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Note

Neuf idées pour redonner confiance aux universités et aux universitaires

De nombreux collectifs d’universitaires s’expriment actuellement sur les réformes en cours dans l’enseignement supérieur, et celles qui les ont précédées. Dans un contexte de difficultés budgétaires et de perte de confiance institutionnelle, Terra Nova apporte ici son point de vue, en prolongeant ses réflexions précédentes. La note qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité mais présente neuf mesures pour lever des blocages trop souvent oubliés du débat public. Plutôt que de proclamer l’autonomie ou de la dénoncer, il faut la faire ; plutôt que de caporaliser les universitaires, il faut, dans la ligne des valeurs de la gauche, libérer leurs initiatives et démontrer par leurs réalisations la force des excellences universitaires.

Publié le 

Les temps sont à la morosité. L’enthousiasme universitaire est en berne. Après 40 ans de réformes incessantes et, finalement, décourageantes, il est temps de redonner confiance aux universités et aux universitaires, par quelques mesures claires, fortes et de bon sens.

Car si la situation est difficile, rien ne justifie l’excès de pessimisme. Pendant ces mêmes 40 ans, l’université a beaucoup changé : l’emploi des étudiants est devenu une préoccupation majeure, les vieilles querelles universités – écoles – organismes [2] laissent place à de nouvelles alliances, des partenariats innovants avec les entreprises se multiplient, le rôle central de l’université et de la recherche est bien mieux reconnu qu’auparavant, son caractère européen et mondial, est devenu une réalité concrète. Dans ce contexte, la nécessité d’un élargissement de la capacité d’action des établissements et d’une adaptabilité plus grande est apparue plus évidente pour nombre d’acteurs.

Tout cela permet de ne pas désespérer.

Dans le passé, Terra Nova a formulé des propositions – sur la loi, l’autonomie, l’orientation, les droits d’inscription, les aides aux étudiants – et nous n’en renions rien. Ces analyses ont alimenté le débat public et fait évoluer les mentalités, mais force est d’admettre qu’elles n’ont pas suffisamment pesé sur l’action de la gauche au pouvoir depuis 2012. D’un autre côté, il faut bien constater que la communauté universitaire, souffrant largement des difficultés budgétaires, a perdu confiance dans les évolutions institutionnelles, se réfugiant dans le sentiment qu’elles étaient toutes préjudiciables. Notre position est différente : le statu quo, comme la situation antérieure aux lois sur l’autonomie [3] , ne garantissent ni la démocratisation de l’enseignement supérieur, ni un fonctionnement démocratique, ni un rattrapage financier du système, mais contribuent au contraire à la préservation de situations acquises et au maintien d’une tutelle administrative sclérosante. C’est aussi en recréant une dynamique partant de la communauté universitaire elle-même que l’on créera les conditions permettant au système d’enseignement supérieur et de recherche d’être mieux considéré… et financé.

Il faut donc sortir de la nasse dans laquelle nous sommes en nous appuyant sur la confiance : redonner aux universitaires la fierté de leur métier, aux étudiants des universités la fierté d’être à l’université, et aux universités les instruments de l’initiative.

Parce que l’essentiel est de faire évoluer l’université qui constitue l’une des institutions-clefs du futur, ce texte ne prétend pas à l’exhaustivité. Il ne s’attache qu’à proposer quelques mesures qui permettraient de lever des blocages que chacun connaît, mais auxquels manifestement les pouvoirs publics comme les communautés universitaires ont du mal à s’attaquer. Le fil directeur de nos propositions est très simple : au lieu de « proclamer » l’autonomie des universités, il faut la faire ; au lieu de « caporaliser » les universitaires, il faut libérer l’initiative de ceux qui veulent innover et démontrer par les réalisations la force des excellences universitaires.

Depuis 1968, c’est la gauche qui a porté les valeurs de l’autonomie, de l’initiative, de la qualité scientifique et pédagogique… Il serait dramatique qu’elle les abandonne aujourd’hui à la droite au nom d’un jacobinisme étatique que rien ne justifie et qui est à l’opposé du développement d’une pensée stratégique dont, pourtant, nombre d’acteurs se réclament.

C’est dans cet esprit que Terra Nova soumet les propositions suivantes au débat.

1 – Promouvoir une nouvelle conception de la licence

Si la Nation demande que tous les bacheliers qui le souhaitent puissent être accueillis dans une formation supérieure, ce n’est pas pour que tous atteignent le niveau master. Pour un certain nombre d’étudiants, la réussite consiste en la validation d’un diplôme de niveau bac+2/bac+3, qui leur apporte à la fois des connaissances pluridisciplinaires et le mode de pensée critique de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi des compétences clairement identifiées leur ouvrant les portes d’un emploi stable – sans céder au fantasme d’une adéquation parfaite entre les emplois offerts et la formation. S’il incombe aux universités la responsabilité de l’accueil de l’essentiel de ces étudiants, alors il est crucial de les autoriser à former un public très hétérogène par des enseignements et des parcours diversifiés en licence. Aujourd’hui c’est interdit et la récente loi a explicitement écarté cette idée évidente. C’est pourtant la condition indispensable à la vraie réussite des étudiants.

L’Université doit avoir le droit de vérifier la réelle motivation des étudiants et leur réelle capacité à réussir les études qu’ils veulent entreprendre. Sinon, le gâchis est immense, surtout quand on les a laissés choisir des licences universitaires par défaut. Sinon, on décourage les universitaires d’enseigner en licence, on méprise leur métier, en exigeant d’eux une mission impossible. Cette mission n’est pas exigée des formations professionnelles post-bac qui sont toutes sélectives. Il faut arrêter de « marcher sur la tête ». Dans cette logique, les universités seraient conduites à expliciter les prérequis nécessaires à la réussite dans chacune des filières. Tout en maintenant une diversité de choix et une indispensable possibilité de réorientation, certaines admissions en université ne doivent plus être de droit pour tous les bacheliers, mais laissées à l’initiative des universités au vu des dossiers, lorsque ces orientations conduisent à un échec quasi-certain (par exemple la philosophie ou la médecine après un bac professionnel). Les universités qui le souhaiteraient seraient encouragées à jouer le jeu de la diversité de recrutement, en se donnant alors à la fois les moyens de filières spécifiques, et d’accompagnement et de suivi adéquats.

Dans la même optique d’adaptation des parcours à la diversité des publics, il faut arrêter d’interdire aux universités de créer des « licences d’excellence » en prise sur la recherche pour attirer les meilleurs bacheliers et des étudiants étrangers de grande qualité. Aujourd’hui les universités en sont à ruser pour atteindre cet objectif : « doubles licences », « sélection en douce », etc… Ce n’est plus acceptable. Il n’est pas honteux que l’université mette en place des cursus pour les meilleurs étudiants, sachant que les qualités qui font l’excellence sont diverses ! Il faut non seulement le lui permettre mais l’encourager. C’est la seule façon de faire évoluer durablement le système et, notamment, la coupure si dommageable entre formations universitaires et formations des classes prépas/grandes écoles, ce que tout le monde dit pourtant souhaiter pour se mettre aux standards internationaux des meilleurs «  bachelors  ».

Si elle se met en place, une telle diversification doit se faire sur une base totalement transparente : transparence des critères d’accès à telle ou telle filière de formation, transparence des objectifs de formation, transparence des débouchés. Mettons fin à l’horrible tradition française d’une information complexe à acquérir, et biaisée, que seuls les jeunes issus des classes les plus favorisées savent interpréter. C’est au moyen de cette transparence qu’on aidera les lycéens à bien s’orienter et les employeurs à mieux évaluer les qualités des candidats aux postes qu’ils proposent. Il faut enfin assouplir le cadre restrictif de dénominations censées faciliter le choix et qui, de fait, empêchent la création de filières de formation pourtant très utiles, comme le montre l’exemple de licences pluridisciplinaires à dominante scientifique, dont un débouché important est le professorat des écoles, et que le présent cadre a empêché d’exister, sauf de manière clandestine.

2 – Retrouver l’esprit du LMD (schéma licence – master – doctorat)

La diversité des parcours est l’essence même du schéma LMD dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il a été porté par un gouvernement de gauche.

Rappelons que le LMD consiste en une offre de formation modulaire par capitalisation de crédits ; il permet très facilement de gérer des parcours diversifiés, en proposant des contenus articulés en fonction des buts poursuivis par les étudiants, de leurs objectifs professionnels comme de leurs objectifs de poursuite d’études, de leurs rythmes d’acquisition adaptés à la diversité de leurs profils, de leurs compétences, du temps dont ils disposent pour étudier.

Une telle offre permet de développer une approche intégrative : de la formation initiale et de la formation continue, des licences générales et des licences professionnelles, des étudiants qui ont tout leur temps pour étudier et de ceux (étudiants travailleurs ou salariés étudiants, jeunes parents) qui ne l’ont pas…

La politique LMD doit être relancée et étendue aux secteurs de l’université qui n’ont que trop tardé à l’appliquer comme, par exemple, le secteur de la santé. Elle apporte de la flexibilité dans les parcours et les rythmes, ce qui favorise la réussite de tous les étudiants. Elle s’appuie sur une véritable autonomie pédagogique des établissements, en leur permettant de rendre aux parcours de formation une cohérence pédagogique que les contraintes réglementaires et budgétaires, et parfois une vision trop étroite de la part des universités, ont mise en défaut. Elle permet de redonner aux universitaires une initiative pédagogique dont ils disposent dans tous les grands pays comparables, rattrapant ainsi le retard de notre pays en la matière, retard qu’a cruellement mis en évidence l’Association européenne des universités (EUA). Enfin, un des obstacles majeurs à la mise en place d’une véritable politique de LMD réside dans certains cadres rigides des modalités imposées de contrôles des connaissances, en particulier des règles de compensation, qui figent les rythmes d’apprentissage par semestres et par années, limitant les possibilités d’adaptation qu’offrent les systèmes de capitalisation. En outre, elles ne permettent pas de mettre clairement en lumière la question pourtant centrale des enseignements inadaptés.

3 – Développer des cursus post-licence – masters et doctorats – qui soient la marque des universités

Si l’autonomie pédagogique au niveau licence permet de gérer la diversité des parcours, aux niveaux master et doctorat, elle permet de valoriser les atouts scientifiques spécifiques de chaque université.

Au nom d’une meilleure lisibilité des diplômes, le ministère a imposé un éventail complet de dénominations pour l’ensemble des mentions, chaque université, ou site, devant ensuite solliciter une « accréditation » pour ouvrir des formations dans ces différents champs disciplinaires. Au lieu de proposer des domaines génériques devant permettre cette meilleure visibilité nationale des formations, et permettre aux établissements de décliner leur offre dans ces différents champs, ce cadrage a, dans certaines disciplines, enrégimenté des masters dans un cadre réglementaire contraint : à quoi sert de vouloir à tout prix uniformiser, raboter l’originalité et gâcher par des intitulés rigides des années d’efforts ? Cela revient à nier tout le travail d’enseignants-chercheurs qui ont creusé patiemment des sillons, là où au contraire il conviendrait de valoriser un investissement dont ils peuvent être légitimement fiers.

Au contraire, l’offre de masters doit permettre aux universités de valoriser leurs forces distinctives, fondées sur un potentiel propre et aussi une image qu’elles ont su imposer au cours du temps. Ce qui fait la valeur d’un diplôme, c’est le potentiel scientifique de l’université qui le délivre, et plus particulièrement sa réputation dans le ou les domaine(s) disciplinaire(s) concerné(s), la qualité de la formation, et pas la dénomination spécifique de la spécialité suivie par l’étudiant.

Comme dans tous les pays comparables au notre, les universités doivent être libres de créer leurs cursus de masters, d’en faire de vrais cursus intégrés de 120 crédits européens et non pas de deux fois un an (ce qu’on appelle aujourd’hui à tort M1 et M2) et de recruter leurs étudiants selon les règles qu’elles définissent de façon autonome.

En outre, si elles le souhaitent, les universités doivent pouvoir organiser une offre thématique rassemblant masters et doctorats dans de vraies « écoles universitaires de recherche » puissantes et étroitement liées, à chaque fois que possible, aux organismes de recherche et aux écoles. Ce serait faire « d’une pierre quatre coups » : valoriser leurs atouts les plus forts, améliorer la visibilité et l’attractivité nationale et internationale, renforcer puissamment le partenariat organismes – établissements d’enseignement supérieur, créer un modèle français de «  graduate schools  ».

4 – Ouvrir de vrais espaces d’innovation

L’ouverture de nouvelles marges de liberté pédagogique doit s’accompagner d’un soutien explicite à l’innovation en formation et par un appel à expérimenter de nouvelles méthodes et à atteindre de nouveaux publics.

Innover peut consister à remettre en cause l’organisation traditionnelle de l’université, avec un nombre d’heures « présentielles » élevé par rapport à la norme internationale, la coupure cours magistraux/ travaux dirigés qui bien souvent ne marche plus – à supposer qu’elle ait jamais vraiment bien marché. C’est aussi le développement de la pédagogie par projets, l’utilisation des Technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE)lorsque c’est pertinent, la création de formations universitaires numériques. C’est enfin, à un autre niveau l’implication plus forte des universités dans la formation continue et les formations en alternance.

Dans tous ces champs, l’université doit renforcer sa présence et pour ce faire, le système d’allocation des moyens doit inciter et encourager ces nouvelles pratiques … Il faut que l’implication des universitaires dans l’enseignement, et en particulier dans l’innovation et l’animation des filières d’enseignement, fasse l’objet d’une valorisation qui ne soit pas exclusivement monétaire, mais qui participe de leur gestion de carrière.

Il est nécessaire de rendre les universités pleinement responsables des formations qu’elles organisent et ne plus les infantiliser. Cela passe (1) par la capacité entière donnée aux établissements de définir en cohérence avec les objectifs de formation les modalités de contrôle des connaissances et aptitudes des étudiants ; et (2) par le développement corrélatif, selon des modalités arrêtées par le conseil académique, de l’évaluation des formations, des enseignements et des équipes pédagogiques par les étudiants.

Ce cadre de responsabilité implique que le ministère fasse confiance, en fondant l’allocation des moyens d’une part sur l’évaluation des réalisations et des résultats, et d’autre part sur un soutien ciblé à l’innovation. Cela conduit à donner un véritable contenu à l’ambition initiale de la loi de 2013 qui se proposait de remplacer une procédure tatillonne (l’habilitation) par une démarche globale (l’accréditation) confortant l’autonomie pédagogique des universités.

5 – Réguler davantage par l’évaluation

Si les universités et les universitaires doivent avoir plus de libertés et de véritables capacités d’action, en contrepartie, ils doivent accepter la règle de l’évaluation.

Le gouvernement a souhaité remplacer l’AERES [4] par un Haut Conseil – le HCERES [5] , qui n’a pas encore vu le jour… L’AERES avait, certes, été critiquée, et souvent à juste titre, mais elle avait l’avantage de son universalité, évaluant toutes les équipes de recherche, tous les établissements, et rendant publique l’intégralité de ses évaluations ; ainsi, elle avait réussi à exister dans le paysage européen et à donner une image positive de la France à nos partenaires. Pour des raisons principalement symboliques, on a préféré supprimer au lieu de transformer, le plus dur reste à faire, à savoir mettre en place le futur Haut Conseil, auquel il convient de donner sa chance.

Cependant, d’ores et déjà, le Haut Conseil procède d’une démarche comparable à l’AERES qui présente le même type de risque. Un dispositif unique, totalisant et obligatoire risque à terme d’être stérilisant parce qu’inévitablement il sécrétera une pensée unique sur l’évaluation, « ce qui est bien et ce qui ne l’est pas ».

Pour limiter ce risque, on peut avancer une idée simple : autoriser les universités, écoles, ou encore les organismes de recherche à avoir recours au mécanisme d’évaluation de leur choix : l’Agence française bien entendu, mais également, si elles le préfèrent, d’autres agences européennes reconnues par l’Association européenne des universités (EUA), ou encore d’autres structures d’évaluation, pourvu bien sûr que ces structures offrent des garanties sérieuses d’échapper à l’entre-soi. Ainsi, d’ores et déjà aujourd’hui en France, la Commission des Titres d’Ingénieurs est bien une instance d’évaluation distincte : si elle se détachait de la défense corporatiste des écoles, si elle intégrait pleinement une conception moderne de la recherche technologique, elle pourrait se voir confier une mission plus large d’évaluation des formations en ingénierie. Enfin, si le dispositif national a souhaité abandonner toute idée de cotation à la suite des Assises Nationales de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche à l’automne 2012, ce serait aller trop loin que d’interdire aux équipes qui le souhaitent, en vue de développer des partenariats internationaux par exemple, d’avoir recours à des agences européennes reconnues qui offrent cette forme de labellisation.

En tout état de cause, il est plus conforme à une tradition académique bien comprise, et donc aussi aux standards universitaires internationaux, de réguler par l’évaluation plutôt que par la norme administrative et réglementaire. C’est la seule méthode moderne acceptable et c’est celle qui responsabilise les équipes de formation et/ou de recherche et qui procède de la confiance en elles. Tout encadrement réglementaire et centralisé des pratiques scientifiques ou pédagogiques procède de la défiance envers les universitaires et les universités.

6 – Accepter l’expérimentation de nouvelles formes de gouvernance pour les universités…

S’agissant de la gouvernance des universités, la loi de 2013 n’a pas failli à la tradition : imposer un modèle uniforme de gouvernance alors même que les universités présentent des caractéristiques et des cultures très diverses. Alors que, dans ce domaine comme dans les autres, on aurait dû accepter l’idée d’une différenciation des établissements et certaines formes contrôlées d’expérimentation de nouvelles modalités de gouvernance.

Le code de l’éducation (article L 711 – 4) prévoit précisément cette possibilité d’expérimenter de nouveaux statuts. En outre – point très important – une affaire récente concernant l’université de Nîmes a démontré que cette capacité à expérimenter n’était pas nécessairement limitée dans sa durée à cinq ans dès lors qu’il pouvait être prouvé après une évaluation sérieuse que l’expérimentation était réussie. Il y a lieu désormais de rouvrir cette voie qui n’a été utilisée que pour les universités « nouvelles » au début des années 1990.

En particulier il faut autoriser les universités qui le souhaiteraient à mettre en place des formules de gouvernance qui distingueraient plus nettement ce qui relève des affaires purement académiques, qui doivent être laissées aux corps académiques dont c’est le métier, et ce qui relève de la gestion stratégique et des plans de financement qui doit procéder davantage d’instances représentant les intérêts de la Nation et des grands partenaires publics, et parfois privés, de l’université.

Il y a de nombreuses oppositions à une telle démarche : celle des gouvernants, quelle que soit leur couleur politique, qui estiment que tout va mieux si chacun se conforme à leurs règles intangibles; celle d’une partie de la communauté universitaire qui craint un glissement vers un déni de démocratie, refusant au passage de voir qu’ils laissent ainsi échapper le pouvoir au profit de la tutelle étatique.

Notre proposition est de briser ce cercle en ouvrant clairement la voie de l’expérimentation pour laisser les acteurs et les parties prenantes des établissements « penser » la meilleure gouvernance et les laisser surtout « l’essayer ». On peut le faire sans risque de faire perdre toute cohérence à notre système d’enseignement supérieur et de recherche : l’Etat en a tous les moyens, puisqu’il doit autoriser ces expérimentations par décret.

7 – … comme pour la structuration des sites

Le raisonnement est le même pour l’organisation des sites. Au lieu de considérer la loi comme offrant des outils nouveaux pour ceux qui voudront s’en servir, on impose, ou on dissuade d’utiliser toutes les possibilités que la loi pourtant permet, donnant ainsi prise aux critiques qui dénoncent l’autoritarisme, l’uniformisation et le supposé « je ne veux voir qu’une seule tête ! »…

Il convient au contraire de favoriser tout ce qui crée des alliances solides entre les acteurs, car l’université nouvelle de demain sera une université construite sur un site rassemblant l’ensemble des acteurs qui constituent l’Enseignement Supérieur et la Recherche, aujourd’hui « universités », « écoles » et « organismes  ». C’est pourquoi nous plaidons pour que les acteurs soient maîtres de leurs alliances et de leurs périmètres : c’est la seule façon de « faire du solide » et de s’épargner des trajectoires artificielles. Ces alliances librement pensées et consenties doivent être le fruit de véritables démarches stratégiques. C’est à ces démarches que le ministère peut et doit inciter, par les moyens dont il dispose (contrats, financements, reconnaissance institutionnelle), pour obliger les acteurs non pas à faire ce qu’on a décidé d’en haut, mais à prendre leurs responsabilités, à argumenter publiquement leur choix d’alliances, en sorte qu’émerge une stratégie incontestable.

Au lieu de cela, on a utilisé la contrainte, ou pire, on a parfois laissé les acteurs locaux travailler à des modèles avant de leur dire qu’ils n’avaient pas compris ce que l’Etat attendait, avec le résultat très dommageable qui était prévisible : la levée de boucliers qui voit réunis ceux qui veulent faire bouger les choses, mais aussi qui ne veulent pas agir par « obligation » ou être infantilisés, et ceux qui ne veulent rien changer… Terra Nova défend cette politique de structuration du dispositif, mais en s’appuyant sur de l’incitation et le volontariat des alliances choisies, et dans le cadre d’une stratégie clairement définie par les tutelles. Il est clair que cela va conduire à des structurations hétérogènes, fortes ici et faibles là, mais mieux vaut une telle perspective que des structurations de façade qui voleront en éclats au premier accroc et qui, dans tous les cas, ne donneront jamais naissance à de véritables universités puissantes et modernes. Dans un paysage universitaire déjà singulièrement complexe, nous n’avons que faire d’une strate supplémentaire : les communautés d’universités doivent être une étape vers une simplification et une mise en cohérence, pas un « machin » supplémentaire !

8 – Revendiquer les excellences universitaires

La liberté institutionnelle est une condition nécessaire pour dépasser les vieux clivages – universités, écoles, organismes –, mais ce n’est pas une condition suffisante.

Il faut aussi se placer sur un terrain incontestable : celui de la qualité et de l’excellence. C’est la seule façon de faire bouger les lignes et la segmentation universités / grandes écoles / organismes. Tant que l’université ne revendiquera pas clairement sa vocation d’excellence, et on pense ici au premier chef à l’excellence scientifique, tant qu’elle ne démontrera pas en actes sa capacité dans le temps à assumer cette vocation par une gouvernance efficace, il se trouvera des esprits chagrins pour expliquer que « décidément, on ne peut pas faire confiance à une institution pareille » et que l’essentiel pour le pays est de préserver ce qui marche : les écoles pour la formation des cadres, les organismes pour la qualité de la recherche…

Là réside le risque majeur : confiner l’université dans le rôle que les élites politiques et économiques, le plus souvent indifférentes à la notion-même d’université adossée à la recherche lui réservent : un outil de gestion sociale de la transition vers l’emploi par l’allongement du temps d’étude. Le paradoxe de cette vision de l’université, en phase avec une politique de « bons sentiments » et sous couvert de « démocratisation » avec un modèle supposé plus ouvert, est qu’elle se révèle en réalité profondément inégalitaire.

Nous revendiquons que l’université investisse l’ensemble du spectre des formations supérieures, ce qui permettrait de passer du modèle actuel, fermé et univoque, de recrutement des élites à un modèle moderne, fluide et ouvert, reconnaissant la nécessité de faire contribuer des talents très divers au progrès économique et social.

Car il n’y a pas qu’un seul chemin de l’excellence.

Il y a d’abord ce qui relève de la qualité scientifique. Certes tous les établissements n’ont pas des potentiels scientifiques comparables, et les différents domaines du savoir, de la philosophie à la physique des particules, n’ont pas les mêmes contraintes pour leur essor – mais quelle que soit la force de ce potentiel, tous les sites universitaires ont le droit à l’excellence scientifique dans leurs domaines spécifiques de compétences.

Et si l’on ne peut imaginer de configuration universitaire sans un fort appui sur le potentiel de recherche, l’excellence scientifique n’épuise pas les formes universitaires de l’excellence. L’excellence est plurielle, non seulement en recherche, mais aussi en formation, en valorisation de la recherche, dans le domaine de la vie étudiante ou dans la construction de partenariats avec les acteurs économiques, les collectivités territoriales ou de partenariats internationaux. Ces formes plurielles d’excellence doivent être valorisées dans le métier d’enseignant-chercheur, pour créer et entretenir l’incitation à les promouvoir.

L’université telle que nous la voulons doit toujours rechercher l’excellence dans les actions qu’elle déploie. C’est bien ainsi que Terra Nova conçoit l’avenir de notre enseignement supérieur, par la construction d’un système universitaire différencié, mais dont la différenciation repose sur la diversité des excellences revendiquées.

9 – Innover aussi pour le financement

Enfin, la question du financement est bien évidemment centrale. On ne saurait nier les difficultés budgétaires actuelles de nombre d’universités, dans un contexte de stagnation – au mieux – des dotations de l’Etat, avec les conséquences directes que l’on observe entre autres sur l’emploi scientifique. Il est clair qu’aujourd’hui, comme hier, le système français d’enseignement supérieur est très insuffisamment financé pour parvenir à un financement par étudiant comparable à celui des pays les plus avancés. De plus, il est aussi évident qu’il n’existe aucun consensus – y compris à gauche – sur les solutions à apporter à ce sous-financement.

On voit bien que demander des moyens supplémentaires seulement à l’Etat est une voie qui, si elle constitue aujourd’hui une revendication facile, ne peut pas être l’unique solution, et encore moins une solution réaliste dans l’immédiat.

Si nous sommes favorables à une augmentation du financement public de l’enseignement supérieur, nous pensons que cette augmentation doit s’articuler autour de trois axes :

Poursuivre le mouvement initié dans les universités pour mieux maîtriser leur gestion en s’appuyant sur la définition de vraies priorités stratégiques ;

Par une politique plus cohérente et plus ambitieuse, mieux faire comprendre à l’opinion l’importance des universités ;

Diversifier les sources de financement.

1. Maîtrise de la gestion. Le système administré, dont nous sortons à peine, a conduit les universités à des gestions parfois hasardeuses, ce dont on peut multiplier les exemples : comme l’Etat ne prenait pas en compte l’entretien et l’amortissement, les locaux se détérioraient ; comme l’Etat contraignait les universités à accepter plus d’étudiants sans leur donner les ressources supplémentaires, les conditions d’études se détérioraient, et l’équilibre des universités devenait de plus en plus précaire ; mais aussi, comme la valorisation pour les universitaires était liée au maintien d’enseignements très pointus et de « leurs » spécialités de masters, les universités étaient tentées de multiplier leur offre sans que les étudiants soient toujours au rendez-vous, ou que le faible effectif soit une situation assumée pour une raison stratégique claire. Mais la bonne gestion, c’est aussi une bonne gestion pédagogique. Ainsi, les abandons en cours de route, les redoublements et les réorientations conduisent à ce que le nombre d’étudiants réels soit égal au double du nombre des étudiants qui résulterait de parcours sans abandon, sans redoublement et sans réorientation [6] . Sans qu’il soit ici question de limiter les possibilités de réorientation – qui font partie de la construction progressive d’un parcours d’études -, une meilleure orientation, choisie et non subie, et un meilleur accompagnement pédagogique permettraient un gain considérable sans que qui que ce soit, et surtout pas les étudiants concernés, en souffrent.

Dans ce contexte, les universités doivent pouvoir adapter le volume d’activités aux moyens réels dont elles disposent. Il vaut mieux limiter son action et se créer des conditions correctes de fonctionnement, comme dans toutes les universités comparables dans le monde, que de se satisfaire éternellement d’une situation dégradée, qui – in fine –dégrade le modèle universitaire lui-même. Il ne s’agit pas de « gérer la pénurie » ou de « favoriser le malthusianisme contre la nécessaire démocratisation » : nous avons pris clairement parti pour le maintien des capacités d’accueil à l’université, et pour l’augmentation du nombre des diplômés. Mais nous n’adhérons pas à une vision statique des choses : c’est en formulant et en exprimant clairement leurs besoins et leurs capacités d’accueil, et en s’y engageant dans la contractualisation avec l’Etat, que les universités remplissent le mieux leur mission de service public.

2. Communication à destination de l’opinion et des décideurs. Il est clair que l’image des universités est au mieux nuancée, et au pire défavorable. Que cela soit très injuste – car, comme on l’a dit plus haut, les universités ont su relever des défis considérables – n’y change rien. C’est s’appuyant sur une ambition forte sur le plan de la formation et de la recherche que les universités pourront progresser et gagner la bataille de l’opinion ! Et c’est ainsi que pourra être posé de manière efficace le problème du sous-financement.

3. Diversification des financements. S’il est illusoire de penser que les universités pourraient toutes suivre le chemin de certaines d’entre elles qui sont parvenues à obtenir des financements privés significatifs grâce à la levée de fonds de leurs fondations, le partenariat avec des acteurs économiques par le mécénat, la création de chaires… C’est néanmoins une voie qui est ouverte à beaucoup. Toutes ont accès potentiellement aux subventions des collectivités territoriales et de l’Union européenne. Les universités doivent ensuite développer les ressources issues des nouvelles activités en recherche et formation : valorisation de la recherche, formation continue et apprentissage, et désormais formations numériques. Enfin il faut sans tabou rouvrir le débat – comme Terra Nova avait osé le faire dans le passé – sur les droits de scolarité dans une optique de justice sociale et de redistribution. Dans un système dans lequel l’Etat reste la source principale de fonds, ce sera à lui d’apprécier la manière dont il doit compenser les financements pour les établissements qui, par leur nature, leur localisation ou leur histoire sont moins susceptibles de recueillir des fonds d’autres sources.

Ces sujets sont connus. Ils nécessitent une approche rationnelle loin des passions idéologiques, mais en même temps il faut y travailler clairement dans une approche progressiste, hors de toute « tentation libérale ». C’est pourquoi nous proposons l’organisation d’une « conférence de consensus » pour contribuer plus sereinement aux débats en cours. Cette conférence contribuerait en outre à favoriser une démarche de démocratie délibérative, propre à dépasser une situation de blocage.

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Telles sont les neuf propositions que Terra Nova verse au débat, qui doit désormais se concentrer sur les questions de fond. On peut les approuver ou les rejeter ou en avancer d’autres, mais nous sommes convaincus que désormais il convient de sortir des généralités et du seul discours critique. Notre choix est celui de l’action et d’un optimisme volontariste : au-delà des divergences sur telle ou telle option, nous incitons la communauté universitaire et de recherche à construire sans relâche et sans découragement, par leurs projets et leurs ambitions pour le service public, l’université de l’avenir.

  1. * Ont participé à la rédaction de cette note : Martin Andler, Daniel Bloch, Laurent Daudet, Angélique Drémeau, Gilles Halbout, Jean-Pierre Korolitski, Maxime Legrand, Yves Lichtenberger, Jean-François Méla, Catherine Paradeise, Stéphanie Serve.

  2. Par « organismes » nous entendons les grands organismes nationaux de recherche, en premier lieu le CNRS mais aussi l’INRA, l’INRIA, le CEA …

  3. Voir la note de Terra Nova « Autonomie des universités : il faut passer aux travaux pratiques », Octobre 2013.

  4. Agence de l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, mise en place en 2007.

  5. Haut Conseil à l’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, instauré par la loi dite « Fioraso » sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche votée à l’été 2013.

  6. Source : statistiques MEN – RERS 6–22: Situation des bacheliers généraux 2008 à la rentrée 2011.

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