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Note

En finir durablement avec la surpopulation carcérale

En 2020, à l’occasion de la crise sanitaire, les pouvoirs publics ont mis en œuvre plusieurs mesures visant à réduire fortement le taux d’occupation des prisons françaises. Ces dispositifs (réductions de peine exceptionnelles, développement des aménagements de peine, promotion des alternatives à l’incarcération…), considérés comme une opportunité historique de mettre fin à la surpopulation carcérale, ont permis une forte déflation du nombre de personnes détenues.
En mars 2023, avec plus de 72 000 personnes détenues hébergées et un taux d’occupation de 118,7%, la surpopulation carcérale prend une ampleur toujours plus inquiétante. Face au caractère très éphémère des effets des mesures d’urgence prises lors de la crise sanitaire, il convient de s’interroger sur les vecteurs d’une prévention durable de la surpopulation.

Publié le 

Introduction

Réuni du 6 au 8 décembre 2022, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe s’est prononcé sur la situation des prisons françaises. Il a fait part de sa préoccupation à l’égard de l’aggravation du phénomène de la surpopulation carcérale, et a appelé à la promotion des alternatives à l’incarcération, ainsi qu’à l’instauration de mesures contraignantes pour instaurer une régulation carcérale.

Ce constat est formulé par les différents organismes de contrôle : le comité de prévention de la torture consacre ainsi un chapitre de son rapport annuel au titre de l’année 2021 à la question de la surpopulation carcérale. Il souligne que ce fléau touche de nombreux pays européens, notamment dans les établissements accueillant les personnes prévenues, et déplore que les mesures prises à l’occasion de la pandémie de la Covid 19 n’aient eu qu’un effet éphémère. Il insiste en outre sur les effets de la surpopulation sur le bien-être, la santé et les conditions de détention de la population pénale[1].

De même, dans le cadre de la présentation de son rapport d’activité de l’année 2022, le 11 mai 2023, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté abonde dans ce sens : rappelant les injonctions du Conseil de l’Europe, elle dénonce l’ampleur du phénomène de la surpopulation carcérale et exprime son « sentiment d’un abandon de l’Etat » qui ne manquera pas, selon elle, de conduire à de nouvelles condamnations européennes[2].

Face au nombre record de personnes détenues se pose en effet la question de la résorption de la surpopulation carcérale. Au 1er mars 2023, on comptait 72 351 personnes incarcérées, pour une capacité opérationnelle de 60 949 places, soit un taux d’occupation de 118,7%[3].

Ce chiffre masque en réalité de grandes différences selon les établissements : l’administration pénitentiaire étant seule décisionnaire des affectations en établissements pour peine, ces derniers sont moins touchés par la surpopulation carcérale. Ce sont les maisons d’arrêt[4], hébergeant les personnes détenues en détention provisoire ou condamnées à de courtes peines, qui subissent l’inflation carcérale, avec un taux d’occupation moyen supérieur à 140%. Certains établissements importants, tels que les centres pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan ou de Perpignan, affichent même un taux d’occupation supérieur à 200%.

Or, la surpopulation est source de détérioration des conditions de détention des personnes détenues comme des conditions de travail des personnels.

La surpopulation empêche de facto l’encellulement individuel et conduit à un phénomène de promiscuité dans les cellules. L’ajout de lits supplémentaires n’est pas toujours possible. Ainsi, au 1er avril 2023, 2151 personnes détenues dormaient sur des matelas au sol[5].

Le lien entre surpopulation et détérioration des conditions de détention est d’ailleurs reconnu par le juge européen des droits de l’Homme, qui assume dans sa jurisprudence que le surencombrement des prisons constitue un facteur dans les traitements inhumains et dégradants qu’une personne détenue est susceptible de subir. La CEDH le confirme dans plusieurs arrêts, tels que les décisions Torreggiani c. Italie le 8 janvier 2013 et Varga c. Hongrie le 10 mars 2015. La France est également visée : la CEDH la condamne au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, en retenant que la surpopulation est un traitement inhumain et dégradant, dans l’arrêt Canali c/France en 2013[6]. En 2020, dans l’arrêt JMB c/France[7] la Cour européenne des droits de l’Homme invoque de nouveau le surencombrement des prisons pour condamner la France. Le juge français en tire partiellement les conclusions : le 8 juillet 2020, la Cour de Cassation enjoint les pouvoirs publics français à permettre aux personnes prévenues de formuler un recours pour condition indigne de détention auprès du juge judiciaire. Ce droit est finalement reconnu pour toute personne détenue, condamnée ou prévenue, par la loi du 8 avril 2021.

La surpopulation se révèle en outre facteur de violences[8] : la promiscuité attise le mal-être de la population pénale, et les conflits entre personnes détenues qui partagent l’espace exigu de la cellule. Les maisons d’arrêt les plus surpeuplées sont souvent celles les plus touchées par les agressions physiques perpétrées par la population carcérale. Face à l’ampleur de ce phénomène, l’administration pénitentiaire a décliné à compter du premier semestre 2023 un plan national de lutte contre les violences en détention.

Au-delà de l’essentielle question de la dignité des personnes détenues, le phénomène de la surpopulation pose la problématique de la réinsertion des personnes placées sous main de justice, après leur détention. En effet, les schémas d’emplois des différents intervenants de la détention sont conçus en fonction de la capacité théorique des établissements, et non du nombre réel de personnes détenues hébergées. La surpopulation entraine donc une baisse du taux d’encadrement des personnes détenues, et explique leur accès limité aux activités en détention, et une réduction du temps alloué à chacune d’entre elle pour la préparation à la sortie.

Premières victimes de la surpopulation carcérale, les personnes détenues n’en sont pas les seules. Le surencombrement des établissements pénitentiaires occasionne une dégradation des conditions de travail des personnels. Ce phénomène conduit à une augmentation du nombre d’arrêts maladie ou du taux d’absentéisme, notamment dans les établissements les plus surpeuplés. Or, cette baisse des effectifs disponibles rend d’autant plus difficile le travail des personnels en exercice, engendrant ainsi un cercle vicieux.

Plusieurs rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté font ainsi état du double impact de la surpopulation carcérale sur la dégradation des conditions de détention des personnes placées sous main de justice et des conditions de travail des personnels pénitentiaires, ces deux phénomènes s’alimentant mutuellement[9].

La surpopulation carcérale n’est pourtant pas une fatalité. En 2020, la crise sanitaire et ses conséquences potentielles en détention avaient conduit le gouvernement à adopter une politique volontariste de déflation carcérale. Au-delà de la baisse de la délinquance induite par le confinement et du ralentissement de l’activité judiciaire, ce sont les réductions de peine exceptionnelles octroyées et le développement des aménagements de peine qui ont permis une baisse rapide et drastique du nombre de personnes détenues.

Ainsi, la population pénale était passée de 70 651 personnes détenues hébergées au 1er janvier 2020 à 58 621 au 1er juillet 2021, soit une baisse de 12 000 personnes en six mois[10]. Grâce à cette évolution historique, le taux d’occupation total était repassé sous la barre des 100%.[11]

Cette dynamique encourageante n’a toutefois pas perduré. Se pose ainsi, bien plus que la question de la faisabilité de la fin de la surpopulation, celle de sa pérennité.

Face à la persistance de la problématique de la surpopulation carcérale, il convient de s’interroger quant à la mise en place d’outils pérennes pour prévenir la sur-occupation des établissements.

La présente note démontrera que la surpopulation découle notamment d’un nombre excessif de personnes détenues (I) ; elle rappellera ensuite les mesures mises en œuvre pour freiner ce phénomène, et en soulignera les limites (II) ; enfin, elle proposera des mesures visant à lutter durablement et efficacement contre le surencombrement des prisons (III).

1. Un nombre excessif de personnes incarcérées.

La France présente actuellement une population pénale record, avec près de 73 000 personnes détenues incarcérées.

1.1. Une évolution carcérale due à la croissance démographique française ?

Une première explication de l’augmentation du nombre de personnes détenues pourrait être la croissance démographique de la population française qui, mécaniquement, entrainerait une progression du nombre de personnes incarcérées.

L’évolution croissante du taux d’incarcération, qui rapporte le nombre de personnes en détention au nombre d’habitants global, démontre que ce facteur n’est pas explicatif à lui seul.

Une analyse synchronique des systèmes pénitentiaires européens invite à constater que la France incarcère davantage que ses voisins européens. Si le développement de la crise sanitaire à l’hiver de l’année 2020 ne permet pas d’obtenir des données représentatives au cours des trois dernières années, les chiffres disponibles pour la décennie 2010–2020 démontrent que le taux d’incarcération est plus important en France, et observe de surcroit une tendance haussière.

Taux d’incarcération au sein des pays européens, sur la décennie 2010–2020 [12]

Pays

Nombre de personnes détenues (pour 100 000 habitants) en 2010

Nombre de personnes détenues (pour 100 000 habitants) en 2020

Evolution sur la décennie 2010–2020 en pourcentage

France

103.5

105.3

1,7%

Allemagne

87,6

76,2

–12,9%

Italie

115,5

101,2

–12,4%

Espagne

163,2

123,3

–24,4%

Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles)

153,3

138,0

–9,9%

Pays Bas

70,8

58,5

–17,4%

Danemark

71,3

71,1

–0,2%

Le taux d’incarcération français est légèrement supérieur au taux médian des pays membres du Conseil de l’Europe (105,3 personnes détenues pour 100 000 habitants, contre un taux médian de 103,2 pour 100 000 habitants).

S’il est inférieur au taux moyen (124,0 pour 100 000 habitants), celui-ci ne saurait être considéré comme une donnée significative, car il se trouve artificiellement gonflé par les taux atypiques de deux pays autoritaires : la Russie (356,1 pour 100 000) et la Turquie (357,2 pour 100 000).

Le taux d’incarcération français est plus élevé que pour bon nombre de ses voisins. Il est d’environ 50% supérieur à plusieurs pays d’Europe du Nord, tels que les Pays Bas ou le Danemark. Si ces pays disposent de dispositifs de prévention sociale importants, pouvant expliquer l’ampleur de cet écart, on peut également comparer le taux français à celui de ses proches voisins, à l’organisation judiciaire comparable. On note ainsi qu’il est supérieur aux taux italien et surtout allemand.

Surtout, la France est l’un des seuls pays du Conseil de l’Europe à présenter une tendance haussière. En effet, si quelques pays frontaliers présentent un taux d’incarcération supérieur à la France, leur tendance est largement déflationniste : en Espagne, le taux d’incarcération a diminué d’un quart en 10 ans, et de 10% au Royaume Uni.

La progression du taux d’incarcération français démontre ainsi que l’augmentation du nombre de personnes détenues ne découle pas uniquement de l’évolution démographique globale de la France.

1.2. Une inflation carcérale due à une progression de la délinquance ?

Face à une augmentation du nombre de personnes détenues, indépendante de l’évolution démographique globale, il semble tentant d’invoquer une progression de la délinquance qui justifierait une répression pénale accrue.

Or, les chiffres de la délinquance semblent au contraire attester d’une remarquable stabilité des faits infractionnels au cours des dernières années et décennies, voire d’une tendance baissière pour certains types d’infractions, notamment les plus graves.

Ainsi, l’Observatoire scientifique du crime et de la Justice (OSCJ) souligne une baisse continue du nombre d’homicides commis au cours des dernières décennies, avec un taux n’excédant pas, selon les sources, entre 0,4 et 1,3 homicides pour 100 000 habitants[13].

Plusieurs infractions, telles que les agressions physiques ou les vols et cambriolages, font en revanche l’objet d’une comptabilisation croissante par les services de police et de gendarmerie. Toutefois, la hausse des faits répertoriés par les forces de l’ordre ne saurait être considérée comme nécessairement révélatrice d’une hausse de la délinquance : elle traduit avant tout une propension plus forte des victimes à déposer plainte, et le recours à de meilleurs outils de comptabilisation par les administrations de sécurité.

En effet, les enquêtes de victimation, qui s’appuient sur les déclarations des victimes d’infractions, attestent de la baisse de la commission des faits les plus graves. La principale d’entre elles, l’enquête Cadre de vie et Sécurité (CVS), menée annuellement, entre 2007 et 2021, par l’INSEE, invite à constater que le niveau de la délinquance est stable ou en déclin, et ce tout au long des dernières années. Ainsi, on estime le nombre de victimes de violences physiques hors ménage à 672 000 en 2018, contre 716 000 en 2006 ; le nombre de victimes de vols avec violence de 166 000 en 2018, contre 361 000 en 2006[14].

Le nombre de personnes détenues ne semble donc ni corrélée à l’évolution démographique française, ni à celle de la délinquance.

1.3. Une sévérité pénale accrue

L’augmentation du nombre de personnes détenues découle résolument d’une sévérité accrue de la politique pénale française : toujours plus répressive, celle-ci est la source de l’inflation carcérale et, par conséquent, de la surpopulation.

Plusieurs évolutions pénales paraissent contribuer au gonflement de la population pénale :

  • Un fort recours à la détention provisoire, pour les personnes mises en cause dans l’attente d’un jugement. Le pourcentage de personnes détenues en détention provisoire avait pourtant baissé depuis le milieu des années 1980, passant ainsi de 52%, soit plus de la moitié de la population carcérale en 1984, à 30% en 2001, puis  23% en 2010[15]. Cette tendance s’est toutefois inversée depuis plusieurs années. L’autorité judiciaire, désireuse de prévenir tout passage à l’acte, et dans un contexte d’aversion croissante au risque, privilégie la détention provisoire à d’autres formes de contrainte pénale, telles que le contrôle judiciaire. La part de personnes détenues en attente de jugement est ainsi repartie à la hausse, et constitue 28,5% de la population carcérale, contre une médiane européenne de 23,7%[16] ;
  • Un recours toujours plus important à la comparution immédiate comme modalité de jugement. La loi Perben II de 2002, qui a élargi le champ d’application de cette procédure, explique notamment ce plus large recours. Désormais, on compte près de 60 000 comparutions immédiates par an, pour moins de 140 000 convocations par OPJ[17]. La comparution immédiate constitue désormais 18% des jugements pénaux, contre 12% en 2012[18]. Or, la célérité de cette procédure ne permet pas à l’autorité judiciaire d’apprécier l’environnement familial et social de la personne mise en cause, et de s’interroger sur l’opportunité d’une alternative à l’incarcération. La comparution immédiate est donc, logiquement, particulièrement pourvoyeuse en mandats de dépôt.
  • La pénalisation accrue de certains types d’infractions. Au cours des vingt dernières années, certaines infractions contraventionnelles sont devenues délictuelles, faisant encourir à leurs auteurs une peine d’emprisonnement. A cet égard, le cas de la délinquance routière est particulièrement éclairant : la loi dite Perben II du 09 mars 2004 fait ainsi du défaut de permis de conduire un délit passible d’un an d’emprisonnement alors qu’il s’agissait préalablement d’une simple contravention[19] ;
  • Un allongement progressif de la durée moyenne sous écrou, qui découle d’un allongement des peines prononcées. Ainsi, en 2019, année dont les chiffres ne sont pas biaisés pas la crise sanitaire, la durée moyenne sous écrou était de 9,7 mois, contre 8,1 mois en 1999[20] ;
  • Une pénalisation accrue des infractions commises par les personnes détenues en proie à des troubles psychiatriques. On observe ainsi, au cours des dernière décennies, une forte baisse du taux d’irresponsabilité pénale. Ce mouvement découle de plusieurs facteurs : une pression de l’opinion publique invitant à une sévérité accrue malgré la maladie psychiatrique des auteurs, une réduction du champ d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental aux troubles psychotiques[21], mais aussi une volonté de l’autorité judiciaire d’accompagner au mieux les problématiques sanitaires de la personne mise en cause. En effet, au regard de la baisse du nombre de lits en psychiatrie, le développement de la prise en charge du trouble mental en détention, avec la création des SMPR (soins médico-psychiatriques régionaux) en 1986, puis des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagée) en 2010, a pu constituer une invitation paradoxale à l’incarcération des auteurs d’infractions rencontrant des problématiques psychiatriques.

L’augmentation du nombre de personnes détenues, et par conséquent le phénomène de la surpopulation carcérale, est ainsi à titre principal la conséquence d’une réponse pénale française de plus en plus répressive. Sous l’impulsion des différents gouvernements, le législateur a construit un arsenal judiciaire d’une sévérité accrue, dont l’action juridictionnelle n’a pas su limiter les conséquences carcérales.

Cette sévérité pénale accrue a d’ailleurs conduit à une augmentation du nombre global de personnes placées sous-main de justice, y compris en milieu ouvert. On en comptait en effet un peu plus de 71 000 en 1980, contre plus de 175 000 aujourd’hui[22]. Si notre propos ne porte pas sur l’évolution de la peine de probation, il convient toutefois de constater que les courbes du milieu fermé et du milieu ouvert observent un mouvement similaire, et que l’augmentation du nombre d’un des deux types de suivi n’a pas entraîné une baisse de l’autre.

2. Une action sans efficacité pérenne sur la résorption de la surpopulation

Face aux conséquences néfastes du phénomène de la surpopulation carcérale, deux instruments sont utilisés par les pouvoirs publics : d’une part, l’augmentation du nombre de places de détention ; d’autre part, la baisse du nombre de personnes détenues.

2.1. L’augmentation du nombre de places en détention

Depuis le milieu des années 1980, au regard de l’écart important entre le nombre de places disponibles et le nombre de personnes détenues, le pouvoir exécutif, de gauche comme de droite, met en œuvre des programmes immobiliers ambitieux.

Les différents plans de construction conçus, qui portent parfois le nom du garde des Sceaux qui les a portés, prévoient la construction de nouveaux établissements, mais également la fermeture de certaines prisons, considérées comme trop vétustes. Ils tentent ainsi de répondre à un double objectif : l’amélioration des conditions de détention des personnes placées sous main de justice et la résorption de la surpopulation.

Le Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, remis en avril 2017, rappelle ces deux ambitions que doit porter un programme immobilier pénitentiaire. Ses préconisations inspirent d’ailleurs le plan 15 000 places lancé par le président Macron. Il suggère notamment d’adapter les structures pénitentiaires aux publics vulnérables, de développer les espaces collectifs au sein des établissements, et de donner la priorité à la construction de quartiers de préparation à la sortie (actuellement qualifiés de « SAS » : structures d’accompagnement vers la sortie)[23].

Programmes immobiliers pénitentiaires

1987 : Plan Chalandon, qui prévoit la construction de 15000 places de prison (en 1988, il est amendé par le plan Arpaillange, qui n’ambitionne plus que la construction de 13 000 places).

1994 : Plan Méhaignerie de 4000 places.

2002 : loi d’orientation et de programmation pour la Justice, qui prévoit 13 200 nouvelles places.

2018 : lancement du programme « 15 000 places » par le président Macron, dont la déclinaison doit s’étendre sur deux quinquennats.

Le premier objectif est en grande partie rempli : en permettant la fermeture des établissements les plus délabrés (prison Saint Michel à Toulouse, en deux temps, en 2003 et 2009 ; prisons Saint Paul et Saint Joseph à Lyon en 2009), les programmes pénitentiaires ont permis aux personnes détenues d’investir des établissements modernes, leur octroyant des conditions de détention plus favorables. Dans les établissements construits au début des années 2000, les cellules sont plus spacieuses, et adaptées à l’ensemble de la population pénale ; des cellules pour personnes à mobilité réduite (PMR) sont ainsi créées. Des infrastructures collectives, sportives notamment, sont aménagées.

Ces politiques de grands travaux ne sont toutefois pas parvenues à freiner durablement le phénomène de la surpopulation, comme en atteste le taux d’occupation actuel.

De fait, la surpopulation découlant principalement d’un accroissement de la sévérité de la réponse pénale aux infractions, elle ne saurait être résorbée par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Cette politique, au mieux, ne peut que limiter les effets de la surpopulation ; au pire, elle est de nature à l’encourager et à la légitimer.

2.2. Les mesures visant à diminuer le nombre de personnes détenues

Conscient de l’impact de l’inflation carcérale sur la dégradation des conditions de détention, le législateur promeut des mesures visant à limiter les effectifs des établissements pénitentiaires.

Les récentes dispositions visant à diminuer le nombre de personnes détenues font essentiellement appel à trois leviers : favoriser les alternatives à l’incarcération, développer les aménagements de peine des personnes déjà incarcérées et réduire la durée passée en détention.

Le législateur entend permettre d’éviter davantage l’incarcération avec la loi du 23 mars 2019, de programmation 2018–2022 et de réforme pour la justice (loi LPJ).

Les nouvelles dispositions instituent une peine autonome, la DDSE (détention à domicile sous surveillance électronique), qui peut être prononcée ab initio, au stade du jugement.

La LPJ instaure en outre le sursis probatoire, fusion du sursis avec mise à l’épreuve, du travail d’intérêt général et de la contrainte pénale, qui avait été créée par la loi Taubira du 15 août 2014.

Enfin, elle supprime les peines inférieures à un mois.

La loi a toutefois des effets ambivalents. Elle revient ainsi sur la possibilité d’aménager ab initio les peines de plus d’un an : la loi du 24 novembre 2009 le permettait pourtant pour les peines de moins de deux ans.

Les pouvoirs publics ont également tenté de juguler l’inflation carcérale par la promotion des aménagements de peine, pour les personnes détenues pour lesquelles une alternative ab initio à l’incarcération est impossible.

La loi Taubira du 15 août 2014 permet une nouvelle modalité d’aménagement : la libération sous contrainte (LSC). Aux deux tiers de sa peine, la situation d’une personne détenue est automatiquement étudiée en commission de l’application des peines, sans nécessité de la présentation d’un projet de sortie.

La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 entend renforcer les effets de ces dispositions, en instituant la LSC dite « automatique » : la libération contrainte est désormais de droit, lorsqu’une personne détenue a été condamnée à une peine inférieure à deux ans, et que son reliquat n’excède pas trois mois d’emprisonnement.

Si l’impact de cette dernière disposition ne saurait être déjà évaluée, les bénéfices de la LSC apparaissent d’ores et déjà limités : étudiée en commission d’application des peines, sans la présence de la personne détenue, elle ne permet pas à cette dernière de convaincre l’autorité judiciaire de sa volonté de réinsertion. Par ailleurs, la faiblesse du reliquat de peine ne permet pas toujours la mise en œuvre de la libération sous contrainte, qui nécessite la mobilisation de relais institutionnels en milieu ouvert, et qui ne saurait revêtir un sens pour quelques semaines.

Enfin, le législateur a tenté par plusieurs dispositifs, au cours des vingt dernières années, de réduire la durée de la peine effectuée par la personne détenue.

En 2004, la loi Perben II instaure les crédits de réduction de peine automatiques (CRP) : ces crédits sont amputés de la peine à effectuer par la personne détenue dès sa mise sous écrou. Ils sont de trois mois par an pour la première année, puis de deux mois par an. Ils ne sont annulés qu’en cas de faute disciplinaire, sur décision du juge de l’application des peines. Les réductions de peine supplémentaires (RPS), quant à elles, ne sont pas octroyées d’office : elles ne sont délivrées en commission d’application des peines qu’après preuve faite par la personne détenue de son investissement en détention, à hauteur de trois mois par an au maximum.

La loi du 22 décembre 2021, précédemment évoquée, met fin à ce système dual, et propose un système de réduction de peine unique, qui s’appuie sur le comportement comme sur l’investissement de la personne détenue. L’autorité judiciaire pourra désormais octroyer jusqu’à six mois de réductions de peine par an.

De prime abord, la réforme semble favoriser la réduction de la durée de la peine : si la loi Perben prévoyait une réduction totale de cinq mois (deux mois de CRP et trois mois de RPS) par an, la personne détenue peut désormais espérer le retrait d’un mois de plus.

Toutefois, les effets de cette réforme apparaissent ambivalents : à l’automaticité des CRP au titre du comportement, succède une appréciation globale, a posteriori, au titre du comportement et de l’investissement personnel. Ainsi, il est loin d’être acquis que la personne détenue bénéficie d’une générosité de l’autorité judiciaire à la hauteur de l’automaticité instaurée par les dispositions Perben. A cet égard, l’étude d’impact de la loi n’est pas dupe : tandis qu’en 2019, 45% des RPS octroyables ont été délivrées à la population pénale, elle estime qu’il faudra que le taux d’octroi des réductions de peine soit désormais supérieur à 68% pour permettre une baisse du nombre de personnes détenues[24].

Ces dispositions législatives récentes, si elles témoignent d’un désir sincère du pouvoir exécutif et du législateur de lutter contre l’inflation carcérale, ne sauraient donc être considérées comme un remède assuré contre la surpopulation carcérale.

3. Mettre en œuvre des mesures efficaces pour réduire le nombre de personnes hébergées en détention

Afin de lutter avec efficacité et de manière pérenne contre la surpopulation carcérale, nous formulons sept propositions, qui interrogent l’efficacité des programmes immobiliers et invitent à privilégier la baisse du nombre de personnes détenues.

Nous préconisons en outre la mise en œuvre d’un mécanisme de régulation carcéral contraignant, sous la forme d’un numerus clausus pour chaque établissement pénitentiaire.

Enfin, pour accompagner cette déflation carcérale, nous suggérons une réallocation des moyens budgétaires de l’administration pénitentiaire au bénéfice du milieu ouvert.

Proposition 1 : Evaluer l’impact des créations de places de prison sur l’inflation carcérale.

Si la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, corollaire de la fermeture des plus vétustes, permet une nette amélioration des conditions de détention de la population pénale, il a été rappelé précédemment qu’elle n’empêchait pas la surpopulation carcérale.

Il est permis de formuler une interrogation, au-delà de ce constat : les programmes immobiliers, qui ne résolvent pas la problématique de la surpopulation, l’aggraveraient-ils ? Les nouveaux établissements ne constitueraient-ils pas autant « d’appels d’air » pour les magistrats, qui incarcéreraient davantage ?

Tel est le discours de plusieurs associations, mais aussi du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Les rares études invitent à relativiser cette hypothèse, et à noter que les nouvelles prisons ne constituent pas une incitation à l’incarcération[25].

La littérature scientifique demeure toutefois peu étoffée à ce sujet. La question de l’impact réel de la construction de nouveaux établissements sur la politique pénale des juridictions voisines est pourtant cruciale, pour déterminer le rôle des programmes immobiliers dans la prévention de la surpopulation carcérale.

Ainsi, il semble nécessaire de réaliser une évaluation rigoureuse de cette politique publique coûteuse et ambitieuse qu’est le plan 15 000 en cours, au milieu de son exécution. Au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, le laboratoire de recherche et d’innovation et le bureau de la donnée, entités de la nouvelle sous-direction de l’expertise, créée en 2019, pourraient lancer un appel à projet de recherche sur ce sujet, en lien avec des universitaires partenaires.

Proposition 2 : Réviser le régime de la détention provisoire

Les prisons françaises accueillent un nombre trop important de personnes en attente d’un jugement. Constituant 28,5% de la population pénale, une partie des personnes prévenues pourraient faire l’objet d’un contrôle de l’autorité judiciaire, en dehors des établissements pénitentiaires.

Le législateur a conçu des mesures alternatives à la détention pour les personnes mises en cause devant faire l’objet d’un jugement. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit la possibilité pour le magistrat de prononcer une assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE). Plus contraignante qu’un simple contrôle judiciaire, cette mesure constitue un équilibre intéressant entre surveillance de la personne mise en cause et régulation carcérale. L’ARSE demeure toutefois un dispositif sous-utilisé : on compte en effet moins de 500 mesures de ce type actuellement mises en œuvre[26].

La promotion des alternatives à l’incarcération au stade pré-sentenciel ne peut donc être suivie d’effets que si le recours à la détention provisoire lui-même fait l’objet d’un encadrement plus strict. Plusieurs axes de limitation peuvent être empruntés.

Le seuil de la peine encourue pour le prononcé de la détention provisoire pourrait être rehaussé : actuellement, la détention provisoire peut être prononcée à l’égard de toute personne mise en cause pour une infraction passible d’au moins trois ans d’emprisonnement. La détention provisoire pourrait désormais exclusivement concerner les personnes mises en examen pour des infractions dont la peine encourue est égale ou supérieure à cinq ans d’emprisonnement.

L’encadrement de la détention provisoire doit en outre se traduire par sa limitation dans le temps. Pour la plupart des délits, la détention provisoire est d’une durée de quatre mois, renouvelables deux fois. Nous proposons de limiter la détention à huit mois : la personne mise en examen ne pourrait voire sa détention provisoire prolongée qu’une seule fois, et ferait ensuite à l’objet d’un contrôle judiciaire ou d’une ARSE.

Pour les crimes, la détention provisoire est d’une durée d’un an. Si le crime est passible de moins de 20 ans de réclusion, deux renouvellements de 6 mois peuvent être prononcés. S’il est passible de plus de 20 ans de réclusion, quatre renouvellements sont possibles, faisant ainsi passer la durée de la détention provisoire à 3 ans[27]. Nous proposons là encore de limiter le renouvellement à une fois pour la première catégorie, et à deux fois pour la seconde, limitant respectivement la détention provisoire à 18 mois et à 2 ans. Au-delà de ces délais respectifs, la personne mise en cause pourra être soumise à des mesures de contrainte alternatives, telles que le CJ ou l’ASSE. SI l’incarcération de la personne concernée apparaît préférable, il revient à l’autorité judiciaire de permettre la tenue rapide d’un procès en assises, afin de ne pas interrompre sa période de détention.

Enfin, il convient d’interroger la pertinence des motifs pouvant motiver le recours à la détention provisoire. Le rapport de Bruno Cotte et Julia Minkowski de 2017[28] soulignait notamment le caractère vague du sixième motif prévu par l’article 144 du Code de procédure pénale, autorisant un retour extensif à la détention provisoire : mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement. Ce dernier critère pourrait être supprimé.

Proposition 3 : Faire passer au statut contraventionnel les délits les moins graves

La sévérité accrue de la justice pénale française se traduit notamment par le traitement délictuel de nombreuses infractions, pourtant d’une gravité modérée. Dès lors, les faits commis sont passibles d’une peine d’emprisonnement. Parfois prononcée, celle-ci contribue au phénomène de surencombrement des établissements pénitentiaires. Elle ne sert pas l’objectif de réinsertion de la sanction pénale, ni celui de prévention de la récidive.

La pénalisation accrue de la délinquance routière a ainsi augmenté le nombre de personnes détenues condamnées pour ce type d’infractions. On en compte actuellement plus de 2500 dans les établissements pénitentiaires français[29]. Il convient de contraventionnaliser les délits routiers, tels que le défaut de permis de conduire[30].

Le vol à l’étalage, sanctionné en droit pénal français sous la qualification délictuelle du vol simple, pourrait faire l’objet d’une qualification autonome, de nature contraventionnelle. Il s’agissait d’ailleurs là d’une promesse du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017.

De même, l’infraction d’usage de stupéfiant pourrait faire l’objet d’une nouvelle réforme. Depuis la loi du 23 mars 2019, l’usage de stupéfiants peut faire l’objet d’une amende forfaitaire. Cette sanction pénale est mise en œuvre sur décision des forces de l’ordre et suppose que plusieurs conditions soient réunies : les produits stupéfiants retrouvés doivent être en petite quantité et ne pas appartenir à des drogues dites « dures » ; par ailleurs, la personne mise en cause doit présenter son identité, consentir à payer l’amende et être en mesure de le faire. La réponse forfaitaire ne constitue ainsi qu’une option et coexiste avec la sanction pénale délictuelle. Il semble logique, dès lors, de systématiser le passage au statut contraventionnel de l’usage de stupéfiants. Une évolution plus ambitieuse serait la dépénalisation de l’usage du cannabis, qui permettrait d’alléger la charge de travail que nécessite sa répression pour les juridictions mais aussi, avec l’amende forfaitaire, pour les forces de sécurité intérieure. Elle permettrait en outre de contribuer à l’assèchement des trafics dans de nombreux quartiers[31].

Proposition 4 : Rétablir l’automaticité partielle des réductions de peine

La réforme du système de réductions de peine prévue par la loi pour la confiance en l’institution judiciaire de décembre 2021, qui supprime l’automaticité des crédits de réduction de peine, présente plusieurs inconvénients majeurs.

Elle risque de conduire à une baisse de l’octroi des réductions de peine, entraînant ainsi une hausse du nombre de personnes détenues.

Elle suppose en outre une charge d’examen supplémentaire conséquente en commission de l’application des peines, pouvant aboutir à un sur-engorgement de cette instance.

Enfin, elle prive l’administration pénitentiaire d’un outil de gestion de la détention : en effet, les personnes détenues qui faisaient l’objet d’une décision de retrait de crédit de réduction de peine par un juge de l’application des peines, constataient l’impact visible de leur comportement sur la durée de leur peine. La suppression de l’automaticité des CRP s’accompagne d’un manque de lisibilité, pour une personne détenue, du lien entre la faute commise et le taux d’octroi des réductions de peine. Les réductions de peine ne sont donc plus un outil dissuasif, au service du personnel pénitentiaire et de l’autorité judiciaire.

La présente note propose un retour au système dual initié par la loi Perben II en 2004 : les crédits de réduction de peine seraient octroyés ab initio, avec un retrait potentiel a posteriori en cas de faute disciplinaire, et les réductions de peine supplémentaires viendraient récompenser l’investissement démontré par la personne détenue, en commission d’application des peines. Les CRP seraient d’un montant de trois mois, pour la première année de détention mais aussi au titre des années suivantes : ainsi, le maximum de réduction de peine serait de six mois par année, comme l’institue la loi de décembre 2021.

Proposition 5 : Réformer les modalités de recours à la comparution immédiate

Au regard de l’impact de la procédure de comparution immédiate sur l’augmentation du nombre de personnes détenues, la réforme de cette modalité de jugement semble essentielle à la prévention de la surpopulation carcérale.

La révision de la comparution immédiate pourrait revêtir deux aspects. D’une part, le champ d’application de cette modalité de jugement particulièrement sévère pourrait être restreint : ainsi, nous proposons de limiter la possibilité pour le parquet de recourir à la comparution immédiate aux infractions passibles de deux ans (ou dès un an en cas de flagrant délit) à sept ans d’emprisonnement, contre deux ans (ou dès six mois en cas de flagrant délit) à dix ans actuellement. Il s’agirait ainsi d’un retour à la situation antérieure à la loi d’orientation et de programmation pour la Justice du 09 septembre 2022.

D’autre part, l’organisation du jugement pourrait être réformé, afin de laisser le temps à l’autorité judicaire d’apprécier la situation de la personne mise en cause, et l’opportunité de l’exécution d’une peine hors établissement pénitentiaire. La comparution immédiate pourrait ainsi être régie par le système de la césure, tel qu’il est conçu pour la justice des mineurs : une première audience se prononcerait sur la culpabilité de la personne mise en cause ; dans un second temps, au moins un mois après, la même formation de jugement se prononcerait sur la nature de la peine et son quantum. La personne reconnue coupable disposerait ainsi du temps nécessaire pour démontrer des gages d’insertion en milieu ouvert, voyant de ce fait augmenter ses chances de bénéficier d’une mesure alternative à l’incarcération.

Proposition 6 : Proposer un numerus clausus dans les maisons d’arrêt

Les affectations en établissement pour peine sont décidées par l’administration pénitentiaire, qui s’assure que le taux d’occupation ne dépasse pas 100%.

En revanche, les incarcérations en maisons d’arrêt découlent bien souvent de dépôts décidés par l’autorité judiciaire, ce qui explique un taux de surpopulation supérieur à 140%.

Les autorités judiciaires et pénitentiaires ont développé, au cours des dernières années, leur partenariat pour une meilleure prévention de la surpopulation, notamment par une sensibilisation mutuelle et la communication plus régulière aux juridictions des taux d’occupation de chaque établissement. Le rapport du Comité des Etats généraux de la Justice, remis en juillet 2022, s’inscrit dans la même dynamique, en préconisant un seuil de criticité pour chaque structure, dont le dépassement entrainerait obligatoirement la réunion des différents acteurs[32].

Toutefois, ce type de dispositifs, déjà expérimentés dans plusieurs juridictions, n’a pas eu les effets escomptés. L’absence de mesure contraignante ne permet pas une réduction effective du nombre de personnes détenues.

La présente note propose donc de fixer un numerus clausus pour les maisons d’arrêt, sous la forme d’un taux d’occupation à ne pas dépasser.

Cette mesure ambitieuse, qui a pu être déployée dans plusieurs pays européens, tels que la Finlande ou le Pays Bas, a déjà été défendue en France sous la forme d’une proposition de loi en 2010 par le député Dominique Raimbourg, puis en 2014 par Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

Deux modalités de numerus clausus peuvent être envisagées. Selon un premier scénario, l’autorité judiciaire, constatant le dépassement du taux d’incarcération sur la maison d’arrêt de son ressort, serait dans l’incapacité légale d’affecter une personne détenue. Un tel dispositif paraît toutefois rigide : il empêche l’incarcération d’une personne mise en cause, pour qui une alternative à la détention paraît inadaptée. Le dispositif favoriserait ainsi l’inexécution des décisions de justice.

Une autre modalité du dispositif, plus souple, est à privilégier : en cas de dépassement du taux d’occupation fixé, l’incarcération d’une personne sous la forme d’une détention provisoire, ou à la suite d’une condamnation, demeurerait possible, mais devrait conduire automatiquement à la libération de la personne détenue de l’établissement concerné dont la fin de peine est la plus proche. Cette libération serait mise en œuvre sous la forme d’un aménagement de peine, ou, à titre subsidiaire, à la faveur d’une réduction de peine exceptionnelle.

Le taux d’occupation maximal, pour tenir compte des disparités locales, serait différencié en fonction des établissements. Il serait fixé en concertation avec les partenaires judiciaires et pénitentiaires. Un maximum national serait toutefois établi, et progressivement abaissé, pour accompagner l’évolution des politiques pénales : ainsi, le taux national maximal pourrait être établi à 130% en 2024, 120% en 2025, 110% en 2026 et enfin 100% en 2027.

Dans chaque cour d’appel, une cellule de veille serait constituée pour veiller en temps réel à la régulation carcérale des maisons d’arrêt du ressort ; cette cellule réunirait les magistrats, des représentants de l’administration pénitentiaire, et des avocats représentant les barreaux locaux.

Pour faciliter la mise en œuvre de ce dispositif, une baisse mécanique et rapide de la population carcérale apparaît opportune. Ainsi, une introduction aisée du principe du numerus clausus pourrait s’appuyer sur le vote d’une loi d’amnistie, possibilité prévue par l’article 133–9 du Code pénal. Si le Parlement a renoncé à cette pratique depuis 2002, une telle loi favoriserait une déflation carcérale rapide, pour instaurer un dispositif de régulation carcérale pérenne. Le législateur pourrait ainsi viser les peines prononcées il y a plus de deux ans, et celles d’une durée d’emprisonnement inférieure à un an, pour certaines qualifications pénales.

Proposition 7 : Développer les moyens de l’administration pénitentiaire en milieu ouvert

Une déflation carcérale entrainerait mécaniquement une hausse du nombre de personnes placées sous main de justice en milieu ouvert, qui sont actuellement plus de 170 000.

Il convient donc de proposer une prise en charge adaptée, assurant un suivi de qualité des personnes concernées. Le renforcement de ce suivi suppose notamment une amélioration du taux d’encadrement des personnes placées sous main de justice, et donc un renforcement des effectifs dédiés à ces missions.

Depuis 2018, les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation ont augmenté de plus de 20%, passant de 5576 ETP à 6736 en 2022. Cet accroissement des effectifs s’est accompagné d’une augmentation du budget alloué aux activités de réinsertion, de 69 millions d’euros en 2016 à 122,6 millions d’euros pour le budget de 2023[33].          

Il convient de conforter cette évolution, en engageant sur le quinquennat le recrutement de 1000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation complémentaires.

De même, les effectifs de surveillants officiant en SPIP, pour la pose de bracelets électroniques, doivent être étoffés.

Cette évolution doit permettre une amélioration du suivi des personnes placées sous main de justice en post sentenciel, mais aussi en pré-sentenciel : la mise en œuvre d’enquêtes de personnalité, l’accompagnement des auteurs présumés et la pose de bracelets seront favorisés en amont du jugement.

Une telle ambition ne saurait être freinée par des considérations budgétaires : en effet, la loi de finances de 2023 a conduit à une augmentation de 7% des moyens dévolus à l’administration pénitentiaire. Celle-ci, financée par le programme 107, voit ses crédits de paiement évoluer de moins de 4,6 milliards l’année précédente à plus de 4,9 milliards d’euros[34]. 417 millions d’euros doivent être alloués à la poursuite du programme immobilier « 15 000 », et près de 500 emplois des 800 créations prévues par la loi de finances de 2023 doivent permettre de doter les nouveaux établissements de ressources humaines suffisantes.

Ainsi, le recrutement de nouveaux effectifs en SPIP ne suppose pas une augmentation du budget accordé à l’administration pénitentiaire, mais plutôt une réallocation des ressources en faveur du milieu ouvert, que doit permettre la baisse du nombre de personnes incarcérées.

Le développement des moyens déployés en milieu ouvert doit également concerner l’ATIGIP (Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnel), créée par la loi de programmation et de réforme pour la Justice de mars 2019. Cette structure est en effet nécessaire au développement du travail d’intérêt général, peine alternative à l’incarcération trop peu exploitée.

Enfin, cet étoffement des moyens humains et budgétaires de l’administration pénitentiaire en milieu ouvert n’exclut pas une sollicitation des acteurs privés. Les organisations philanthropiques notamment, telles que la Fondation de France, qui a créé un programme dans ce secteur en 2013, ont tout leur rôle à jouer dans la valorisation du suivi judiciaire en milieu ouvert.

Conclusion

Promotion des alternatives à l’incarcération, mise en place d’un numerus clausus et recrutement de professionnels en milieu ouvert constituent les vecteurs indispensables d’une prévention efficace et durable de la surpopulation carcérale.

L’exemple récent de la déflation carcérale de 2020, lors de la crise sanitaire, doit nous rappeler qu’il s’agit là d’un objectif exigeant mais réalisable, qui suppose des outils pérennes.

Plusieurs pays européens, tels que les Pays-Bas, tentent de trouver une nouvelle utilité à leurs prisons devenues vides. Souhaitons à la France de partager cette préoccupation, à un horizon -relativement- proche.


[1] Rapport annuel du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, 2021

[2] Dossier de presse relatif au rapport d’activité 2022, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

[3] Statistiques mensuelles du Ministère de la Justice

[4] On distingue deux grands types d’établissements pénitentiaires : les maisons d’arrêt accueillent les personnes détenues en détention provisoire, ou condamnées avec un reliquat de peine inférieur à deux ans. Les établissements pour peine hébergent des personnes détenues condamnées à de plus longues peines. Au sein de ces structures, on distingue les centres de détention, qui proposent une prise en charge orientée vers la réinsertion, et les maisons centrales, pour une prise en charge plus sécuritaire. Enfin, les centres pénitentiaires rassemblent différents types de secteur (quartier maison d’arrêt, quartier centre de détention, quartier maison centrale, quartier de semi-liberté…).

[5] Idem

[6] CEDH, arrêt Canali c/France, 25 avril 2013

[7] CEDH, arrêt JMB c/France, 30 janvier 2020

[8] Dossier de presse relatif au rapport d’activité 2022, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

[9] Voir, à titre d’exemple éclairant, les recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 30 juin 2022 relatives au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan

[10] Statistiques trimestrielles du Ministère de la Justice, année 2020

[11] Il n’existe pas, à notre connaissance, d’étude isolant ce facteur spécifique de la libération anticipée sur l’évolution de la délinquance dans la période qui a immédiatement suivi. La baisse observée des infractions en 2020 est sans doute pour l’essentiel attribuable aux confinements.

[12] Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, 2021

[13] https://oscj2.cesdip.fr/wp-content/uploads/2023/01/Lhomicide-est-rare.pdf

[14] Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité 2019 », Service statistique ministériel de sécurité intérieure, décembre 2019

[15] « Dix ans d’évolution du nombre de personnes écrouées de 2000 à 2010 », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, Direction de l’administration pénitentiaire, 2010

[16] Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe, 2021

[17] Les chiffres clés de la Justice édition 2022, Services statistiques du ministère de la Justice, 2022

[18] Rapport du Comité des Etats généraux de la Justice, Juillet 2022

[19] La peine encourue est actuellement précisée dans l’article L 221–2 du Code de la route

[20] Séries statistiques des personnes placées sous main de justice, 1980–2022, Ministère de la Justice, 2022

[21] C. Protais, « La restriction du champ de l’irresponsabilité pour cause de trouble mental depuis 1950 », Les cahiers de la Justice, 2017.

[22] Statistiques trimestrielles de milieu ouvert, Ministère de la Justice, 31 décembre 2022

[23] J-R Lecerf, Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, 4 avril 2017.

[24] Etude d’impact pour le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, 13 avril 2021

[25] Voir notamment A. Philippe, La fabrique des jugements, Editions La Découverte, 2022

[26] Les chiffres clés de la Justice édition 2022, Services statistiques du ministère de la Justice, 2022

[27] Pour les délits comme pour les crimes, des renouvellements exceptionnels sont en outre prévus si les faits sont commis à l’étranger, et pour certains types d’infraction, comme le terrorisme et la criminalité organisée

[28] B. Cotte et J. Minkowski, Sens et efficacité des peines, Chantiers de la Justice, 2017.

[29] Statistiques trimestrielles du milieu fermé, Ministère de la Justice, 31 mars 2023

[30] Le rapport de la commission de modernisation de l’action publique, rendu en 2013 au garde des Sceaux par Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation, constatant que les succès de la politique de lutte contre l’insécurité routière ne sont « pas directement corrélés au traitement pénal du contentieux routier », proposait de transformer en contraventions les délits suivants : 1– le délit de défaut de permis de conduire / 2– le délit de défaut d’assurance / 3– le délit de conduite d’un véhicule malgré injonction de restituer le permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points / 4– le délit de conduite sans permis / 5– le délit de conduite d’un véhicule sous l’emprise d’un état alcoolique caractérisé par la présence dans l’air expiré d’un taux d’alcool supérieur à 0,40 milligramme et inférieur à 0,80 milligramme.

Ces cinq délits représentaient environ 210 000 infractions (en 2011) et entre 30 et 40% de l’activité pénale des juridictions. De telles modifications ne signifieraient pas une contraventionnalisation de l’ensemble de la délinquance routière. Ainsi, les homicides involontaires commis dans de telles circonstances, à titre d’exemple, seraient toujours passibles d’emprisonnement.

[31] Voir la note de Mathieu Zagrodzki « Cannabis : pour une autre stratégie policière et pénale », Terra Nova, 2020.

[32] Rapport du Comité des Etats généraux de la Justice, Juillet 2022

[33] M. Mercier et L. Harribey, Le SPIP : la lutte contre la récidive mise à l’épreuve, Rapport d’information du Sénat, 2023

[34] Loi n°2022–1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023

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