problématique du contrôle est européenne

Les mesures proposées précédemment, de même que celles prévues par les lois Savary et Macron, s’inscrivent dans une démarche de défense franco-française qui, au demeurant, est tout à fait légitime même si elle va sans doute susciter les des contestations de la part de certains pays d’envoi. Mais comme les rapports Boquet et Savary l’ont tous les deux signalé, la problématique du contrôle est aussi européenne.

Partons de l’exemple d’un chauffeur slovaque au volant d’un véhicule immatriculé en Belgique, appartenant à un grand groupe belge, commissionnaire de transports. Contrôlé sur route en France, il déclare, dans un anglais approximatif, être employé par une entreprise slovaque qui en l’occurrence n’aurait pas de véhicule de transport routier. Il prend son poste la plupart du temps en Belgique mais effectue des transports principalement en France. Il ne retourne en Slovaquie que tous les trois mois.

Admettons que l’agent de contrôle veuille se pencher sur cette entreprise qui n’a pas de point d’attache en France. Il va essayer de se renseigner sur son employeur éventuellement en lui écrivant directement en français ou en anglais. Très probablement il ne recevra aucune réponse. Il décidera alors de passer par le bureau de liaison français qui prendra l’attache de son homologue slovaque. Au terme d’un délai plus ou moins long, le service de contrôle obtiendra peut-être des informations sur l’existence de cette société et sur la nature de son activité. Mais au-delà, rien n’est moins sûr. Les services de contrôles slovaques iront-ils vérifier la réalité de l’activité du chauffeur en Slovaquie ? La rémunération de toutes les heures, avec application du noyau dur quand ils interviennent sur les territoires des pays d’accueil ? La conformité des contrats de travail ? La réalité de l’activité d’entreprise d’intérim ? Les contrats passés avec le donneur d’ordres belge ? La conformité au regard de la réglementation transport qui relève sans doute d’un autre service ? Ce n’est pas exclu mais c’est rarissime et à la limite cela peut se comprendre. On voit ici toute l’importance du droit d’accès aux documents dans le pays d’accueil.

Mais en l’occurrence, un deuxième niveau de problème, assez fréquent dans les transports routiers, s’ajoute au premier : le pays d’accueil n’est pas unique et si l’activité s’exerce principalement en France, le donneur d’ordres est basé en Belgique. L’agent de contrôle français ne peut quasiment rien faire depuis la France. Le service de contrôle le mieux placé pour effectuer un contrôle est le service belge. En se rendant chez le donneur d’ordres belge, il pourrait récupérer des informations qui sont au cœur de l’éventuelle fraude : car ce sont davantage les conditions de recours à ce chauffeur par le donneur d’ordres qui posent question. Mais il s’agit d’une approche encore plus complexe et encore plus subtile. Il faut donc pouvoir s’appuyer sur un service de contrôle en capacité de prendre en charge ce type d’infraction et qui ait pour mission de s’intéresser aux donneurs d’ordres.

Comme cela a été indiqué plus haut, contrôler des donneurs d’ordres est souvent plus efficace que de s’intéresser seulement aux sous-traitants. Mais il faut que le contrôle des donneurs d’ordres soit opéré dans tous les Etats membres, faute de quoi le problème ne sera résolu que partiellement et il y aura un déséquilibre concurrentiel entre les grands groupes européens suivant le pays où ils sont basés. Si les grands groupes français comme Norbert Dentressangle font l’objet de contrôles approfondis en France mais pas leurs concurrents de l’autre côté de la frontière, cela pourrait finir par créer un nouveau problème pour les transports routiers français. On voit bien que sans harmonisation des contrôles au niveau européen, il sera difficile de progresser, d’autant que les Etats membres ne seront pas spontanément enclins à opérer des enquêtes approfondies pour d’éventuelles fraudes chez leurs fleurons nationaux.

3.4 – Les pistes de réflexion sur la mise en place d’un contrôle européen

Dans son rapport de 2013, le Parlement européen fait très bien apparaître l’enjeu européen du contrôle des règles sociales applicables aux chauffeurs routiers : «  Selon les parties prenantes, l’application de la législation constitue une question particulièrement problématique pour laquelle il serait souhaitable d’encourager l’intervention de l’UE en vue de mettre en place dans les États membres des mécanismes plus efficaces de contrôle des entreprises de transport responsables de pratiques d’emploi illégales ou déloyales. Une harmonisation accrue des mesures d’application de la législation, des sanctions et des pénalités dans tous les États membres de l’UE est nécessaire dans ce domaine afin d’améliorer le cadre actuel, caractérisé par d’importantes différences entre les normes d’application de la législation ou par des priorités différentes définies dans les pays de l’UE dans ce domaine.  » [39] .

Le rapport Savary est sévère mais sonne très juste sur les modalités de contrôle des prestations de service internationales prévues par la directive d’exécution : « (…) - la fiabilité et la sincérité de la coopération entre les États : les outils présentés par le projet de directive d’application sont trop exclusivement basés sur la coopération administrative entre les États membres, dont on peut douter qu’elle sera toujours sincère, et même de fiabilité équivalente entre des administrations nationales très différentes, voire suffisamment complète et rapide pour être opposée par le pays d’accueil dans des délais efficaces.  » D’où la proposition de créer «  une Agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe  » dont les missions seraient les suivantes :

L’observation du phénomène et des infractions interétatiques ;

Le suivi des législations nationales ;

La formulation de propositions d’amélioration de la réglementation européenne ;

L’amélioration du système d’information administratif entre États membres.

Il ne s’agit donc pas à ce stade d’envisager de créer une entité européenne qui réaliserait elle-même des contrôles mais seulement une instance d’observation des pratiques, ce qui apparaît déjà comme une évolution majeure par rapport à la situation actuelle.

Pourrait-on aller encore plus loin sur le champ particulier des prestations de services internationales ? C’est difficile à imaginer tant aujourd’hui l’idée d’exercer un contrôle au niveau européen paraît lointaine, voire utopique. Mais ne peut-on concevoir une agence européenne disposant de ses propres forces de contrôle dans les différents Etats membres ? Ou une agence européenne chargée de vérifier l’effectivité des contrôles que doivent réaliser les Etats membres ? La réflexion mérite d’être lancée.

La question se pose de mettre en place une agence de contrôle spécifique pour le contrôle des transports routiers. Il existe déjà un embryon d’agence de ce type (Euro Contrôle Route – ECR) et il y aurait une logique à élargir son champ d’action dans la mesure où les transports routiers font par ailleurs l’objet d’une réglementation européenne spécifique tant au niveau économique qu’au niveau des temps de conduite et de repos. Mais dans le même temps, il convient de veiller à ce que l’approche de cette agence n’occulte pas l’aspect droit du travail : elle risque par exemple d’avoir une approche exclusivement tournée vers les règles de cabotage sans prendre en considération des règles de détachement qui sont au cœur du problème. On observera au passage que ce travers est perceptible dans le rapport de la Commission de 2014 puisque la notion de détachement n‘y est mentionnée qu’une fois et de manière très accessoire, ce qui est pour le moins symptomatique. Le même constat peut aussi être fait au niveau national où ce sont plutôt les ministères chargés des transports que les ministères chargés du travail qui prennent en charge la problématique. De même, les corps de contrôle qui pourraient être regroupés dans une agence européenne sont souvent soit des corps plus techniques, soit les forces de l’ordre qui n’ont pas une approche très pointue en droit du travail.

De manière plus réaliste, on peut du moins avancer sur l’échange d’informations. Le règlement (UE) 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (IMI) va dans ce sens. Mais il reste fondé sur le principe d’une coopération interétatique avec des intermédiaires. Il conviendrait d’aller plus loin en créant des bases de données partagées, avec accès direct accordé aux services de contrôle des différents Etats membres : parmi les informations les plus immédiatement utiles, on peut citer celles contenues dans les registres des commerces et des sociétés (l’équivalent d’Infogreffe en France). On pourrait également réfléchir au partage des informations en matière de cotisations de sécurité sociale. Si les services de contrôle disposaient de tels éléments en ligne, l’efficacité des contrôles se trouverait déjà décuplée.

Quelles que soient les ambitions assignées à l’organisation d’un contrôle européen, cela suppose que cette perspective soit le plus partagée possible. A défaut, elle n’aura aucune chance de voir le jour. Comme les intérêts en présence semblent tout à fait antagonistes, on voit mal comment dégager des terrains d’ententes. Mais il faut peut-être dépasser une représentation trop simpliste des points de vue des uns et des autres. Aujourd’hui, de nombreux pays de l’UE15 [40] , semblent convaincus par la nécessité d’avancer Même l’Allemagne a récemment voulu instaurer l’application d’un SMIC pour les chauffeurs routiers étrangers qui ne faisaient que transiter sur son territoire [41] . Chez les pays d’envoi, notamment les pays de l’UE 12, l’opposition domine mais peut-être pas de manière aussi radicale qu’on le pense. D’abord les salariés de ces pays ne sont pas nécessairement satisfaits des conditions de travail imposées [42] , même si un intérêt financier peut venir les compenser pour partie. Certains syndicats comme Solidarnosc en Pologne protestent ouvertement contre les abus. S’agissant des services de contrôle, ils peuvent être animés par des logiques propres qui ne sont pas toujours contradictoires avec l’idée d’un contrôle européen. Ensuite les grands bénéficiaires de la situation sont plus souvent les grands donneurs d’ordres que les entreprises basées dans les pays d’envoi : les intérêts nationaux de ces pays ne convergent pas nécessairement avec ceux de ces grands groupes. Enfin ces pays peuvent être eux-mêmes pays d’accueil et, dans la course en avant pour réduire les coûts salariaux, ils peuvent être concurrencés par des pays tiers (Biélorussie, Ukraine, etc.) ou même leurs voisins au sein de l’UE. Ces éléments peuvent jouer un rôle sur les motivations des gouvernements et des administrations des pays d’envoi pour construire une politique de contrôle partagée. D’une manière générale, il conviendrait de mieux connaître quels sont leurs intérêts à participer ou non à une telle démarche pour essayer d’arriver à une proposition de compromis.

Conclusion

Le dumping social dans les transports routiers est aujourd’hui un fléau social européen dont il ne faut pas se méprendre sur les origines. Ce n’est pas le fait de construire une union européenne, ni même de l’élargir à de nouveaux pays qui a, en soi, conduit à cette situation. Dans une certaine mesure, ce ne sont pas non plus les principes juridiques fondateurs de l’Union Européenne qui sont en cause. C’est plutôt la doctrine qui anime assez largement les responsables des institutions européennes en place depuis les années 2000 et qui ruisselle sur les pratiques des acteurs. On hésite à parler de doctrine économique car, à bien y regarder, l’égalité des conditions de concurrence, et le bénéfice économique global pour l’économie européenne ne sont pas pris en compte de manière satisfaisante. Il s’agirait plutôt d’une forme d’arbitrage entre les intérêts économiques en présence dans le secteur des transports routiers.

La meilleure solution au problème se situe dans le rééquilibrage entre ces intérêts, dans la prise en compte des conditions de travail et de l’équité réelle des conditions de concurrence. Dans le domaine des transports routiers, comme dans la prestation de service en général, nous avons besoin d’une autre approche politique de la construction européenne, à la fois plus politique et plus sociale. Plus politique, dans le sens où l’Union Européenne doit assumer les conséquences de ses prérogatives de puissance publique en assurant le contrôle des règles qu’elle édicte. Plus sociale, car, bien qu’on ait tendance à l’oublier, le modèle social européen a longtemps constitué une force d’attraction de la construction européenne.

  1. Ivan Izen est le pseudonyme d’un spécialiste des questions sociales dans le domaine des transports

  2. Conférence “Transport routier de marchandises : vers une harmonisation sociale européenne » organisée le 16 avril 2014 au Palais d’Iéna à Paris et séminaire “Social ID cards in the construction industry” organisé les 16 et 17 novembre à Bruxelles

  3. Par commodité de langage nous désignerons les transports routiers de marchandises par l’expression « transports routiers ».

  4. Le cabotage routier de marchandises est la possibilité pour un transporteur européen de livrer des marchandises entre deux villes d’un État membre dans lequel il n’est pas établi.

  5. «  Avec le carburant, la main-d’œuvre est l’un des deux principaux facteurs de coûts dans le secteur du transport de marchandises par route.  » selon le rapport de la Commission au Parlement Européen et au Conseil sur l’état du marché du transport routier dans l’Union européenne, publié le 14 avril 2014.

  6. Loi n°2014–790 du 10 juillet 2014 contre la concurrence sociale déloyale

  7. Projet de loi pour la croissance et l’activité

  8. Directive 96/71/CE du 16 décembre 1996

  9. Règlement CE 1072/2009 du 21 octobre 2009

  10. – Rapport d’information du Sénateur. Eric Bocquet pour la commission des affaires européennes du Sénat sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs, du 18 avril 2013

    – Rapport d’information de la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement des travailleurs du 29 mai 2013 (Dit « rapport Savary »)

  11. Les prestations de services sont réalisées dans un Etat membre que nous appellerons dans cette note « pays d’accueil » par des entreprises établies dans un Etat membre que nous appellerons « pays d’envoi » . Le détachement n’est que l’instrument juridique permettant à ces entreprises d’envoyer leurs salariés effectuer des prestations de service dans le pays d’accueil.

  12. S’agissant du droit du travail, l’article 3 de la convention de Rome prévoit, comme règle générale, le libre choix de la loi applicable par les parties, ce qui se traduit dans la majorité des cas par le choix le plus avantageux pour l’employeur. A défaut de choix, le contrat est régi, en vertu de l’article 6 paragraphe 2, par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays, ou, si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable.

  13. Il s’agit des périodes maximales de travail et minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés, les taux de salaires minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires, les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment pour les entreprises de travail intérimaire, la santé, la sécurité et l’hygiène au travail, les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes, l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

  14. Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne : article 57 : « Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d’établissement, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants. »

  15. DIRECTIVE 2014/67/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 15 mai 2014 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI »)

  16. Nous renvoyons sur ce point au projet TRANSPO (ROAD TRANSPORT SECTOR AND POSTING OF WORKERS) : «  L’activité d’inspection dans le cadre du détachement transnational des travailleurs dans le transport routier : un guide pour les autorités de contrôle  » 2011

  17. La directive détachement 97/71 n’exclut pas de son champ d’application le transport routier et le considérant 17 du règlement n°1072/2009 et 10 du règlement 1073/2009 rappellent que les dispositions de la directive 97/71 s’appliquent aux sociétés de transports effectuant un transport de cabotage.

  18. Par exemple, lorsque la prestation de transport est faite pour le compte d’un expéditeur par un transporteur du même pays mais à destination d’un autre pays, il n’y a pas de détachement du chauffeur dans ce second pays.

  19. Article L1262–3 du code du travail

  20. Rapport de la Commission au Parlement Européen et au Conseil sur l’état du marché du transport routier dans l’Union européenne, publié le 14 avril 2014.

  21. http://www.wk-transport-logistique.fr/actualites/detail/65690/la-liberalisation-du-cabotage-n-interviendra-pas-en-2014.html#&panel1–1

  22. Même source que note précédente

  23. Comité National Routier (CNR Europe) : «  Comparatif du coût du personnel de conduite et des règles sociales applicables dans le TRM de quelques pays européens  » Version du 12 juin 2013

  24. Tableau extrait du rapport de la Commission au Parlement Européen et au Conseil sur l’état du marché du transport routier dans l’Union européenne, publié le 14 avril 2014.

  25. Comité National Routier (CNR Europe) : «  Comparatif du coût du personnel de conduite et des règles sociales applicables dans le TRM de quelques pays européens  » Version du 12 juin 2013

  26. Patrice Salini, « Les routiers de l’Est : pas la seule cause du déclin des français à l’international », Les Echos 17 mars 2015:

  27. Rapport de la Commission au Parlement Européen et au Conseil sur l’état du marché du transport routier dans l’Union européenne, publié le 14 avril 2014.

  28. Les commissionnaires de transports organisent les transports pour le compte de clients industriels et peuvent faire appel à des transporteurs sous-traitants. Ils peuvent également être eux-mêmes transporteurs. Les plus grands commissionnaires et groupes de transports ont des capitaux proviennent souvent de l’Europe de l’Ouest et du Nord.

  29. A l’époque, le droit du travail moderne n’existait pas et les travailleurs concluaient avec leur employeur non pas un contrat de travail caractérisé par la subordination juridique mais un contrat de louage de services, de nature quasi-commerciale.

  30. On remarquera au passage que ces dispositions supposées favoriser la création d’emploi n’ont guère contribué à la réduction du chômage alors qu’elles sont en vigueur depuis plus de 10 ans pour certaines d’entre elles.

  31. Parlement européen, «  Conditions sociales et de travail des transporteurs routiers de marchandises  », 2013

  32. Directive 2002–15 Directive 2002/15/CE du 11 mars 2002 relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier. Elle autorise une durée maximale hebdomadaire sur une semaine pouvant être portée jusqu’à 60H.

  33. Patrick Hamelin, INRETS, « La durée du travail des conducteurs professionnels comme enjeu de la flexibilité et de la compétitivité des transports routiers de marchandises » BTS Newsletter n°15, 16 février 2001

  34. Commissariat Général au Développement Durable : Références « Bilan social annuel du transport routier de marchandises en 2012 » Observatoire Social des Transports, Décembre 2013

  35. Patrick Hamelin : «  Le transport routier, un mode de production en tension » dans « Routiers : les raisons de la colère  » Editions de l’Atelier, 1997

  36. Le rapport du Parlement Européen montre que les aires de stationnement sont en nombre insuffisant, pas toujours très accessibles, de qualité souvent médiocre (notamment du point de vue de la propreté), trop onéreuses et insuffisamment sécurisées. (Cf rapport « Conditions sociales et de travail des transporteurs routiers de marchandises  », 2013

  37. https://www.youtube.com/watch?v=8qlGJGHk7Ew

  38. Le chronotachygraphe est un appareil électronique enregistreur de vitesse, de temps de conduite et d’activités (conduite, travail, disponibilité et repos) installé dans un véhicule de transport routier.

  39. Parlement européen, «  Conditions sociales et de travail des transporteurs routiers de marchandises  », 2013.

  40. L’« UE-15 » désigne les États membres de l’Union avant le 1er mai 2004; les États membres qui ont rejoint l’Union en 2004 et 2007 constituent l’« UE-12 ».

  41. http://www.wk-transport-logistique.fr/actualites/detail/82193/l-allemagne-suspend-l-application-du-smic-aux-chauffeurs-routiers-etrangers.html

  42. http://www.republicain-lorrain.fr/moselle/2012/01/12/des-chauffeurs-polonais-entrent-en-resistance

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