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Note

La question des femmes : un enjeu d’avenir

Le magazine Elle vient d’organiser les « États Généraux de la femme ». Ces États Généraux, auxquels Terra nova s’est associé en participant à l’élaboration du « livre blanc des femmes – 20 mesures concrètes pour transformer la vie des femmes… et celle des hommes », arrivent à point nommé. Ces dernières décennies, depuis les premières revendications féministes, la situation des femmes dans la société s’est améliorée, tant dans la représentation politique que dans la participation à la vie économique. Elle demeure pourtant, à bien des égards, insatisfaisante. Or, la question des femmes est sortie de l’agenda politique. Terra Nova souhaite l’y replacer et fera des propositions en ce sens. Pour relancer le débat, nous proposons aujourd’hui une note de Virginie Martin, et vous proposons de retrouver celle de Yolande Cohen datée du 5 mai 2009. Toutes deux étaient membres du groupe de travail qui a préparé le livre blanc.
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1 – La diversité et la question hommes/femmes

Le terme « diversité » figure aujourd’hui en bonne place dans tous les manuels de management, dans les discours des DRH et aussi bien sûr dans les préoccupations politiques et sociales de cette décennie. A côté de ce terme, s’en trouvent d’autres qui évoquent le développement durable et la Responsabilité Sociale ou sociétale des entreprises. Au cœur de tous ces enjeux se nichent les questions de non-discrimination, d’intégration et bien sûr d’égalité entre hommes et femmes.

La prolifération de ce concept et son utilisation opérationnelle pourraient être discutées, tant la « diversité » est devenue un terme qui peu à peu tend à se galvauder et à devenir un mot-valise.

Dans ce champ, une question émerge donc parmi d’autres, celle des femmes et de leur intégration à la vie politique, sociale, professionnelle, en France comme à l’étranger. Mais cette question s’est partiellement vidée de sa substance se limitant souvent à ses aspects les plus techniques tels que pour exemple le problème des salaires. Même si ces sujets restent importants ils ne sont que la partie émergée d’une problématique bien plus complexe. On doit en effet de nouveau s’interroger sur certains axes : qu’est ce que le sexe par rapport au genre ? Est-ce que parler des femmes relève forcément d’une démarche féministe ? Tous les féminismes sont-ils identiques ?…

2 – La question des femmes : entre désintérêt et définition de l’agenda

Autant d’interrogations capitales que la gauche doit clarifier et remettre au premier plan car elles ne semblent plus constituer pour elle un enjeu politique même si elles restent le lieu de nombreuses ségrégations et discriminations.

Un rapide retour historique et chronologique permet de montrer à quel point l’enjeu lié aux « droits des femmes » s’est peu à peu étiolé. Si, sous la présidence de François Mitterrand, Yvette Roudy était aux commandes d’un véritable Ministère des droits de la femme, dès 1986 lors de la période de cohabitation, il n’y a plus qu’une Délégation aux Droits des Femmes. En 1989, sous Michel Rocard, un Secrétariat d’Etat chargé des Droits des Femmes est remis en place. Après 1995, ces instances ministérielles perdent progressivement de leur surface ; depuis 2007, il ne s’agit plus que d’un service des Droits des femmes et de l’égalité qui est au sein du Secrétariat d’Etat à la Solidarité lui-même rattaché au Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

Ce sujet a progressivement perdu de sa force politique pour ne devenir qu’une question circonscrite et opérationnelle. Est-à dire que tous les problèmes liés à la question des femmes sont réglés ? Certainement pas.

D’ailleurs, la droite joue sur ces sujets en les remettant parfois au devant de la scène : le premier gouvernement Fillon restera celui de l’ouverture à de nombreuses personnalités féminines – parfois venues de la gauche – et celui de l’accès des femmes à la tête de prestigieux ministères. Dès 2009, Xavier Darcos a fait de l’égalité professionnelle un de ses chevaux de bataille ; le 25 Novembre 2009 François Fillon a décrété les violences faites aux femmes « grande cause nationale » de l’année 2010. Quant au débat autour de la burqa, il donne l’occasion au gouvernement de développer un argument contre l’oppression des femmes. Ces exemples prouvent que la droite a su s’approprier ces thématiques ou tout au moins les faire exister en son nom dans l’espace médiatique et public. C’est elle qui dicte et maîtrise l’agenda sur ces thèmes.

La gauche devrait pouvoir agir dans deux directions : d’une part elle doit se ressaisir de ce dossier et d’autre part lui redonner toute sa dimension et ses perspectives. Elle doit refaire de la question des femmes un enjeu politique. En effet, alors que les formations progressistes offrent de véritables possibilités et postes stratégiques à des femmes qui ne sont pas des alibis – Premier Secrétariat du PS et candidature à l’Election présidentielle – elles restent par trop discrètes sur l’enjeu « femme ». Que des femmes occupent ces fonctions à très fort enjeu ne dédouane pas les forces de gauche de s’emparer de ces questions.

3 – De la notion de sexe au concept de genre

Pour ce faire, il faut peut-être reposer le débat dans ses fondements sociologiques et conceptuels. En effet, l’approche par trop superficielle de ce dossier finit par lui nuire. Nous préciserons au cours des développements suivants trois éléments de définition autour du « genre », de « l’approche féministe libérale », de « l’approche féminisme radicale ».

La distinction entre « genre » et « sexe » est un préalable et un premier point incontournable à notre propos.

Les premières pistes de réflexion concernant ces deux termes émanent de divers travaux venant des années 30 jusqu’aux années 70. Il en résulte une critique du regard « naturalisé » et « biologisé » que l’on pose sur la question du « sexe ». Les auteurs de ces années-là réfutent le fait qu’une femme soit un être défini par son essence dite féminine et notamment par sa capacité à la procréation (de Beauvoir, 1949 ; Oakley, 1972). La démarche dite « essentialiste » est donc ici largement remise en cause ; en effet, la « dénaturalisation » de la condition féminine va permettre d’affirmer que les inégalités et oppressions qu’elle subit ne sont en rien inscrites dans un ordre naturel immuable. L’action politique peut dès lors se mettre en place afin de corriger les inégalités dont les femmes sont victimes.

C’est à la lueur de ces réflexions que le terme « genre » est préféré à celui de « sexe ». Parler de genre c’est en fait évoquer le « sexe social » ou le « sexe construit » ; c’est aussi postuler que les rapports du masculin et du féminin sont des construits sociaux, que la femme n’est pas le résultat de sa nature mais qu’elle est le fruit d’une construction sociale complexe. Sexe et genre sont deux entités différentes , l’une émanant du biologique, l’autre de la sphère sociale (Butler, 1990 & 2006). Nous proposons ici une vision schématisée de ce diptyque

Caractéristiques des concepts de genre et de sexe.

SEXE

GENRE

Biologique, donnée physique

Construit social

Naturel

Culturel

Inné

Acquis

Essence

Conscience, psychologique

Universel

Contingent, contextualisé

Objectif

Subjectif

Indiscutable

Questionnable

Déterminé

Indéterminé

Immuable

Variable, changeant

Source : Virginie Martin (RFG, 2010)

4 – Des approches féministes diverses

En conséquence, nous exposons ici diverses conceptions du féminisme qui sont en jeu. Notamment l’une qui émane de la tradition libérale, l’autre d’une tradition plus radicale [1] . La première présuppose que l’individu maîtrise son itinéraire et peut l’influencer, elle considère que l’individu est acteur de son propre parcours ; la seconde approche plus radicale voit l’individu comme pouvant subir le poids des structures, structures qui jouent de façon prégnante dans sa construction. Elle préconise des changements profonds et majeurs dans les environnements politiques et sociaux et considère que l’Etat peut être un acteur essentiel dans la mise en place de ces changements.

De fait, l’approche libérale revient donc à se situer politiquement plutôt à droite : pour pallier les difficultés individuelles elle s’en remet plus volontiers aux choix des individus plutôt qu’à une intervention publique. Par conséquent, sur la dialectique homme / femme elle n’est pas favorable à une intervention forte de la puissance publique pour corriger certaines inégalités et discriminations. Partant, elle s’en remet à ce qui est existant et postule que les équilibres entre homme et femmes évolueront progressivement à la faveur des actions individuelles. Cette approche prône finalement une sorte de laisser faire qui laisse in fine hommes et femmes dans leur rôle traditionnel et qui les confine dans un sorte de déterminisme sexué selon que l’on nait homme ou femme. Cette valorisation du changement par les volontés individuelles conduit bien souvent à une stagnation des situations, ceci pour deux raisons majeures : d’une part il n’est pas certain que chacun des individus en présence ait une volonté farouche de réduire les inégalités entre homme et femmes, d’autre part, enfermés dans leur socialisation genrée, il n’est pas forcément aisé pout les uns comme pour les autres de sortir de leur rôle usuel et traditionnel. Cette tradition libérale qui compte, comme en économie, sur une main invisible pour réguler les situations, s’est largement installée dans la valorisation de ce que l’on nomme « l’égalité dans la différence ». Celle-ci implique que par nature et par culture hommes et femmes étant différents, ils doivent se « partager » le travail… Un partage finissant par être inégal, un partage qui sonne comme une hiérarchie et qui souvent valorise les stéréotypes au féminin : que ce soit dans le cadre de la famille ou de l’entreprise elle est souvent cantonnée à des rôles de médiation, de communication, d’assistance ou d’accompagnement. Dans le cas où elle accède aux plus hautes fonctions il lui est d’ailleurs souvent reproché sa « masculinisation ».

Autant dire que cette approche « d’égalité dans la différence » peut finalement être considérée comme un piège. En effet, cette conception de l’homme et de la femme est imprégnée d’une hiérarchie : soit elle renforce la domination masculine soit elle cherche a contrario à l’usurper en valorisant le « féminin ». Cette différence invoquée sans arrêt à propos des femmes – mais aussi des homosexuel-les, des minorités raciales – implique une stigmatisation de celui qui est « différent » et qui reste « l’autre » (Delphy, 2009).

Cette conception, largement privilégiée, a peu porté ses fruits et a des effets pervers en renforçant les stéréotypes de genre.

5 – Les discriminations en chiffres [2]

Nous allons fournir ici quelques chiffres prouvant combien la situation évolue peu pour les femmes et ce depuis des années. Une stagnation due pour partie à la conception « d’égalité dans la différence ».

Ces chiffres ne doivent être considérés que comme la partie visible de l’enjeu. En effet, ils ne sont qu’une conséquence d’une image complexe de la femme souvent dévalorisée ou survalorisée comme un idéal la privant d’une emprise sur le réel.

Quelques rappels chiffrés peuvent néanmoins faire prendre conscience de l’aspect figé de la réalité sociale, professionnelle, domestique des femmes.

La réalité professionnelle des femmes en France est marquée par la stagnation : en termes de rémunérations, elles gagnent en moyenne 27 % de moins que les hommes tous emplois confondus (chiffre qui s’élève à 40 % si on inclut les temps partiels) et « ce qui ressort surtout de ce panorama c’est la stabilité étonnante de l’écart de salaires, tant dans ses composantes structurelles que dans sa part inexpliquée … l’ensemble semble figé » [3] .

Parmi les 5,2 % d’employés à temps partiel dit subi, 80 % sont des femmes. Même si elles réussissent très bien dans leurs études, elles connaissent le phénomène du plafond de verre : au total, seules 8 % des femmes siègent dans les conseils d’administration d’entreprise et seulement 17 % des femmes sont chefs d’entreprise. Concernant le chômage, si l’écart se réduit entre le taux de chômage masculin (8,4%) et féminin (9,4 %), il ne doit pas faire illusion : cette « égalité » résulte pour une part du développement d’emplois de mauvaise qualité à temps très partiel. En matière de conditions d’emploi (salaires, statuts, responsabilités, temps partiel subi, etc.), les femmes demeurent très largement défavorisées sur le marché du travail.

Ces chiffres placent la France dans une position plutôt moyenne au regard des données européennes. Pour exemple le différentiel de taux de chômage entre hommes et femmes est en moyenne de 1,2 % en défaveur des femmes, en France il est de 1%. Ce chiffre permet à la France d’afficher un meilleur résultat que la Grèce (7,6%), l’Espagne (4,5%) ou l’Italie (3%), mais moins bon que la Hongrie et la Suède (0,6 %), ou encore le Royaume Uni ou l’Allemagne (respectivement 0,4 % et 0,1 % en faveur des femmes) [4] .

Les chiffres sur le temps partiel ou encore concernant le taux d’emploi situent la France dans la moyenne des pays de l’Europe des 27.

Les 8 % de femmes siégeant dans un conseil d’administration d’entreprise placent, quant à eux, la France loin derrière les pays scandinaves - par exemple en Suède il y a 42 % de femmes dans les CA – mais aussi derrière les Etats Unis (15 %), le Canada (13 %) ainsi que le Royaume Uni (11%).

Au-delà de ces éléments, les aspects domestiques et familiaux restent prégnants : l’arrivée d’un enfant continue de défavoriser les femmes en premier lieu. D’ailleurs, en France, avant transferts sociaux, 46 % des familles monoparentales (essentiellement des femmes avec enfants) disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté.

Par ailleurs, elles continuent de porter la charge de la sphère domestique, et prennent soin de la sphère privée dans tout son ensemble – enfants, personnes âgées, famille … – notamment en portant sur elles ce que l’on nomme le « care ».

A propos du « Care »

Le « care » est une notion anglo-saxonne qu’il reste difficile de traduire en français. Approximativement, le « care » touche à tout ce qui concerne le soin apporté à l’autre. Ce soin recouvre ce qui concerne l’éducation des enfants, les soins liées à la santé, mais aussi l’aide aux personnes en difficulté quelles soient âgées, invalides, et plus généralement dépendantes.

Les activités liées au « care » sont le plus souvent non rémunérées. Cette notion est aujourd’hui au cœur des problématiques féministes dans la mesure où ce sont les femmes qui sont le plus souvent celles qui apportent le soin et que l’on nomme des « care workers » ou « female carer ». Le fait que la femme soit pourvoyeuse de soins n’est pas sans conséquence sur la moindre présence des femmes dans l’emploi ; celle-ci se traduit notamment par des interruptions dans la carrière ou par la prédominance des temps partiels (Meda, 2008). Le « care » est aujourd’hui un véritable enjeu tant pour l’organisation générale de l’économie que pour les femmes en particulier : les Nations Unies se sont d’ailleurs saisies largement du dossier notamment dans les rapports produits par le « United Nations Research Institute for Social Development (UNRISD, 2008).

Les chiffres sur les violences à l’encontre des femmes sont quant à eux complexes. A côté de données qui sonnent comme des slogans (1 femme meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint, 1 femme est violée toutes les deux heures…), les données officielles (INSEE, Ministère) sont largement sous-estimées. En effet, tous les viols ne sont pas suivis de plainte et les autres types de violences sont rentrés dans un cadre ordinaire n’étant que très rarement suivis de plaintes : injures, comportements déplacés, attouchements, baisers…

Des pays comme le Canada et plus particulièrement le Québec ont travaillé de façon très pointue sur ces questions. Dès les années 80 des campagnes télévisées sont diffusées afin de sensibiliser le public à cette violence. En 1993, un comité interministériel de coordination en matière de violence conjugale et familiale. Ce comité composé de personnes représentant les ministères de la Justice, de l’Éducation, de la Santé et des Services sociaux, de la Sécurité publique ainsi que les secrétariats à la Condition féminine et à la Famille, fournit des textes précis concernant la prévention, le coût de ces violences, les soins pouvant être apportés… Au Québec cette question est un « enjeu citoyen ». En France bien que cette question ait été déclarée grande cause nationale pour 2010, le gros du travail continue d’être fait par les associations et le thème n’est toujours pas vu comme étant un véritable enjeu politique. Néanmoins quelques mesures fonctionnelles sont prises telles que la mise à disposition de téléphone d’urgence aux femmes identifiées comme victimes [5] .

Dans le cadre de l’entreprise, des violences liées au harcèlement moral et sexuel restent difficiles à répertorier même si certains auteurs [6] leur ont aujourd’hui donné une réalité.

Tout cela est renforcé par l’image de la femme dans les médias : instrumentalisation du corps de la femme, hypersexualisation, et surtout renforcement des stéréotypes de genre.

La seule exception – partielle – reste le domaine politique qui a particulièrement bougé grâce à la loi sur la parité du 6 juin 2000 et les diverses consolidations qui ont suivi. Même si ces dernières ne sont pas parfaitement respectées, elles restent marquées par un fort esprit volontariste et une vigoureuse implication du gouvernement Jospin. D’ailleurs il y a des résultats timides mais réels : en 1981, un peu plus de 5% de femmes à l’Assemblée nationale, 10,9 % en 1997 ; 18,5% en 2007. Au fil des années, le pourcentage de députées européennes a augmenté régulièrement alors que seulement 16,3% des députés étaient des femmes en 1979, ce pourcentage est passé à 26,1% en 1994, 30,3% en 2004 et 31,4% en octobre 2008. Ici encore les mesures ont été vives et le Parlement européen a appelé en septembre 2008 à mettre en place des quotas lors des élections, soulignant les « effets positifs de l’utilisation de quotas électoraux sur la représentation des femmes ». Les partis politiques en Suède sont convenus de façon informelle d’adopter des quotas selon le système « fermeture éclair » (un homme, une femme en alternance sur toutes les listes). Ce système est très populaire en Suède et a permis d’atteindre une quasi parité en termes de représentation.

Pour avoir un impact réel sur la question de l’égalité homme-femme, on voit bien qu’il y a une nécessité à s’en saisir avec vigueur ; une intervention forte de l’Etat semble rester un des seuls moyens efficaces pour sortir d’un état des lieux qui est immuable – ou en tous cas très lent dans son évolution. Autrement dit, seule une volonté politique forte et radicale permet de rompre l’ordre actuel des choses. C’est aux progressistes de montrer le chemin.

6 – Gauche, féminisme et changement

Au-delà d’un volontarisme fort, il s’agit bien d’orienter les décisions politiques de façon à briser le cercle vicieux de l’égalité dans la différence et de l’approche féministe libérale, qui ne font que légitimer un traitement inégalitaire et stéréotypé. On devra au contraire s’inspirer d’une théorie féministe dite radicale. Celle-ci permet de concevoir une nouvelle distribution des rôles et des rapports entre genres, et de proposer des solutions nouvelles. Outre la différence entre sexe et genre qu’elle pose, la théorie féministe radicale considère cette deuxième notion comme créant elle aussi une hiérarchie et une dichotomie.

En effet, du point de vue de la théorie radicale, le genre est redéfini. Il est considéré dès lors comme un rapport social, le principe de partition divisant l’humanité en deux groupes non égaux : « le ‘genre’ est le système de division hiérarchique de l’humanité en deux moitiés inégales. » (Delphy, 2009). La conception radicale du féminisme considère le sexe comme une classe sociale dominée. Cette conception s’éloigne donc de la vision libérale dominante et, nous l’avons vu, pernicieuse.

Pour sortir de cette dichotomie, intrinsèque à la notion de sexe, mais aussi bien présente dans la notion de genre, il faut alors que le politique pallie vigoureusement cet état de fait. On ne saura alors que préconiser l’intervention publique et étatique forte.

Une approche volontariste est d’autant plus légitime que la France est en retard sur ces questions et se fait tancer régulièrement par l’Union Européenne. Le champ est donc large à qui veut avancer sur ce dossier.

7 – Pistes et propositions

1 – Un premier travail doit être fait : considérer tout d’abord que la question des femmes relève d’une discrimination. Un tel préalable est nécessaire, faute de quoi la société estimera toujours que la libération des femmes passe par le biais de l’espace privé – études, réussite personnelle, famille, environnement social plus ou moins favorable, mariage…- et ne relève pas d’une responsabilité politique et publique.

2 – Par la suite, nous proposons de travailler sur les représentations que l’on se fait de la dialectique homme / femme. Pour ce faire, il sera nécessaire de se saisir de tous les espaces dans lequel se forge la socialisation des individus, en priorité l’école et les médias. Par exemple, l’éducation civique devrait consacrer un temps à la question des femmes -dans ses aspects locaux mais aussi internationaux – au moins comparable à celui accordé aux discriminations liées à l’origine ou à la couleur de peau. En parallèle, une vigilance toute particulière devrait être accordée au contenu des manuels scolaires qui fournissent leur lot de stéréotypes. L’autre versant important reste celui des médias ; là encore ils sont les premiers pourvoyeurs de stéréotypes homme / femme tant dans les clips musicaux, que dans la publicité, la presse féminine et plus généralement à la télévision. Depuis quelques années la Suède réfléchit à la manière de règlementer l’hyper-sexualisation des femmes dans les médias, et depuis 1999 l’achat de sexe – la prostitution – est condamné par la loi.

C’est en travaillant sur la construction des représentations que l’on se fait de nos environnements que les comportements tendront à progressivement se modifier, par la base. Cette démarche relève d’une posture de déconstruction et de mise à plat des processus de construction des stéréotypes.

3 – Il paraît aussi important de ré-envisager le binôme maternité / paternité. En effet, en ne dissociant jamais l’enfant de la mère, et la femme de la maternité, on enferme celle-ci dans un rôle traditionnel et dans le même temps on exclut le père de ses responsabilités. Dans le cas de divorce ou de séparation, l’enfant se retrouve de façon quasi systématique à la charge de la mère ce qui favorise la précarité au féminin – voir plus haut – et maintient toujours le « care » du côté des femmes.

4 – Nous avons vu précédemment l’impact positif de mesures directives et volontaristes. Cet état des lieux nous amène à préconiser l’utilisation d’une politique de quotas – notamment en entreprise – en faveur des femmes. Ceci favorisera la construction d’une nouvelle image de celles-ci dans la société et permettra une meilleure accession aux responsabilités. Nous pouvons regarder sur ce point l’exemple de la Norvège qui impose un minimum de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés anonymes publiques [7] (depuis 2004) et des sociétés cotées en Bourse (depuis 2006).

5 – L’organisation mondiale de la société et de la production fonctionne sur un modèle de « free rider » ou « passager clandestin » : les hommes peuvent pleinement se consacrer à leur travail et à leur place dans l’espace public parce que les femmes assurent le suivi des tâches domestiques et prennent soin des enfants et autres dépendants (Folbre, 2001). Ce modèle généralisé de par le monde se doit d’évoluer car non seulement il perpétue des inégalités, mais surtout il n’est pas viable à long terme. En effet, de plus en plus de femmes sont amenées à quitter leur rôle de « care worker » pour aller rejoindre l’entreprise. L’équilibre – certes inéquitable – qui était de mise jusqu’à maintenant tend à être fragilisé. Il est donc temps de repeser le dialogue homme / femme afin de prévoir un autre modèle permettant une organisation sociale et économique pérenne et durable.

Nous voyons ici clairement que la « question des femmes » dépasse largement ses propres cadres. Elle interroge des domaines sociaux, politiques, économiques, géopolitiques et ne peut donc pas être limitée à des images médiatiques, ni à quelques statistiques. Elle doit être pensée dans toute sa complexité.

Les formations progressistes doivent remettre la question du genre au cœur de leurs débats afin d’en refaire un enjeu. C’est à eux de s’en ressaisir et de dicter l’agenda et d’être de nouveau visible sur ces questions. Et de penser un nouvel avenir collectif.

  1. Ces termes sont pris dans leur tradition anglo-saxonne mais peuvent néanmoins correspondre à un clivage droite / gauche

  2. La plupart des sources et chiffres sont tirées des données de l’Observatoire des Inégalités

  3. Observatoire des Inégalités

  4. Eurostat 2008

  5. Depuis 2009

  6. Notamment M.F. Hirigoyen

  7. Qui peuvent être considérées comme l’équivalent de nos entreprises nationalisées

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