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Note

De l’urgence d’une grande réforme de la formation continue des enseignants

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Introduction

  L’école française n’assure plus la réussite des élèves. Les différentes enquêtes nationales et internationales (TIMMS, PIRLS) sur la lecture, les mathématiques ou les sciences abondent dans ce sens et démontrent que le niveau des élèves français a fortement baissé ces 20 dernières années. Notre pays est loin derrière les moyennes européennes. L’enquête PISA de l’OCDE résume bien cette situation. En 2018, sur les 38 pays de l’OCDE, la France stagne entre la 15e et la 21e place sur les différentes compétences observées (compréhension de l’écrit, mathématiques, culture scientifique)[1].

  Mais derrière ces chiffres froids se cachent des situations concrètes et des disparités très importantes entre les territoires et les populations. La France est l’un des pays les plus inégalitaires en matière scolaire. Le rapport de 2021 de la DEPP indique que la proportion moyenne d’élèves de milieux défavorisés dans les collèges publics et privés, pris dans leur ensemble, est de 37,4%, soit plus d’un tiers des élèves[2]. Cependant, selon l’enquête PISA 2018, les élèves issus de milieux favorisés, économiquement, socialement, et culturellement, représentent 20% des élèves très performants (environ 409 457 élèves sur 2 047 284 élèves dits très performants) en compréhension de l’écrit, contre seulement 2% pour les élèves appartenant à des milieux défavorisés (environ 40 945 élèves)[3]. Les risques de décrochage, dont les conséquences ont un impact bien au-delà de la seule période scolaire, sont 1,7 fois plus élevés pour les jeunes issus de milieux défavorisés, exposés à des difficultés socioéconomiques[4].

  Cette inégalité face à la réussite est accentuée par un recours accru à l’enseignement privé de la part des catégories sociales les plus favorisées qui renforce la ghettoïsation des élèves les plus en difficulté dans les territoires ayant les plus forts taux de chômage. A la rentrée 2021, 40 % des élèves scolarisés dans un collège privé sous contrat étaient issus d’un milieu social très favorisé, contre à peine 20 % dans le public, renforçant la ségrégation qui se met silencieusement en place[5].

  Cette école marquée par les inégalités et des performances en recul est aussi celle où les élèves font part de leur peur de l’échec, de leur besoin de soutien, de leurs difficultés à faire le lien entre leur effort scolaire et leur parcours d’avenir. On sait que le rôle des enseignants est ici central : ce qu’on appelle l’« effet enseignant », qui évalue la part de l’influence des enseignants dans la réussite scolaire des élèves, indépendamment des autres déterminants (contexte familial, social, territorial etc.), est un facteur essentiel de la progression des élèves[6]. Ce n’est pas seulement la transmission des connaissances qui compte ici mais aussi la qualité de la relation, c’est-à-dire la capacité à accompagner et à soutenir l’apprentissage, une attitude positive permettant la persévérance dans l’effort. Or, en ces domaines, comme nous le verrons, les enseignants expriment un besoin renforcé de formation.

  Tous ces facteurs aboutissent à une école qui ne tient pas sa promesse républicaine d’égalité des chances.

  Pour tenter de remédier à la situation, les pouvoirs publics ont accumulé les “grandes” réformes (Loi Fillon 2005, Loi Peillon 2013, Loi Blanquer 2019), toutes censées apporter une réponse globale à l’ensemble des enjeux et difficultés que rencontre l’école. Ces textes de loi se sont accompagnés d’une multitude de réglementations. Des réformes qui ont toutes oublié le développement professionnel des enseignants.

  La raison en est qu’elles ont été principalement concentrées sur l’organisation de l’école (rythmes scolaires, examens…) ou sur les programmes, mais n’ont jamais véritablement pris en compte les besoins des 870 000 enseignants qui sont chaque jour auprès des élèves. La qualité du recrutement est souvent discutée. Mais elle n’est pas la seule condition d’un enseignement de qualité. La formation continue des enseignants apparaît comme un enjeu encore plus déterminant, notamment parce qu’elle est directement liée aux situations réelles d’enseignement. Or, les femmes et les hommes qui font l’école se sentent seuls et peu accompagnés face aux défis quotidiens qu’ils rencontrent tout au long de leur vie professionnelle. S’intéresser aux conditions d’exercice, à la situation des enseignants vis-à-vis des besoins des élèves, pour leur apporter une réponse adaptée semble être une solution puissante pour sortir de cette spirale.

1. Au quotidien, les enseignants sont seuls pour faire face aux défis auxquels ils sont confrontés

Enseignant, un métier essentiel mais à l’attractivité en berne 

  De nombreuses études démontrent qu’il existe un lien direct entre la réussite scolaire des élèves et la qualité de la relation enseignant-élèves. Celle-ci peut avoir un impact positif sur l’engagement, la motivation et le bien-être des élèves, car elle augmente la participation, renforce la motivation à s’impliquer dans les apprentissages et donc améliore les résultats scolaires, réduit le risque d’échec et de décrochage scolaire[7]. Les recherches démontrent aussi que la relation enseignant-élèves “touche à l’image que les enseignants ont d’eux-mêmes, à leurs relations actuelles et passées, à leurs représentations et à leur vécu[8].

  Plus que jamais, les enseignants jouent un rôle essentiel dans l’éducation des jeunes générations et pourtant ce métier n’a jamais été aussi peu attractif. La France fait face depuis plusieurs années à des pénuries dans les recrutements, obligeant l’institution à recourir encore davantage aux contractuels.

  Cette situation se traduit par un véritable malaise dans la profession. Seuls 4% des enseignants du premier degré et 7% des enseignants du second estiment que leur rôle est réellement valorisé par la société[9].

  Au-delà de ce sentiment, les enseignants français font face à des conditions d’exercice plus difficiles qu’une bonne partie de leurs collègues européens. Loin des clichés rebattus, la moitié des enseignants déclare travailler au moins 43 heures par semaine, ce qui démontre que le travail des enseignants ne se résume pas aux 15 à 24 heures (selon le statut de l’enseignant et le niveau d’enseignement) de présence hebdomadaire devant les élèves. En volume horaire, sur les 1607 heures annuelles de travail, les enseignants français du premier degré consacrent 900 heures par an de leur temps à enseigner face aux élèves, bien au-delà de la moyenne de 740 heures de leurs collègues de l’OCDE.[10]

  Les professionnels ont aussi la responsabilité de davantage d’élèves, puisque la France reste le pays de l’UE avec les classes les plus chargées dans le premier degré mais surtout dans le second (26 élèves en moyenne au collège et plus de 30 au lycée).

Face à ces tâches et conditions, les enseignants ne disposent pas d’un salaire (sans les primes) digne de leur engagement (un jeune enseignant du secondaire gagnait 2,2 fois le SMIC dans les années 80 et 1,2 fois le SMIC en 2023[10 bis]). Même en tenant compte des revalorisations de base et supplémentaires du Pacte enseignant en cours de déploiement, ils resteront encore bien loin de leurs collègues européens, notamment allemands, en termes de rémunération.

Tout cela conduit à un sentiment d’épuisement émotionnel chez 80% des enseignants, notamment chez les plus jeunes d’entre eux[11].

Source : 2022, Enquête scientifique – La santé mentale à l’école, Observatoire Ecoluma

  Par ailleurs, et même si le chiffre reste très faible, force est de constater une hausse constante du nombre d’enseignants démissionnaires depuis dix ans[12].

 

Enseignant, un métier solitaire au quotidien et tout au long de la carrière 

  Dans le même temps de cette dégradation des conditions d’exercice, la société et les parents attendent toujours plus de l’École et des enseignants. Historiquement, la promesse de l’École a évolué : instruction, insertion dans le monde du travail, émancipation et seulement récemment (1989) égalité des chances. En outre, les enseignants font quotidiennement face à des situations qui leur demandent d’être psychologues, assistants sociaux ou conseillers d’orientation. Dans l’Education nationale, on ajoute des missions sans jamais en retirer. Face à tous ces défis, les enseignants sont souvent seuls et désarmés. 

  Dans une semaine type, les moments d’interactions avec leurs collègues sont informels, et la plupart du temps limités.

  Les moments d’accompagnement et d’échange avec l’institution sont aussi très limités. 73,3% des enseignants ayant moins de 5 ans d’ancienneté ne reçoivent aucune activité de formation/accueil lorsqu’ils arrivent dans leur établissement.

  Au cours de leur carrière, les seuls moments institués pour faire le point “sur les compétences acquises et sur les perspectives d’évolution professionnelle[13]” se résument à quelques évaluations de carrière, qui n’ont lieu en moyenne que tous les 7 ans. Ils peuvent être inspectés de façon plus aléatoire lors de visites-conseils qui se concentrent sur les néo-titulaires et contractuels, et de visites d’accompagnement qui dépendent souvent d’une démarche volontaire des professeurs. Il existe parfois des animations d’équipe menées par les inspecteurs, les chargés de missions (2D) et les conseillers principaux de circonscription (3D), mais en nombre insuffisant par rapport aux besoins exprimés.

  La formation continue devrait permettre d’accompagner les enseignants tout au long de leur carrière et face aux défis quotidiens. Malheureusement, le système ne répond pas actuellement aux besoins des professionnels. Un rapport budgétaire sénatorial indiquait qu’en 2021 “le budget de formation continue moyen par enseignant est de 87 euros annuels, ce qui ne permettra pas de rattraper le déficit accumulé par la France dans ce domaine par rapport aux autres pays européens[14]”. La mise en place depuis janvier 2022 des Écoles Académiques de la Formation Continue (EAFC) constitue une première marche dans une meilleure prise en compte de ces besoins. Mais les moyens manquent encore cruellement.

  Résultat, 76% des enseignants déclarent effectuer des tâches pour lesquelles ils auraient besoin de plus de formation[15]. En moyenne dans l’OCDE, 94% des enseignants ont participé à au moins une activité de formation continue au cours de l’année précédant l’enquête TALIS de 2018. Le taux de participation des enseignants français est le plus faible de tous les pays étudiés : seuls 83% d’entre eux ont participé à au moins une activité de formation continue au cours de l’année précédant l’enquête.[16] Sur l’année scolaire 2020–2021, 86 % des enseignants se sont inscrits à au moins un module de formation et 67% y ont effectivement participé. Ces chiffres dégringolent dans le second degré avec respectivement 65 % et 50%[17]

  Face à ce déficit d’accompagnement, et notamment au manque de formation continue, les enseignants ne restent pas immobiles. Ils trouvent et construisent eux-mêmes les solutions mais, une fois de plus, seuls. Ainsi, 80 % de la formation continue relève de l’autoformation, en mobilisant avant tout les réseaux sociaux (60%), les sites internet spécialisés (59%), l’analyse personnelle (57%), puis les réseaux d’enseignants (44%) et les discussions entre collègues (41%).[18]

Source : Observatoire Ecolhuma, Baromètre – Formation continue des enseignants : usages et besoins, mai 2023

 Puisque très peu de temps est aménagé dans le cadre actuel, une majorité des enseignants se forme en dehors de leur temps de travail : le week-end (55%) ou le soir (45%)[19].

  Pour toutes ces raisons, il est temps de ne plus seulement compter sur l’engagement des enseignants, et de rompre la solitude à laquelle ils sont confrontés. Il est indispensable de repenser l’accompagnement des enseignants à travers une politique de développement professionnel continu qui s’appuie sur la mutualisation et l’échange de pratiques entre pairs.

 

2. Rompre la solitude des enseignants en soutenant et reconnaissant leur développement professionnel continu

La formation continue comme attente et réponse

  Il existe chez les enseignants une “véritable appétence”[20] à être formés de façon continue pour s’adapter à un contexte d’enseignement en perpétuelle évolution, mais aussi pour s’épanouir personnellement et professionnellement, bien que la prise en compte des formations dans la carrière des enseignants demeure faible. Les besoins sont élevés principalement pour la gestion de classe et la mise en place de pratiques pédagogiques individualisées. Malheureusement le système actuel ne répond pas aux attentes des professionnels.

  Dans son référé publié en 2015, la Cour des Comptes recommandait « d’établir un lien plus étroit entre le parcours de formation des enseignants et les caractéristiques de leurs postes d’affectation et, à cet effet, améliorer le suivi statistique et individuel du parcours de formation des enseignants ». Bien que le ministère ait prévu en 2019 que « la qualité, le niveau et la crédibilité de la formation continue impliquent que celle-ci soit aussi souvent que possible certifiante ou diplômante », ces mécanismes ne sont toujours pas entièrement fonctionnels.[21]

  Actuellement, seuls 6% des enseignants français considèrent que leur participation à une activité de formation continue peut avoir une incidence positive sur le déroulement de leur carrière, contre 18% en moyenne en Europe[22]. Il existe un déficit de reconnaissance des compétences acquises en dehors des propositions institutionnelles.

  Cela s’explique notamment par des propositions de formation souvent jugées trop théoriques, trop éloignées des besoins de terrain, trop descendantes. L’écart entre les attentes des acteurs et les offres n’est pas surprenant puisque 83 % des enseignants français déclarent n’avoir jamais été consultés sur l’offre de formation[23]. Comme le montre le schéma ci-dessous, l’opposition est presque systématique entre l’expression des besoins, qui concernent majoritairement l’accompagnement des élèves, et l’offre institutionnelle qui privilégie la connaissance disciplinaire.

  Malgré le travail des relais de terrain au sein des académies, seulement 53% des enseignants du 1er degré et 36% des enseignants du 2nd degré déclarent discuter de leurs besoins en formation avec des personnels de direction ou d’encadrement.[24]

  Notre pays n’a pas construit la formation continue comme partie intégrante du métier d’enseignant. Les enseignants du second degré n’ont aucune obligation de suivre une formation durant leur carrière avec un nombre d’heures sanctuarisées, quand les enseignants du premier degré n’ont qu’une obligation de 18 heures de formation continue (bien loin de la centaine d’heures annuelle de pays comme la Suède ou Singapour).[25] Même par rapport à leurs collègues des autres administrations, les enseignants passent très peu de temps en formation. «  Il était question en 2019–2020 de 2 jours par enseignant dans le premier degré, et de 1,6 jour dans le second degré. Dans l’ensemble, les personnels du ministère de l’Éducation nationale suivent 1,2 jour de formation par an contre 7,4 jours pour les personnels des autres administrations[26]. »

Il n’existe pas de temps dédié au maintien et à l’enrichissement de ses compétences dans le système actuel. C’est d’ailleurs la deuxième cause de non-participation à des activités de formation continue citée par les enseignants français : le conflit avec leur emploi du temps (45%)[27].

  A cela s’ajoute un phénomène d’autocensure[28]; puisqu’ils ne sont pas toujours remplacés, les enseignants qui s’absentent pour une formation savent que leurs élèves n’auront pas cours ou seront répartis dans les classes de leurs collègues. En 2020 – 2021, parmi les enseignants qui ont effectué des formations sur leur temps de travail, seuls 44% affirment avoir toujours été remplacés.[29] Sur cette même période, la Cour des Comptes souligne que parmi les personnes convoquées à des formations, 32 % n’ont participé à aucun stage, contre 18 % en 2018–2019. Une contrainte de remplacement qui affecte de plus en plus l’organisation des formations.

  La formation continue souffre également d’un manque de visibilité et de lisibilité : 55% des enseignants du premier degré ne savent pas accéder à l’offre de formation ou considèrent qu’elle est difficile d’accès.[30] La mise en place des EAFC depuis 2022 pourrait permettre de mieux organiser l’offre de formation continue (institutionnelle et associative) pour qu’elle réponde mieux aux besoins des acteurs de terrain. Mais cette innovation est encore trop récente pour pouvoir être évaluée.

 

Une culture de la coopération à développer et institutionnaliser

  Un grand nombre d’enseignants rapporte qu’une formation correspond beaucoup ou tout à fait à leurs besoins si elle leur permet de travailler avec leurs collègues (50%), prévoit un apprentissage collaboratif (48%) ou rassemble la plupart des collègues de leur établissement (41%).[31]

  Cette volonté affirmée par les enseignants est d’autant plus importante à prendre en compte que les recherches démontrent que la collaboration entre enseignants permet une meilleure innovation en classe, une plus grande efficacité personnelle et une satisfaction professionnelle accrue[32]. “La collaboration collégiale aide les enseignants à apprendre les uns des autres, à échanger leurs connaissances dans leur communauté professionnelle et, en fin de compte, à améliorer leurs cours et le soutien qu’ils peuvent apporter à leurs élèves[33]”. De fortes attentes ont également été exprimées par les enseignants en 2022, dans le cadre de l’enquête du CNESCO, concernant le besoin d’échange de pratiques avec leurs collègues.[34]

  Or, ces méthodes coopératives sont moins développées en France que dans la plupart des pays de l’OCDE. En moyenne, 40% des enseignants de collège de l’OCDE déclarent appartenir à un réseau d’enseignants formé spécifiquement pour le développement professionnel, contre 27% en France. Concrètement, la coopération et l’échange entre pairs peut notamment se traduire par de l’observation structurée entre collègues, pratique encore minoritaire en France où seuls 20% des professionnels y ont recours.[35]

  Il existe une véritable différence culturelle sur ce point entre la France et de nombreux pays de l’OCDE où la coopération entre enseignants est institutionnalisée comme partie intégrante du système éducatif.

  Au Japon, les enseignants constituent des groupes de travail au sein de leur établissement pour améliorer leurs cours ensemble. Ils se réunissent autour d’une question très concrète, par exemple : comment faire apprendre efficacement les divisions en mathématiques au primaire ? Chaque enseignant apporte ensuite ses idées, pour aboutir à la “leçon idéale” qu’ils testent dans une des classes de l’établissement pour l’améliorer. Ce concept des “lessons studies” a été largement exporté dans le monde et une tentative d’adaptation a été menée en France avec la mise en place des constellations dans le cadre du plan français et du plan maths. Au Canada, la méthode est celle des Communautés d’Apprentissage Professionnel (CAP) : chercheurs, enseignants et personnels de direction forment un réseau pour s’attaquer à un problème pédagogique précis grâce à une série de formations sur le sujet.[36]

  Sans en faire l’alpha et l’oméga de la réussite, on peut tout de même noter que ces pays sont particulièrement bien placés quant à la réussite de leurs élèves en compréhension de l’écrit, mathématiques et sciences.[37]

  Faute de culture de la coopération, notre système éducatif ne prévoit pas de temps institutionnalisé entre collègues (sauf en éducation prioritaire renforcée REP+), dédié à l’écoute des difficultés, au partage d’expérience, à l’échange des bonnes pratiques, et limite, de fait, le temps de progression par les pairs.

 

3. Propositions

  Pour refaire de l’école un lieu de réussite et d’épanouissement accessible à tous les élèves, il sera nécessaire de mener une refonte ambitieuse de la façon dont nous formons et accompagnons les enseignants, au quotidien et tout au long de leur carrière.

  Pour y arriver, nous aurons besoin de tous les acteurs, institutionnels et associatifs, pour rompre la solitude et répondre à l’ensemble des besoins des enseignants. Il est possible de s’appuyer sur les pratiques informelles que les enseignants ont déjà mises en place dans leurs établissements ou de manière isolée, en renforçant les initiatives intéressantes et en transposant ou en généralisant ce qui marche.

Nous proposons les actions suivantes :

1. Lancer une véritable politique publique de développement professionnel continu

  S’inspirant du développement professionnel continu (DPC) en vigueur dans le monde de la santé, il est proposé de mettre en place pour chaque enseignant un DPC dont le but sera de répondre aux besoins du quotidien, et qui sera valorisé dans les rendez-vous de carrière, permettant ainsi de tracer des perspectives d’évolution.

  Cela se traduira par un droit à la formation de 100h (comme dans les pays en pointe sur cette question) par an réparti en 3 temps : un socle commun national pour assurer la cohérence de la politique de formation (18 heures obligatoires étendues au 2nd degré), un temps décidé entre les équipes au sein des établissements, et un temps pour reconnaître l’autoformation au cœur de la pratique actuelle des enseignants. Du point de vue de l’impact de ces mesures sur les heures de cours des élèves, il pourra être limité en raison de la progression limitée du nombre d’heures obligatoires du socle national renforçant les dispositifs actuels et par l’optimisation des emplois du temps à l’échelle de l’établissement pour le temps de formation mutuelle entre collègues.

Qu’est-ce que le DPC ?

Introduit dans le monde de la santé par le Code de la santé publique (loi dite HPST (Hôpital, Patient, Santé et Territoire) de 2009, puis réformé en 2016 par la loi de modernisation de notre système de santé), le Développement Professionnel Continu (DPC) a pour finalité l’amélioration de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins. Il a pour principaux objectifs :

  • l’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles ;
  • le maintien et l’actualisation des connaissances et des compétences.

Le Développement Professionnel Continu tel que défini par la Haute Autorité de Santé et coordonné par l’agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) est un cadre extrêmement ouvert de démarches évaluatives : le DPC  ne consiste pas essentiellement en heures de formation délivrées par des organismes (lesquels sont souvent les sociétés savantes des disciplines médicales) mais, dans sa conception, repose d’abord sur une « évaluation des pratiques professionnelles » qui consiste en une analyse collective des pratiques entre pairs dans des « groupes d’analyse des pratiques » dont la constitution est laissée à la main des praticiens. Il peut s’agir d’une réunion d’analyse bibliographique, d’une réunion d’équipe, d’une analyse de vignettes cliniques, etc.

Voir https://www.has-sante.fr/jcms/c_1288567/fr/cadre-legal-et-historique-du-dpc

 

  Le Réseau Canopé (opérateur public récemment missionné sur la formation continue des enseignants) pourrait s’inspirer de l’agence nationale du DPC dans le monde de la santé et organiser la promotion du dispositif de DPC : certification d’un catalogue de formations et des structures habilitées, pilotage d’un conseil scientifique sur les orientations des besoins de formation, évaluation de la qualité de la politique de développement professionnel continu.

Les chiffres clés de l’Agence du DPC dans la santé (fin 2022)

  • 2 671 organismes de DPC enregistrés (+ 2,2 % sur un an)
  • 18 830 actions publiées sur le site (+ 20 % sur un an)
  • 338 535 comptes créés ou migrés dont 84,2 % éligibles au financement de l’Agence

 

2. Faire de l’établissement scolaire le lieu premier de développement professionnel continu

  Pour organiser une offre de formation au plus près des besoins des enseignants, l’idée serait d’inverser la pyramide pour que les établissements deviennent le premier échelon du système de formation dans une logique de subsidiarité. En effet, les Formations d’Initiative Locale sont encore aujourd’hui très minoritaires.

  En cohérence avec les démarches d’autoévaluation / évaluation et le projet d’établissement, il serait pertinent d’aller encore plus loin en permettant à l’équipe pédagogique, éducative et de direction de définir stratégiquement des priorités collectives pluriannuelles de formation pour l’établissement.

  Par ailleurs, l’établissement doit pouvoir être le lieu où les demandes individuelles d’accompagnement les plus urgentes (ex. j’ai un élève dys dans ma classe et je ne sais pas comment l’accompagner) peuvent être traitées avec réactivité. Or aujourd’hui, l’établissement n’a ni ligne budgétaire ni compétence pour organiser la formation de proximité. Pour accomplir ces tâches, il est indispensable de former les chefs d’établissements scolaires au pilotage stratégique de la formation de proximité, de donner les moyens en heures et en euros à chaque établissement et de mettre en place un référent formation en établissement.

 

3. Développer une véritable culture du travail en commun et libérer le temps nécessaire pour le faire

  Il est crucial de reconnaître la coopération entre les professionnels comme un moyen central de développement professionnel. Cela sous-entend de valoriser leurs compétences pour développer des formations entre pairs au plus près du terrain. Le mentorat, le retour d’expérience entre les équipes, l’observation en classe sont autant d’outils à développer.

  Cette culture de coopération à des fins pédagogiques rapprochera les formateurs du terrain, améliorera la confiance, et offrira des réponses concrètes à des problématiques de terrain. Elle place l’enseignant comme un professionnel qualifié, acteur de son développement professionnel continu.

  Afin de donner aux professionnels le temps nécessaire pour s’entraider et progresser ensemble, il serait bon de généraliser à tous les établissements de France les 18 demi-journées mises en place en REP+. Par an, cela représente 54 h banalisées pour permettre à l’équipe pédagogique de chaque établissement de partager ses expériences et formations, de progresser ensemble, de définir les besoins et priorités de l’établissement et de chaque enseignant.

 

4.Reconnaître et valoriser l’autoformation

  En plus des EAFC qui jouent un rôle de transmission de savoirs et de maintien d’une culture et d’un socle commun à l’ensemble des professionnels sur 18h de formation obligatoire pour tout le monde, il est nécessaire de reconnaître les différents outils et formats qui sont d’ores et déjà utilisés par les personnels. Plateformes numériques, réseaux sociaux, conférences, webinaires dispensés par des associations, syndicats… sont autant de solutions plébiscitées par les enseignants. Ces outils et acteurs sont autant de partenaires qui n’ont pas vocation à se substituer à l’offre de formation développée par l’institution mais bien à la compléter.

  Les corps d’inspection devront être mobilisés pour travailler à des approches de reconnaissance formelle (lors des entretiens d’évaluation dans le cadre des PPCR (Parcours Professionnels Carrières et Rémunérations)) des compétences acquises parfois de manière informelle ou non formelle. Ils peuvent jouer un rôle-clef de conseil, de soutien et de reconnaissance/valorisation des compétences acquises.

EtreProf

A titre d’exemple, la plateforme digitale EtrePROF.fr a été lancée en 2017 par un collectif d’enseignants appuyé par l’association Ecolhuma et regroupe aujourd’hui 135000 enseignants français membres, 57% dans le 1er degré et 43% dans le 2nd degré. Les enseignants membres utilisent EtrePROF 2 à 3 fois par mois en moyenne pour trouver des réponses à leurs besoins immédiats ou un renforcement de compétences. Deux types d’usages distincts sont observés :

  • Des besoins de micro-réponses concrètes sur un besoin précis consultées en 5 à 10 minutes sur une fiche pratique téléchargée, une vidéo tuto ou un conseil étayé d’un collègue. Cet usage peut partir d’un réseau social massivement utilisé dans le pair à pair enseignant.
  • Des démarches d’autoformation sur un besoin essentiel identifié par l’enseignant qui va y consacrer 1 à 3 heures sur une période de 2 semaines. Les usages les plus prisés sont les séquences de mails reçus sur 2 semaines avec 1 renforcement progressif, les ateliers entre pairs ou les parcours mêlant contenus pratiques avec un contenu théorique long audio ou vidéo, consulté durant un temps interstitiel (transport, cuisine, …).

Au total, les enseignants membres déclarent passer en moyenne 1h par mois sur EtrePROF, tous supports confondus et identifient 3 éléments clés :

  • L’aspect concret et le souci de la concision des ressources portées par des pairs, appelés mentors sur la plateforme
  • L’exigence sur le fond et le souci de cohérence avec les attentes institutionnelles.
  • La tonalité bienveillante et positive qui remonte constamment et tranche dans un environnement vécu souvent comme déshumanisé ou très défiant.

EtreProf est un outil parmi d’autres d’auto-formation.

 

Conclusion

  Parmi les facteurs de performance des systèmes scolaires, les comparaisons internationales montrent l’impact significatif de la formation continue des enseignants sur la réussite des élèves. Ce levier de progression a été largement sous-estimé dans les séries de réformes qui ont touché l’école jusqu’à présent. Les enseignants n’ont pas attendu l’institution pour se former : ils ressentent un besoin de formation mais ils ne savent pas toujours comment faire et leurs efforts ne sont pas reconnus.

  En outre, l’offre de formation ne correspond pas aux attentes des enseignants ni aux thèmes qu’il faudrait privilégier pour faire progresser les élèves. Il faut orienter les efforts de formation continue moins sur la maîtrise de la discipline (comme c’est le cas actuellement) et plus sur l’accompagnement des élèves qui est un point faible (sinon le point faible essentiel) de notre système. C’est là que se trouve la plus forte marge de progression de notre système. Pour une école plus épanouissante et plus juste pour tous les élèves, nous proposons de passer de la formation continue à un nouveau système de développement professionnel continu (DPC) qui a fait ses preuves dans le monde de la santé. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme valorisant le travail coopératif entre professionnels, à l’échelle de l’établissement, par un effort continu, mettant l’accent sur le besoin d’accompagnement des élèves.

 

Bibliographie

Sources globales :

Le métier d’enseignant :

 

Solitude des enseignants :

  • OCDE (2020), « La collaboration professionnelle, une aide majeure pour les enseignants dans les établissements difficiles », L’enseignement à la loupe, n° 34, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/91feec62-fr.
  • OCDE (2021), « Renforcer le bien-être du corps enseignant du primaire au deuxième cycle du secondaire », L’enseignement à la loupe, n° 42, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/080105a2-fr.
  • Jacqueline Schlichte, Nina Yssel & John Merbler (2005) Pathways to Burnout: Case Studies in Teacher Isolation and Alienation, Preventing School Failure: Alternative Education for Children and Youth, 50:1, 35–40, http://dx.doi.org/10.3200/PSFL.50.1.35–40
  • Johnson, Randal K.; Harrold, Mycah L.; Cochran, Daisy J.; Brannan, Debi Ph.D.; and Bleistein, Tasha (2014) « An Examination of the First Years: Novice ESOL Teachers’ Experiences with Loneliness and Stress, » PURE Insights: Vol. 3, Article 8. Available at: https://digitalcommons.wou.edu/pure/vol3/iss1/8
  • Ostovar-Nameghi, S. A., & Sheikhahmadi, M. (2016). From Teacher Isolation to Teacher Collaboration: Theoretical Perspectives and Empirical Findings. English Language Teaching, 9(5), 197. https://doi.org/10.5539/elt.v9n5p197
  • Tabancali, E. (2016). The relationship between teachers’ job satisfaction and loneliness at the workplace. Eurasian Journal of Educational Research, 66, 263– 280, http://dx.doi.org/10.14689/ejer.2016.66.15
  • Uzun, G.; Yıldırım Kurtuluş, H.; Bektaş Aydın, C. and Zeren, Ş. G. (2020). Predictors of Happiness Among Teachers and School Counselors: Job Satisfaction and Loneliness in the Workplace. Jass Studies-The Journal of Academic Social Science Studies, Year: 13, Number: 82, Winter, p. 113–130. http://dx.doi.org/10.29228/JASSS.43468

La formation continue comme attente et réponse :

Les études françaises et internationales montrent que la formation est une réponse attendue par les enseignants, et qu’elle permet de répondre aux besoins des enseignants

  • Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) :

https://www.education.gouv.fr/la-formation-continue-un-levier-face-la-baisse-du-sentiment-d-efficacite-personnelle-des-enseignants-10007


[1]  Enquête PISA, OCDE, 2018

[2] Réf : Note d’Information, n° 22.26. DEPP

[3] Enquête PISA, OCDE, 2018

[4] Observatoire Ecolhuma, Baromètre du décrochage scolaire, mars 2023

[5] DEPP, “Repères et références statistiques 2022”, 2022

[6] J. Hattie, Visible learning. A synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement, Routledge ed., 2009.

[7]  Haiat, Espinosa et Charron, La relation enseignant-élèves au coeur de la réussite éducative, dans Les cahiers du CERFEE  2023

[8] Op. cit.

[9] Enquête TALIS 2018, OCDE

[10] OCDE, Indicateur D4. Quel est le temps de travail et d’enseignement des enseignants et des chefs d’établissement https://www.oecd-ilibrary.org/quel-est-le-temps-de-travail-des-enseignants_fda9fe30-fr.pdf

[10 bis] Lucas Chancel, “La chute du salaire des enseignants (1980–2022)", Janvier 2022, https://lucaschancel.com/enseignants/

[11] 2022, Enquête scientifique – La santé mentale à l’école, Observatoire Ecolhuma

[12] Rapport d’information n° 649 Comparaison européenne des conditions de travail et de rémunération des enseignants, Sénat, juin 2022

[13] https://www.education.gouv.fr/rendez-vous-de-carriere-mode-d-emploi-41627

[14] Longuet, Rapport budgétaire Enseignement scolaire, Sénat 2021

[15] Enquête Talis 2018, OCDE

[16] Note France, résultats de Talis 2018, OCDE

[17] Longuet, Rapport d’information sur la formation continue des enseignants, Sénat 2023

[18] Observatoire Ecolhuma, Baromètre – Formation continue des enseignants : usages et besoins, mai 2023

[19] Observatoire Ecolhuma, Baromètre – Formation continue des enseignants : usages et besoins, mai 2023

[20] Enseignement scolaire (assemblee-nationale.fr)

[21] Observations définitives de la Cour des Comptes, exercices 2017–2021

[22] Enquête TALIS 2018, OCDE

[23] Assises de la formation continue, 2019

[24] Mons N., Chesné J.-F., Piedfer-Quêney L. (2021). Comment améliorer les politiques de formation continue et de développement professionnel des personnels d’éducation ? Dossier de synthèse. Paris : Cnesco-Cnam

[25] Obligations de service | Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse

[26] Longuet, Rapport d’information sur la formation continue des enseignants, Sénat 2023

[27] Note France, résultats de Talis 2018, OCDE

[28] Enseignement scolaire (assemblee-nationale.fr)

[29] Rapport d’information n°869 (2022 – 2023), déposé le 11 juillet 2023, fait par M. Gérard Longuet, Sénateur

[30] Rapport d’information n°869 (2022 – 2023), déposé le 11 juillet 2023, fait par M. Gérard Longuet, Sénateur

[31] Observatoire Ecolhuma, Baromètre – Formation continue des enseignants : usages et besoins, mai 2023

[32]  Enquête TALIS 2018, OCDE

[33] OCDE (2020), « La collaboration professionnelle, une aide majeure pour les enseignants dans les établissements difficiles », L’enseignement à la loupe, n° 34, Éditions OCDE, Paris

[34]  Observations définitives de la Cour des Comptes, exercices 2017–2021

[35] idem

[36] Mons N., Chesné J.-F., Piedfer-Quêney L. (2021). Comment améliorer les politiques de formation continue et de développement professionnel des personnels d’éducation ? Dossier de synthèse. Paris : Cnesco-Cnam

[37] Etude PISA 2018, OCDE

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