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Étude

Pour une assurance chômage européenne

A presque deux mois des élections européennes, Terra Nova explore l’idée d’une assurance chômage européenne. Non seulement celle-ci renforcerait l’efficacité économique de la zone euro mais elle participerait également à la relance politique d’une Europe porteuse de solidarité. Les débats qu’elle susciterait seraient l’occasion de redonner un contenu positif aux discussions sur l’Europe et de décider démocratiquement des contours à donner à une véritable Europe sociale, essentielle à la pérennité du projet européen.
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Introduction

La création de la monnaie unique a permis de répondre à des déséquilibres devenus de plus en plus pénalisants au fur et à mesure que les échanges commerciaux entre les Etats membres de l’Union européenne s’approfondissaient. En particulier, la volatilité des taux de change entre les devises européennes et les dévaluations compétitives auxquelles se livraient les Etats handicapaient lourdement l’activité des entreprises ; cette instabilité a de facto disparu avec la mise en place de l’euro [1] . La monnaie unique est aussi le dernier grand geste politique marquant la volonté des Etats membres d’avancer dans la voie de l’intégration européenne.

Toutefois, la crise de la zone euro a rendu patentes les insuffisances de l’Union monétaire telle que définie par le traité de Maastricht. La zone a été prise au dépourvu face aux crises de la dette souveraine et bancaires de plusieurs de ses membres, et elle est impuissante à permettre la mise en œuvre de politiques budgétaires adéquates en cas de récession grave et prolongée. Cette incomplétude de l’euro a créé de nouveaux déséquilibres, et ce sont ces insuffisances institutionnelles que les Etats membres de la zone euro doivent aujourd’hui combler.

Pour certains, la crise est un révélateur supplémentaire du carcan que représenterait l’Union européenne pour les Etats. Nous pensons au contraire que la réponse aux faiblesses mises à jour passe par une intégration européenne plus poussée. L’Union monétaire doit nécessairement évoluer si l’on souhaite continuer à bénéficier dans le long terme de la stabilité apportée par l’euro et du symbole politique qu’il représente. Plusieurs pas ont été faits dans ce sens. A défaut d’être entièrement résolus, les enjeux concernant la prévention et la résolution des crises systémiques sont à l’agenda des pays européens : l’Union bancaire qui commence à se mettre en place, la surveillance accrue des déséquilibres des comptes du secteur privé prévue par le Six Pack ou encore les débats réguliers sur la possible mutualisation des dettes nationales via la création d’eurobonds en sont autant de signes. Concernant le rétablissement pour les Etats de la zone euro de marges de manœuvre budgétaires en temps de crise, c’est la question de la création d’une capacité budgétaire européenne qui est posée. Cette dernière paraît moins urgente aux yeux des décideurs publics. Il est vrai que cette capacité budgétaire n’est pas un moyen en tant que tel de résoudre la crise actuelle. Elle constitue néanmoins une amélioration nécessaire du fonctionnement de la zone euro afin de rendre aux politiques macroéconomiques leur pouvoir de stabilisation des économies, en particulier en cas de crise. Son importance ne doit donc pas être minimisée.

C’est à cet enjeu que nous nous intéressons dans cette note, en défendant l’idée d’une assurance chômage européenne. Non seulement celle-ci renforcerait l’efficacité économique de la zone euro, mais elle participerait également à la relance politique d’une Europe porteuse de solidarité. Les débats qu’elle susciterait seraient l’occasion de redonner un contenu positif aux discussions sur l’Europe et de décider démocratiquement des contours à donner à une véritable Europe sociale, essentielle désormais à la pérennité du projet européen.

Après avoir contextualisé les enjeux liés à la mise en œuvre des politiques budgétaires au sein de la zone euro, cette note fait le point sur deux pistes régulièrement évoquées pour doter la zone euro d’une capacité budgétaire à des fins d’amortissement des chocs économiques: la mise en place d’un fonds assurantiel et la création d’une assurance chômage européenne. Nous expliquerons pourquoi nous privilégions la piste de l’assurance chômage européenne et pour finir, nous discuterons de la place qu’occupe actuellement cette question dans le débat européen.

1 – Contexte

Deux conséquences importantes de l’Union monétaire n’ont pas trouvé de traduction dans l’architecture de la zone euro décidée dans les années 1990.

Tout d’abord, la création de la monnaie unique a renforcé les interdépendances financières entre les pays membres de la zone. Les flux de capitaux au sein de la zone euro se sont fortement accrus, les pays périphériques tels que la Grèce, l’Espagne ou l’Irlande bénéficiant notamment d’un afflux massif de capitaux en provenance des pays du cœur de la zone. Les acteurs privés et publics de ces pays se sont endettés d’autant plus facilement que l’appartenance à la zone euro leur a permis de jouir de taux d’intérêt très bas, proches de ceux demandés par les investisseurs aux pays les plus stables de l’Union. S’il existe de sérieux avantages à cette intégration financière du point de vue du financement des économies, elle comporte aussi des risques.

En particulier, un endettement excessif de certains Etats ou des prises de risque trop importantes de la part de certaines banques peuvent conduire ces Etats ou ces banques à une situation proche de la faillite. La Banque centrale européenne pourrait alors se retrouver obligée d’intervenir par un apport important de liquidités afin de contrecarrer la crise, et ce d’autant plus que les risques de contagion entre les Etats sont élevés. Dans une nion monétaire, les comportements individuels des Etats et des banques ont donc des conséquences pour l‘ensemble des pays de la zone. C’est pourquoi, afin de prévenir les crises systémiques, la mise en place d’une union monétaire nécessite des règles de comportement budgétaire et une surveillance des comptes macroéconomiques du secteur public et du secteur privé des pays membres. C’était l’esprit du Pacte de Stabilité. Très focalisé sur les dettes et déficits publics, ce dernier s’est toutefois révélé insuffisant pour prémunir la zone contre de telles crises financières et bancaires.

De plus, le traité de Maastricht ne prévoyait pas de mécanismes de résolution en cas de crise : il prévoyait au contraire une clause de non-renflouement des Etats par la Banque Centrale Européenne. C’est donc dans l’urgence que les instances européennes ont dû inventer et mettre en place de tels mécanismes au cours des quatre années passées.

Plusieurs initiatives ont ainsi été prises afin de renforcer l’architecture de la zone euro et de rendre l’UEM capable de prévenir et de résoudre des crises systémiques telles que celle que l’on connaît actuellement. On peut citer en particulier le mécanisme européen de stabilité (MES), le rachat quasi illimité par la BCE de titres de dettes nationales (Opérations Monétaires sur Titres, OMT), la mise en place d’une union bancaire incluant un mécanisme de supervision et un système d’assurance des dépôts, ou encore la prise en compte, ainsi que le prévoit le Six-Pack venu compléter en 2011 le Pacte de Stabilité et de Croissance, d’indicateurs relatifs à l’endettement et aux flux de crédit dans le secteur privé parmi les indicateurs de suivi des comptes macroéconomiques des Etats.

La création de la monnaie unique a par ailleurs conduit à transférer les compétences de politique monétaire à la BCE. Cette dernière fixe désormais une politique monétaire unique pour l’ensemble des pays de la zone euro. Ceci est particulièrement dommageable en cas de chocs économiques affectant différemment les pays de la zone euro, et nécessitant donc des politiques macroéconomiques différenciées (on parle dans ce cas de « chocs asymétriques »). En cas de conjoncture difficile, les pays ont en général intérêt à conduire une politique monétaire accommodante en fixant des taux d’intérêt relativement bas, et inversement en cas de surchauffe de l’économie. En décidant d’un taux d’intérêt unique pour l’ensemble de la zone euro, la BCE conduit une politique monétaire pour un Etat « représentatif » de la zone euro qui n’existe pas réellement. Par exemple, dans la première moitié des années 2000, les économies grecques et espagnoles connaissaient de forts taux de croissance alors que la France montrait déjà des signes de faiblesse. Des taux d’intérêt plus élevés auraient été nécessaires dans le premier cas afin de contrer des tensions inflationnistes naissantes, et des taux plus faibles auraient été au contraire bienvenus pour la France où la hausse des prix restait très modérée. Le problème est d’autant plus aigu qu’en cas de crise grave, les politiques budgétaires nationales sont en partie bridées par les mécanismes de surveillance budgétaires et le critère d’un déficit public n’excédant pas 3% de déficit. Alors que les Etats disposent normalement de deux outils pour stabiliser leur économie en cas de choc conjoncturel, la politique monétaire et la politique budgétaire, tout se passe comme si la monnaie unique les dépossédait des deux, sans qu’aucun outil alternatif n’ait été prévu par les traités.

En cas de chocs touchant tous les pays de la zone euro de façon identique (on parle cette fois de « chocs symétriques »), la situation est également critique lorsque la politique monétaire devient inefficace : c’est par exemple le cas aujourd’hui, où malgré les taux d’intérêt historiquement bas fixés par la BCE, le pessimisme des agents et la situation dégradée du bilan des banques empêchent les investissements et l’activité de repartir. Dans une telle situation, la politique budgétaire est le seul outil capable de fonctionner, mais les règles du Pacte de stabilité empêchent les Etats membres de l’UEM de conduire les politiques de relance qui seraient indispensables.

Certes, la prévention des crises financières et bancaires au sein de la zone euro rend nécessaire la mise en place de règles d’encadrement des comptes macroéconomiques, afin d’éviter que des politiques et des comportements irresponsables ne génèrent de l’instabilité pour l’ensemble des pays de la zone. Toutefois, si aucun outil budgétaire alternatif n’est prévu, ces règles peuvent conduire les pays subissant des chocs conjoncturels à s’enfoncer dans la récession, faute de disposer des ressources budgétaires nécessaires pour mener les politiques de stabilisation qui s’imposent face à ces chocs.

Alors que l’on répète souvent qu’il ne peut y avoir de solidarité sans responsabilité, la crise récente montre qu’il ne peut y avoir non plus de responsabilité sans solidarité, au risque de miner l’efficacité économique de la zone euro et d’accroître toujours plus la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Union. C’est pourquoi la création d’une capacité budgétaire européenne permettant d’opérer des transferts entre les Etats apparaît comme le seul moyen de concilier monnaie unique, règles budgétaires et capacité de stabilisation des économies face aux chocs conjoncturels.

2 – Pour une assurance chômage européenne

Si l’urgence à modifier l’architecture de la zone euro pour mieux prévenir et résoudre les crises systémiques semble avoir été entendue, les réticences vis-à-vis de la création d’une capacité budgétaire européenne à des fins de stabilisation des économies sont encore fortes. Une telle capacité conduirait en effet à opérer des transferts budgétaires entre les Etats de la zone, ce que certains voient d’un mauvais œil, redoutant que ce soient toujours les mêmes Etats qui paient. Les perspectives sur la question sont donc plus floues, alors qu’il est tout aussi nécessaire d’avancer sur ce sujet que sur les mécanismes de résolution des crises financières.

Après avoir présenté les principes généraux auxquels devrait obéir une capacité budgétaire européenne, nous présentons deux outils qui pourraient remplir cette fonction, un fonds assurantiel et une assurance chômage européenne, et nous expliquons pourquoi cette deuxième option nous semble préférable.

2. 1 – Principes généraux

A long terme, les Etats impliqués dans une capacité budgétaire européenne ne devraient être ni gagnants ni perdants : pour chaque Etat, le cumul des sommes versées et perçues au titre de ce dispositif devraient être proche de zéro. Il convient donc d’être très clair vis-à-vis de certains opposants au principe d’une capacité budgétaire pour la zone euro : il ne s’agit pas de mettre en place des transferts budgétaires permanents et à sens unique entre les Etats de la zone euro. En particulier, à la différence des fonds structurels européens, le but de cet outil n’est pas de transférer des fonds aux Etats les plus pauvres afin de les aider à converger vers les Etats les plus riches. Il ne s’agit pas non plus de créer un revenu minimum européen, qui conduirait lui aussi à des transferts permanents des Etats les plus riches vers les Etats les plus pauvres. Le but de cette capacité budgétaire est d’effectuer des transferts entre pays de la zone euro en fonction des évolutions du cycle économique, et d’établir ainsi une forme de solidarité entre les Etats qui traversent une conjoncture favorable et ceux qui font face au contraire à une crise conjoncturelle. En ce sens, cette capacité budgétaire devrait être conçue comme un dispositif assurantiel : les pays traversant tous des hauts et des bas de cycle, dans le long terme, les contributions et les bénéfices devraient s’équilibrer pour chaque Etat. Il n’existe pas de consensus sur le montant que devrait atteindre cette capacité budgétaire. Wolff (2012) estime qu’un budget égal à 1% du PIB de la zone euro serait suffisant pour assurer cette fonction de stabilisation, un budget équivalent à 2% du PIB permettant en plus d’assurer la stabilité financière de la zone en cas de crise bancaire majeure. Enderlein et al. (2013) et Dolls et al. (2014) se livrent quant à eux à des exercices de simulations sur la base d’un budget global égal à 0,2% et 0,7% du PIB de la zone euro respectivement.

Une fois le principe admis, il reste à définir les contours d’un tel dispositif. Deux possibilités sont régulièrement évoquées : la création d’un fonds assurantiel, conduisant à des transferts budgétaires directs entre Etats en fonction de l’écart entre leur PIB effectif et leur PIB potentiel, ou la création d’une assurance chômage européenne, conduisant à des transferts entre les Etats en fonction de leur niveau de chômage.

2.2 – Un fonds assurantiel pour la zone euro

Un fonds assurantiel reposerait sur des transferts budgétaires calculés en fonction de l’écart, pour une année donnée, entre le PIB observé pour un pays et son PIB potentiel, écart que l’on appelle parfois l’ « output gap ». Le PIB potentiel est le niveau estimé de richesse qu’un pays peut atteindre « en temps normal » compte tenu de ses caractéristiques structurelles (quantité de facteurs de productions disponibles, technologie, niveaux de production passées, etc.). Son calcul repose sur un modèle empirique sous-jacent et comporte donc un certain nombre d’hypothèses. Le niveau de production observé peut s’écarter du PIB potentiel au gré de la conjoncture : il sera supérieur en cas de conjoncture favorable, et inférieur au contraire en cas de cycle défavorable. Un fonds assurantiel dont les contributions des membres seraient assises sur les écarts entre le PIB réalisé et le PIB potentiel de chacun permettrait d’amortir les effets de ces chocs conjoncturels : les pays en phase haute de cycle (écart positif entre le PIB réalisé et le PIB potentiel) seraient contributeurs nets, tandis que ceux qui sont en phase basse seraient bénéficiaires nets. Les contributions seraient proportionnelles aux écarts observés, un coefficient de proportionnalité plus élevé conduisant à des effets redistributifs plus importants.

Deux options sont envisageables pour appréhender l’écart de production : une mesure relative, qui comparerait l’écart de PIB de chaque pays à l’écart moyen observé au sein de la zone euro, ou une mesure absolue, correspondant à la simple différence pour chaque pays entre son PIB observé et son PIB potentiel. L’avantage de la première option est que les transferts opérés par ce fonds seraient équilibrés chaque année, même en cas de choc négatif (ou positif) affectant tous les pays de la zone. En effet, si tous les membres font face une année donnée à une récession, les pays les moins affectés seraient contributeurs nets et les pays les plus touchés bénéficiaires nets du fonds assurantiel. Mais cela signifie donc que des pays en proie à des difficultés conjoncturelles devraient reverser une partie de leur capacité budgétaire à d’autres pays. Des transferts assis sur les écarts absolus de PIB n’auraient pas ce défaut. Mais dans ce cas, les comptes ne seraient pas nécessairement équilibrés chaque année, et le fonds devrait donc être doté d’une capacité d’emprunt.

Les simulations réalisées par Enderlein et al. (2013) sur un dispositif à l’équilibre chaque année montrent qu’un fonds assurantiel dont le budget serait égal à 0,2% du PIB de la zone euro permettrait de réduire les écarts observés entre le PIB et le PIB potentiel de 40% environ par rapport à la moyenne de ces écarts dans la zone euro. Le fonds assurantiel aurait bien ainsi pour effet de limiter l’ampleur des fluctuations macroéconomiques au sein de la zone euro.

2.3 – Une assurance chômage européenne

Plutôt que de mettre en place des transferts budgétaires directs entre les Etats membres de la zone euro, on pourrait mettre en œuvre au niveau européen une politique touchant directement les citoyens et ayant les mêmes vertus redistributives en fonction du cycle économique que le fonds assurantiel. Ce serait le cas d’une assurance chômage européenne.

Ainsi que le rappelle une étude du CEPS pour le Parlement européen publiée en 2014, plusieurs ébauches sont actuellement sur la table, appartenant à deux grands types de familles. Certaines sont assez proches du fonds assurantiel décrit plus haut ; les transferts, au lieu de reposer sur l’output gap, sont toutefois basés dans ce cas sur l’écart entre le taux de chômage observé et le taux de chômage naturel, c’est-à-dire le taux de chômage que l’on devrait observer dans le pays compte tenu de ses caractéristiques structurelles et indépendamment de la conjoncture. Comme pour l’output gap, la mesure du taux de chômage naturel repose sur l’estimation d’un modèle empirique et nécessite de faire un certain nombre d’hypothèses. Par ailleurs, dans ce type de système, ce ne sont pas les citoyens qui sont assurés mais les Etats ou plutôt leurs systèmes d’assurance chômage. Un tel dispositif a l’avantage d’être peu contraignant puisque les systèmes nationaux d’assurance chômage restent complètement indépendants et les Etats libres d’utiliser les fonds transférés comme bon leur semble. Italianer et Vanheukelen (1993) avaient déjà fait des propositions dans ce sens au début des années 1990 ; plus récemment, Gros (2014) défend lui aussi la mise en place d’un fonds permettant des transferts budgétaires vers les Etats où le taux de chômage augmente au-dessus d’un certain seuil.

D’autres propositions préconisent la mise en place d’un système européen harmonisé d’assurance chômage qui viendrait remplacer partiellement les systèmes nationaux existants ou s’ajouter à ceux-ci. Les citoyens européens seraient les bénéficiaires directs de cette assurance. Dullien et Fichter (2013) proposent par exemple la mise en place d’une assurance chômage qui constituerait un socle commun, auquel les dispositifs nationaux viendraient s’ajouter en fonction des choix faits par les Etats en matière de modèle social. Le financement de cette assurance chômage serait issu de cotisations employeurs et employés ou du produit d’une taxe européenne ad hoc. Afin de limiter les coûts liés à la gestion administrative du dispositif, sa mise en œuvre pourrait être assurée par les administrations nationales. Les écarts de taux de chômage entre les pays ne reflètent pas que des différences de conjonctures économiques, mais également des différences dans les paramètres structurels des économies tels que les réglementations sur le marché du travail, le taux d’emploi, la composition sectorielle des activités de production etc. Afin que cette assurance chômage européenne ne vienne pas compenser des différences structurelles entre les Etats membres de la zone euro, le versement des bénéfices pourrait être limité dans le temps, l’assurance n’indemnisant ainsi que le chômage conjoncturel de court terme. Pour pouvoir bénéficier de l’assurance, des conditions sur la durée préalable de cotisation pourraient également être imposées.

Les travaux existants montrent que la mise œuvre d’une assurance chômage européenne aurait de véritables effets stabilisateurs. Les simulations de Dolls et al. (2014) suggèrent par exemple qu’environ 40% de la baisse de revenu observée en 2009 dans la zone euro aurait été absorbé grâce à une assurance chômage européenne financée par des cotisations égales à 1,9% de la masse salariale. Dans le court terme, les bénéfices tirés d’une telle assurance chômage sont bien entendu très hétérogènes ; ils ne s’équilibrent que dans le long terme. Pendant la crise récente notamment, la Grèce, le Portugal et l’Espagne en auraient largement bénéficié, tandis que l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas auraient été contributeurs nets. Par ailleurs, les comptes d’un tel dispositif ne seraient pas nécessairement équilibrés chaque année, des déficits apparaissant en cas de crise touchant un grand nombre de pays de la zone. Au cas présent, le système aurait été clairement en déficit à partir de 2009. Comme pour le fonds assurantiel, une capacité d’emprunt devrait sans doute être prévue pour permettre à cette assurance chômage d’amortir des chocs communs à toutes les économies de la zone euro.

D’autres propositions ont été faites, notamment par les économistes Pierre-Olivier Gourinchas et Jacques Delpla. Ces derniers s’inscrivent dans une optique un peu différente de « flexisécurité », où serait créé un contrat de travail européen doté de conditions de séparation flexibles et soumis à une taxe de licenciement de type bonus-malus. Seul ce contrat de travail européen ouvrirait droit à l’assurance chômage européenne. Il s’agit clairement d’une logique visant à « acheter » une flexibilisation accrue des marchés du travail européens par la mise en place d’une assurance chômage commune.

2.4 – En faveur de l’assurance chômage européenne : une mesure politique donnant enfin un visage concret à l’Europe sociale

Les deux pistes évoquées proposent des mécanismes de solidarité entre les pays de la zone euro qui permettent de stabiliser les économies au cours des cycles économiques et de redonner de l’air, grâce aux transferts réalisés, aux politiques budgétaires des Etats. Néanmoins, ces deux pistes ne sont pas exemptes d’un certain nombre de difficultés techniques.

Concernant le fonds assurantiel, la mesure du PIB potentiel n’a rien d’évident. Il s’agit d’une caractéristique non observée des pays, dont la mesure repose nécessairement sur les hypothèses théoriques et empiriques faites pour la mesurer. L’instance en charge de la mesure du PIB potentiel devrait être au-dessus des pays. La Commission, qui utilise déjà ce type de mesure pour le suivi des Etats membres, serait le candidat le plus naturel. Mais dès lors que des transferts budgétaires seraient conditionnés au niveau de PIB potentiel, des débats importants sont à attendre sur la manière de le mesurer. Un rapport du Sénat de 2012 montre par exemple que les estimations du déficit public structurel de la France, qui reposent sur une estimation du PIB potentiel, varient pour l’année 2011 entre 3,7% et 4,8% du PIB selon l’institution qui les calcule (l’OCDE, le FMI et la Commission européenne ayant toutefois dans ce cas précis des estimations assez voisines, autour de 4%). Le fonds assurantiel pourrait ainsi apparaître comme une mesure technocratique et souffrir d’un manque de légitimité démocratique. Par ailleurs, le PIB réalisé par un pays une année donnée n’est connu qu’avec retard. Or, pour être efficaces, les transferts devraient être opérés en temps réel ; sans cela, on risquerait de transférer des sommes à des pays qui seraient déjà sortis de crise, ou au contraire de ponctionner des Etats qui seraient en réalité entrés dans une phase plus difficile. Les transferts devraient donc être calculés à partir de prévisions du PIB, avec les risques d’erreur que cela comporte. Enderlein et al. (2013), qui défendent l’option du fonds assurantiel, montrent que même avec des mesures en temps réel, on parvient à amortir les chocs ; l’efficacité du dispositif s’en trouve néanmoins amoindrie. Les mêmes critiques peuvent être adressées à des mécanismes de transferts entre les Etats membres de la zone euro assis sur l’écart entre le taux de chômage observé et le taux de chômage naturel.

L’argument principal des défenseurs des transferts budgétaires basés sur l’output gap ou sur l’écart entre le taux de chômage et le taux de chômage naturel est que le mécanisme sous-jacent est simple, et qu’il laisse une grande liberté aux Etats quant à l’utilisation des ressources qu’ils recevraient de ces fonds. Par ailleurs, leur mise en œuvre ne poserait a priori pas beaucoup de difficultés dans l’état actuel des traités, ce qui devrait limiter les oppositions.

Il nous semble toutefois que ce point de vue est discutable, compte tenu notamment des enjeux autour de la mesure du PIB potentiel et du taux de chômage naturel. De plus, la mise en œuvre de mécanismes de transferts au sein de la zone euro à des fins de stabilisation macroéconomique s’inscrit pleinement dans le chantier de la construction d’une Europe sociale qui ne soit pas uniquement associée à des règles contraignantes, mais qui bâtisse au contraire des liens et des solidarités entre les citoyens. De ce point de vue, une assurance chômage partiellement harmonisée au niveau européen donnerait un visage concret à ces solidarités tout en s’attaquant à un enjeu important pour tous les pays de la zone euro : elle nous semble ainsi plus lisible pour le citoyen européen et plus porteuse de valeurs, tout en apportant les mêmes bénéfices que le fonds assurantiel du point de vue de l’efficacité économique.

Certes, sa mise en œuvre ne sera pas non plus exempte de difficultés. Les Etats membres pourraient notamment ajuster leurs institutions nationales afin de maximiser les gains qu’ils retirent de l’assurance européenne, en réduisant par exemple les indemnités versées au titre de l’assurance chômage nationale. Pour éviter ces effets d’« aléa moral », une convergence accrue des droits du travail et des systèmes sociaux serait nécessaire, mais laisse augurer de discussions houleuses. Enfin, une modification des traités serait peut-être nécessaire. Toutefois, l’opportunité d’un projet devrait se mesurer à sa finalité plus qu’aux difficultés techniques qu’il pose. Et de ce point de vue, l’assurance chômage nous semble supérieure : en proposant un nouveau contenu au projet européen, en suscitant un véritable débat politique sur ce que l’on souhaite faire ensemble et comment, l’assurance chômage européenne est une occasion de rapprocher l’Europe des citoyens et de redonner un souffle et un horizon à la construction européenne. Cette ambition mérite d’être portée.

3 – Capacité budgétaire renforcée, assurance chômage : Quelle place dans le débat européen actuellement ?

La création d’une capacité budgétaire européenne est clairement évoquée dans un rapport de décembre 2012 rédigé par le Président du Conseil Européen, en collaboration avec le Président de la Commission, le Président de l’Eurogroupe et le Président de la BCE (« Towards a genuine economic and monetary union »). La création d’un tel budget y est présentée comme l’aboutissement d’un processus de convergence renforcée entre les Etats membres à travers la mise en œuvre de réformes structurelles devant améliorer le fonctionnement de l’Union et son potentiel de croissance. Ces réformes devraient être conduites dans le cadre d’une contractualisation entre la Commission et les Etats membres, ces derniers pouvant bénéficier d’une assistance financière de l’Union si la conduite de ces réformes le nécessite. Ces arrangements institutionnels et leur financement potentiel sont rangés sous le terme d’ « Instrument de Convergence et de Compétitivité » (ICC). Trois mois plus tard, en mars 2013, deux communications de la Commission font des propositions quant aux modalités envisageables pour l’ICC. Dans ces deux communications, la perspective d’une capacité budgétaire en tant que telle paraît en revanche beaucoup plus lointaine.

La philosophie générale se dégageant de ces documents est que la mise en place de transferts budgétaires entre les Etats membres de la zone euro ne devrait en aucun cas conduire à relâcher le contrôle sur les politiques nationales conduites. Leur mise en place devrait même être l’occasion d’obtenir des réformes dans des Etats réputés difficiles à réformer. Reste à définir les standards à atteindre pour bénéficier d’un approfondissement de l’Union monétaire ; bien que la liste des domaines ne soit pas précisée, salaire minimum, conditions de licenciement, protection de certaines professions réglementées, fonction publique ou encore régimes de retraite font certainement partie des sujets placés dans la ligne de mire. De ce fait, l’ICC ne constitue pas un outil de stabilisation budgétaire en tant que tel pour la zone euro, mais plutôt un prolongement des outils de surveillance de type « Two-Pack » et « Six-Pack ». Avec l’ICC, chaque Etat membre reste seul dans un dialogue avec la Commission. L’ICC ne conduit pas à une intégration solidaire pleinement aboutie de l’UEM et ne peut donc constituer un horizon satisfaisant pour les partis progressistes soucieux d’approfondir les solidarités entre les pays européens.

Le Conseil européen de juin 2013 a rappelé l’importance de la dimension sociale de l’Europe et la nécessité de mieux prendre en compte les dynamiques sur le marché de travail dans les exercices de surveillance et de supervision macroéconomiques effectués par la Commission européenne avec le « Semestre européen » notamment. La Commission fait des propositions dans ce sens dans sa communication du 2 octobre 2013. La création d’une capacité budgétaire pour la zone euro y est de nouveau mentionnée comme un horizon, mais de long terme seulement. L’importance de l’échelon national dans la définition et la mise en œuvre des politiques sociales et d’emploi y est par ailleurs fermement rappelée, anticipant ainsi sur les rappels au principe de subsidiarité qui pourraient lui être faits en cas de position plus marquée de la Commission en faveur d’une intégration budgétaire approfondie.

La question de l’assurance chômage européenne reste cependant présente dans les débats. La commission Emploi du parlement a ainsi organisé des auditions publiques sur le sujet le 9 juillet 2013 dans le cadre de son travail sur la dimension sociale de l’UEM. Le 11 octobre 2013, la DG Emploi a par ailleurs co-organisé avec la fondation Bertelsmann une conférence d’une journée intitulée « Automatic Stabilizers for the Eurozone: Pros and cons of a European Unemployment Benefit Scheme ». Plusieurs groupes d’académiques et de décideurs politiques tels que le groupe Glienicker en Allemagne et le groupe Eiffel en France appellent aussi à la mise en place d’une assurance chômage européenne.

Au final, ces différents éléments suggèrent que la nécessité de doter l’Union monétaire d’une capacité fiscale plus importante est bien identifiée par la Commission et le Parlement, mais que la Commission a également intériorisé les résistances des Etats en la matière. Aussi, un certain flou règne-t-il pour le moment et aucun véritable engagement n’est-il pris pour avancer sur le calendrier. Raison de plus pour que les partis progressistes s’emparent du sujet et le portent à l’avant-scène : imposer le thème de l’assurance chômage européenne dans les débats qui se tiendront à l’occasion des prochaines élections permettrait de prendre véritablement acte de l’importance de la construction de l’Europe sociale et de tracer de nouvelles perspectives pour le projet européen.

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http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130709–1500-COMMITTEE-EMPL

Compte-rendu de la conférence organisée par la Fondation Bertelsmann et la DG Emploi, 11 octobre 2013 :

http://www.bertelsmann-stiftung.de/cps/rde/xchg/SID-78C77A56-B50FF259/bst_engl/hs.xsl/nachrichten_118839.htm

  1. La dévaluation compétitive consiste à dévaluer la monnaie nationale au-delà de ce que nécessitent les équilibres macroéconomiques afin de rendre plus compétitifs les produits nationaux sur les marchés étrangers, et de renchérir au contraire le prix des produits importés. Le but est donc d’accroître les exportations et de diminuer les importations, et d’améliorer ainsi le solde de la balance commerciale. Mais les effets d’une telle stratégie deviennent nuls dès lors que les pays partenaires adoptent la même politique.

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